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tome 1, Chapitre 4 « Chapitre 3 » tome 1, Chapitre 4

La délégation des Monts de fer, accompagnée par son escorte, parvint à Erebor quelques jours plus tard.

Après avoir été conduits à leurs appartements, après qu'ils se soient rafraîchis et restaurés, les délégataires furent reçus dans la salle du trône par le roi Thorin. Ses deux neveux et héritiers, les princes Fili et Kili, vêtus de frais, se tenaient debout de part et d'autre de son trône. Le plus jeune paraissait à la fois pâle et furieux. L'aîné se mordait les lèvres.

Un peu en retrait se tenaient l'elfe rousse dont ils avaient tous entendu parler, ainsi que Dis, la soeur du Roi sous la Montagne, mère des jeunes princes, Balin en tant que conseiller, Dwalin plus renfrogné que jamais, un ou deux dignitaires.

Comme l'elfe était un sujet de curiosité, ils s'aperçurent tous que ses yeux brillaient étrangement, bien qu'elle garde un visage impassible et se tienne scrupuleusement à sa place. Sa présence en irrita certains, bien sûr, mais en tant qu'épouse de l'un des princes, elle se devait d'être là. C'était ce que Balin avait laborieusement expliqué à son frère durant les heures qui avaient précédé. Et ça avait été une conversation pénible, chacun tenant à faire valoir son point de vue.

- On ne peut pas accepter une elfe dans une réception officielle ! s'entêtait Dwalin. C'est faire injure à nos hôtes !

- On ne peut pas l'écarter ! protestait le vieux conseiller. C'est comme ça, ce mariage est réel, on ne peut pas faire comme si de rien n'était !

- Sa présence est insultante ! Personne ne veut voir une elfe ni dîner en sa compagnie.

- Sa présence en irritera certains, bien sûr. Mais comme tout le monde est au courant, la cacher serait pire que tout. Et de quoi Thorin aurait-il l'air ? Il a autorisé ce mariage, il doit l'assumer devant les autres clans, sinon il perdra en autorité et en crédibilité. En tant que Roi sous la Montagne, il doit imposer ses décisions. Le contraire serait désastreux.

- Après ce qui s'est passé aujourd'hui, mieux vaudrait qu'elle disparaisse pour de bon !

Thorin n'avait pas pris part au débat, il n'était de toute façon pas présent. Tauriel, elle, avait passé des heures affreuses. Pour Kili, sa présence allait de soi. Fallait-il lui causer une déception en refusant ? Fallait-il faire comme si de rien n'était ? Peu de temps avant le début de la cérémonie, Dis s'était annoncée.

- Il faut y aller, dit-elle simplement, ou nous serons en retard et ce serait très mal vu.

Souriant à Tauriel, elle lui avait alors tendu un fin diadème d'argent :

- Mettez ceci, mon enfant. Vous êtes princesse d'Erebor, que cela plaise ou non à certains.

Ignorant le regard empli de gratitude de son fils et comprenant l'inquiétude de sa belle-fille, elle avait ajouté :

- Vous resterez avec moi. Tout se passera bien. N'ayez crainte.

Juste avant d'entrer dans la salle du trône, laissant Kili aller de l'avant pour prendre sa place, Tauriel avait juste demandé :

- Etes-vous sûre ? Le roi ne sera-t-il pas offensé par ma présence ?

- Le roi ne permettra à personne de remettre en cause ses décisions. Et nul n'osera lui faire l'injure de les contester, ce serait la pire des grossièretés ! N'ayez crainte, Tauriel, s'attaquer à vous serait s'attaquer à Thorin. Ils ont trop d'intérêts dans l'affaire pour s'y risquer.

Profitant de ce que Kili ne pouvait les entendre, Tauriel avait ajouté à voix basse :

- Je me demande toutefois s’il est bien sage de me montrer, après ce qui vient de se passer.

