L’autre jour un évènement particulièrement étrange m’arriva.
J'avais passé un réveil normal, une journée normale et un début de soirée tout à fait normal. Comme chaque jour des dizaines d'oiseaux se reposaient sur la grue installée à côté de ma terrasse. J'aimais bien regarder leur routine, ils me rappelaient la mienne.
Ce n’est pas que je l'aime mais la normalité me rassure. J’apprécie savoir que le matin je vais me réveiller, aller aux toilettes, préparer mon thé vert, brosser mes dents, me doucher, m’habiller, boire mon thé et m’en aller pour mon travail. Je me sens sécurisé d’être à la place que j’occupe en tant qu’adjoint administratif dans une grande compagnie pétrolière. Le fait que je sois dans une firme mondialement connue m’est tout à fait tranquillisant. Je rentre le soir, pars regarder les oiseaux paisiblement installés sur la grue puis me sers une canette de bière tout en préparant mon dîner.
C’est tout à fait ce qu’il venait de se dérouler avant que cet événement improbable ne survienne.
En toute logique j’aurais ensuite dîné en écoutant une chanson des années soixante-dix et me serais peut-être masturbé en fonction de la tension de l’instant. Je serais ensuite sorti sur ma terrasse pour fumer une cigarette. Toujours en fonction de la tension, je me serais peut-être resservi une seconde canette de bière puis je serais parti me coucher en attendant de me réveiller à nouveau.
Hors j’étais donc précisément en train d’émincer deux échalotes pour la salade de tomates que je me préparais lorsque je m’aperçu que j’avais inconcevablement terminé la bière que je m’étais servie. C’était inconcevable parce que c’était la première fois que cela m’arrivait. Ce n’était pas rassurant du tout à vrai dire.
Une sorte d’angoisse vint me saisir au point de me rappeler mon ex-femme. Avec elle tout était sécurisé et j’avais mis un temps certain à retrouver cette stabilité qui m’était si chère. Je sais que pour vous ce lien de pensée n’est pas si évident mais je peux vous promettre qu’a ce moment là une logique incontestable s’opérait.
Particulièrement fragilisé par ces pensées, je décidai donc de me servir exceptionnellement une nouvelle cannette, me convaincant qu'il s’agissait la d’une situation d’urgence totalement légitime. Je laissais de côté mon émincé et me dirigeai donc vers le réfrigérateur. Ce geste aussi me rappela mon ex-femme : ce réfrigérateur était le sien mais elle n’avait eu que faire du partage lors de notre séparation.
Quelle journée inattendue, ce monde ordinaire partait à vau-l’eau me dis-je. Il ne manquait plus que j’allume la télévision du salon et tout ce que j’avais pu avoir comme certitudes s’en seraient allées comme une feuille d’automne avant sa mise en poussière.
Tout commença donc lorsque j’entrouvris la porte du réfrigérateur, ma salade de tomates en attente.
J’étais tellement focalisé sur la bière que je devais saisir qu’au premier abord je ne vis pas cette magnifique banquise se déployer devant mes yeux. C’est le froid qui me fît comprendre qu’un paysage extraordinairement beau se proposait à moi. J’en fut subjugué. Tout dans ce panorama m’appelait : sa froideur, sa beauté, sa certitude. Je faisais face à ce que d’aucun appellerait la pureté.
Je décidai donc d’en savoir plus et de pénétrer dans ce monde. Je m’y insérai le plus délicatement possible et ressentis subitement que mon corps et mon esprit étaient en mouvance. Bizarrement je n’avais pas froid.
Mon arrivée fut douce, J’étais sur un iceberg « typique». Je savais pertinemment que la surface ne reflétait pas la profondeur du lieu que j’investiguais. Ce n'est pas essentiel dans cette histoire mais je pense qu’il est important de le préciser.
Face à moi se tenait un lac d’une tranquillité déconcertante, s’agissait-il d’un fjord ? Quoiqu'il en soit il me rappelait cette normalité qui m’avait abandonné il y a de cela tant d’années.
A ma gauche et à ma droite, sur deux rives opposées, se tenaient deux hordes de pingouins, plus agressifs les uns que les autres. Je ne comprenais pas vraiment ce qui se déroulait sous mes yeux mais chacune des parties désirait véritablement en découdre avec l’autre.
L’un des pingouins de droite plongea dans le lac. Voyant cela, un pingouin de gauche se jeta également dans l’eau sous le support bruyant de ses acolytes. La guerre était entamée.
A la suite de ces premiers mouvements, l’ensemble des pingouins (de gauche comme de droite) se mouva dans une parfaite bataille sous et sub marine. Ce fut a cet instant que – pris par le dépit de ne rien pouvoir y faire – je baissai ma tête. Mon étonnement résonna à la fin de vue de la patte que j’aperçu. Je constatai que ma forme dans ce monde si étrange était celle d’un ours polaire.
Cet étonnement se matérialisa en un cri, en un hurlement. Je n’avais jamais émis de tel son lorsque j’avais eu ma forme humaine. Cela me fît étrangement du bien. Je pensais à cette douce banquise, bien loin de cette bataille de pingouins.
Quel ne fut pas ma surprise lorsque je vis l’ensemble des pingouins plier bagage et repartir vers leurs domaines respectifs. Ils semblaient même en paix, chacun recroquevillé dans leurs camps de pingouins. C’était drôle et triste à la fois.
A cet instant je me suis dit qu’il était temps de revenir chez moi.
Je m'écartai de la scène, empoignai ma canette puis la reposa exactement à l’endroit où elle avait été installée.
Il y avait déjà eu trop d’aventure ce soir, je n’étais pas encore prêt à en subir une autre.
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