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Début du rapport

Je marchais à côté d'elle.

Elle était belle. Pas au sens des standards que la société nous impose, il s'agissait d'une beauté qui émanait du fin fond de son regard. Enfin c'est ce qu'il me semblait jusqu'à ce que je ne me demande si ce n'était pas mon regard qui lui donnait cette magnificence. Était-ce si important ?

Il faisait jour, pourtant des étoiles brillaient et le ciel était noir. Nous allions entamer la traversée d'un pont parisien dont le nom m'a échappé. À vrai dire peu importe, j'avais de tout manière décidé qu'il s'agirait du Pont Neuf avant même d'y fouler un pied. Il faut parfois forcer un peu la réalité à s'adapter à notre volonté pour que des événements uniques puissent s'y réaliser.

Des touristes prenaient des photos, des couples s'enlaçaient, des klaxons klaxonnaient. Pas un bruit ne venait perturber la quiétude qui régnait à Paris ce jour là. Lors du premier pas posé, je compris instantanément que la planète Terre s'était légèrement décalée de son orbite. Une légère inclinaison, à peine perceptible, venait de modifier le cours du destin. Nous seuls avions pu prêter attention à ce changement interstellaire d'une envergure scientifique pourtant si miraculeuse. Quel privilège et quelle tristesse pour tous ces individus sondant les méandres de l'univers en quête de réponses.

Lorsque survint le second pas, je compris que le cours du temps avait également été modifié. J'aime à penser qu'elle aussi avait ressenti cette distorsion mais aucune preuve tangible ne pu me conforter dans la validation de cette hypothèse. Nous nous mîmes à entamer la traversée du pont et je me résolu à étudier plus en profondeur cette question qui me taraudait. J'avais la chance de posséder un temps infini pour cela, ce qui me permit d’échaffauder un grand nombre de calculs et de probabilités.

Je comptais, je triais et j'assemblais des éléments qui aboutirent à une conclusion nette et exempte du moindre doute : pour comprendre sa conception du temps, il nous fallait établir un contact cosmique, une transmission de flux d'énergie. Nous nous étions déjà enlacés et embrassés, ce qui en soi avait perturbé légèrement le cours du temps de manière ponctuelle et transitoire. Il me fallait donc recourir à une solution alternative.

Évidemment le doute vint me saisir : était-elle prête pour une expérience si délicate pour l'avenir de l'humanité ? L'étais-je moi-même ? C'est souvent au pied du mur que nous comprenons combien nos vies sont minuscules et empreintes d'une vocation de cobayes si difficile à accepter. Fallait-il mettre en pratique cette expérimentation quitte à en impacter si profondément l'espèce humaine ?

Nous arrivâmes à la moitié du Pont Neuf et une fulgurance m'indiqua que la courbure du temps allait bientôt se redresser à la manière que nous lui connaissions d'ordinaire. Ce fil insaisissable qui avait disparu depuis des millénaires s'apprêtait à amorcer son retour.

Lorsque le temps vous rattrape, vous n'avez d'autre choix que d'agir ou de vous taire.

J'optai pour la première possibilité, quitte à en mourir sur le champs. Je mis donc en œuvre ma solution alternative et lui demandai s'il était possible que ma main s'entrelace avec la sienne. Ce à quoi elle me répondit par l'affirmative : parfois la science est d'une évidence déconcertante.

Nos dix doigts s'entrecroisèrent donc. Nous n'étions plus à l'heure (à la seconde) des hypothèses, le temps était désormais compté et nous devions répondre à toutes ces équations en suspens.

Les étoiles scintillèrent si fortement qu'un violent éclair se forma, détruisant tout Paris sur son passage. Seul le Pont Neuf restait intact. Nos regards apeurés et interrogateurs se croisèrent furtivement au cœur de cette tempête, se demandant sans mots si l'expérience devait continuer. Je compris que des sensations instantanées et réciproques nous traversaient alors : avenir, stupeur, plaisir, passé, souffrance, joie, peur, amour, présent.

La réponse ne vint pas de nous : nos deux mains étaient devenues une indissociable entité que nous ne maîtrisions plus. Nous n'étions devenus que des spectateurs.

Le temps revenait sensiblement à sa normalité mais l'entité nouvellement créée n'en tenait plus compte. Elle semblait plus puissante que le temps lui-même. Elle termina d'ailleurs aisément sa traversée du pont, reconstruisit Paris en a peine quelques millièmes de secondes et resta vivante jusqu'à ce que nous, aventuriers, ne nous séparions, faisant fi du temps grâce à elle. Ce fut une avancée majeure en terme de recueil de données.

La rançon de cette avancée résulta dans l'énergie dépensée par ma partenaire au moment de la tempête. Les flux engendrés par la création de l’entité lui absorbèrent les sensations contradictoires et intenses que nous avions partagé au moment de l’impact de l’éclair. Pour une raison qui m'est encore inconnue aujourd’hui, ce ne fut pas mon cas.

Je ne la revis jamais. Les étoiles qui brillaient ne suffirent pas à éclairer le ciel noir de cette magnifique journée. En tant qu'ultime témoin de ce voyage, je dois avouer qu'elle me manque. Voilà comment se termina l'expérimentation A-1210. De nouvelles recrues sont en cours de préparation pour A-1211, souhaitons leur plus de réussite.

Fin du rapport


Texte publié par Vinzorama, 3 août 2022 à 20h10
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