Dis l'avait longuement regardée :

- Vous n'êtes pas coupable de ce qui est arrivé et vous avez fait tout ce qui était en votre pouvoir. Vous n'avez pas à vous cacher. Au contraire ! Cela ne ferait qu’alimenter les rumeurs. Conservez la tête haute. L'orage passera.

Là-dessus, toutes deux avaient échangé un dernier regard. Ce qui était arrivé était arrivé, elles n'y changeraient plus rien...

La réception se passa bien, cependant. Très tôt, c'est à dire dès que les convenances le permirent, Tauriel s'éclipsa. Certains en furent heureux, d'autres déçus, car elle faisait un peu figure de bête curieuse. Les plus hardis osèrent aborder le sujet avec Thorin, qui éluda toutes les questions sans pour autant céder d'un pouce : l'elfe faisait partie de sa cour, il n'y avait rien à ajouter. Il devait admettre en lui-même, d'ailleurs, qu'elle avait été parfaite, présente mais discrète. Dis l'avait aidée, il le savait et lui en savait gré... malgré ce sentiment désagréable qui persistait. Qu'est-ce que Dis trouvait à cette fille, au fond ? Pouvait-elle sincèrement se réjouir de voir que son fils avait contracté une telle alliance ?

Kili, obligé de rester encore un peu, prit congé à son tour dès que cela lui fut possible. Bien qu'aucune fausse note n'ait réellement perturbé la soirée, tous avaient le sentiment que quelque chose n'allait pas. Pas du tout. Un malaise latent planait sur Erebor.

Thorin avait une volonté de fer mais, en l'occurrence, il ne savait vraiment pas quoi faire. Il ne pouvait pas forcer ses sujets à apprécier Tauriel et à l'accepter parmi eux, c'était aussi simple que ça. Et malheureusement, les récents événements n'étaient pas faits pour atténuer l'antipathie des nains à l'égard des elfes !

Lui-même avait vraiment fait de son mieux... même après cette fichue séance d'entraînement, deux jours plus tôt. Laquelle lui restait en travers de la gorge. Et pour cause, non ? En fait, comme convenu, il avait fait prévenir Tauriel qu'elle pouvait l'y retrouver et, comme convenu, elle l'y avait rejoint. Elle avait souhaité d'abord s'entraîner à nouveau avec les haches de lancer. Thorin n'avait rien à lui apprendre, elle connaissait déjà la technique. Tout au plus s'était-il borné à corriger quelques mouvements par-ci, une position par-là, de manière seulement à renforcer l'efficacité du tir. Elle serait très vite au point, il lui suffirait de quelques séances pour manier cette arme à la perfection.

Ensuite, tous deux s'étaient affrontés à l'épée. Thorin était un redoutable combattant mais le fait est que la souplesse et la vivacité de l'elfe en faisait une terrible adversaire. Néanmoins, le roi nain se rendait très bien compte qu'elle ne se donnait pas à fond. Qu’est-ce qu’elle croyait ? Qu’il n’était pas de force à se mesurer à elle ?! Qu’il ne savait pas ce que c’était qu’un entraînement ? Avait-elle peur d'égratigner son amour-propre, surtout devant les siens qui, comme la première fois qu'elle s'était rendue en ces lieux, observaient en silence le simulacre de combat ? Cela avait prodigieusement agacé Thorin. Tant et si bien que l'espace d'un instant, il avait relâché sa concentration. Malheureusement, Tauriel était lancée, elle n'avait pu retenir son bras. Le Roi sous la Montagne ne comprit pas très bien ce qui se passait, la seule chose qui soit certaine, c'est que ses pieds avaient soudainement quitté le sol et qu'il était tombé de tout son long. Un instant, le temps avait paru suspendu. Plus pâle encore qu'à l'ordinaire, Tauriel avait fait tournoyer son épée avant de l'enfoncer dans le sol en un geste de reddition.

- L'assaut est à vous, avait-elle dit d'une voix blanche. Je m'excuse, je n'aurais pas dû...

- Vous n'auriez pas dû quoi ? avait répondu Thorin en se relevant. Montrer ce que vous valez ?

Cette défaite l'irritait profondément, c'est certain. Mais il était trop orgueilleux pour accepter de se donner en spectacle. La moindre des élégances consistait à accepter les faits de bonne grâce.

Il avait épousseté ses vêtements d'un revers de main puis, arrachant la lame du sol, l'avait lancée à Tauriel qui, machinalement, l'avait rattrapée au vol.

Là-dessus, sans un mot de plus, sans un regard en arrière, Thorin avait quitté l'arène dans un silence de mort. La jeune elfe avait eu subitement envie de pleurer. Jamais, jamais elle ne réussirait à se faire accepter. Chaque fois qu'elle pensait avoir progressé un tant soit peu, elle se rendait compte du contraire.

- Est-ce que tout va bien ?

Surprise par cette voix douce, elle avait soudain reconnu Ori debout près d'elle, l'air inquiet.

- Je... ne sais pas trop, avait-elle murmuré. Je dois... Oïn manque d'herbes médicinales, je crois que je vais aller en chercher.

- Je peux venir avec vous ?

Tauriel avait été très surprise. D'après ce que Thorin lui avait dit, elle pensait que le jeune nain ne l'approcherait plus.

- Mais je croyais... avait-elle dit. On m'avait laissé entendre que vous...

Subitement, elle en avait eu assez de faire semblant. Au point où elle en était, de toute façon !

- ... que vos proches désapprouvaient, avait-elle donc achevé.

Ori avait lentement secoué la tête.

- Vous êtes l'une des nôtres, dit-il.

C'était vraiment gentil, malgré cette petite voix au fond d'elle-même qui se demandait si, finalement, elle voulait vraiment "être des leurs". Tauriel n'avait pas suffisamment d'amis pour repousser quiconque, toutefois, par acquis de conscience, elle avait demandé :

- Cela ne vous causera pas d'ennui ?

Ori avait eu un sourire angélique :

- Non, fit-il.

S'ils avaient su !

OOoOO

En réalité, Ori savait que Dori allait fulminer et tempêter tant et plus, mais cela lui était égal. Il en avait assez d'être traité comme un gamin ! Il aimait bien Tauriel et il était attaché à Kili, cela suffisait.

- Vous continuerez à m'apprendre à manier l'épée ? demanda-t-il alors que l'elfe et lui-même s'éloignaient d'Erebor, bercés par le pas de leurs montures. Vous êtes très forte... et moi j'ai bien besoin de leçons.

Elle secoua tristement la tête.

- Je ne sais vraiment pas. Voilà deux fois que je m'approche des terrains d'entraînement et deux fois que ça tourne mal.

- Pourquoi dites-vous cela ?

- Sans doute parce que c'est vrai. Thorin est furieux contre moi...

Ori parut réfléchir.

- Thorin est un grand roi, dit-il enfin.

- Je... ce n'est pas de cela que je parle... tout le monde sait qu'il déteste les elfes...

- Aucun de nous ne les aime, répliqua Ori.

Un silence.

- Mais vous, c'est différent.

Tauriel secoua la tête.

- Vous êtes très gentil, Ori, mais je suis une elfe. Kili et moi aurions dû comprendre que rien n'était possible entre nous. Nous n'aurions pas dû nous obstiner.

- Les nains sont obstinés. Et l'on dit que les elfes ont beaucoup de suite dans les idées.

- Et voyez donc où cela nous mène ! répliqua-t-elle, amère.

Tout en devisant, tous deux s'éloignaient et Erebor disparut bientôt derrière un épaulement de colline. Comme toujours, Tauriel respira plus librement. Comme toujours, elle eut envie de lancer son cheval au galop et de boire le vent pendant des heures.

Mais elle n'allait pas planter là ce charmant Ori qui faisait tant d'effort pour être aimable. Et puis, elle devait chercher des herbes médicinales. Après avoir chevauché un bon moment, ils firent halte non loin d’un petit bois et entreprirent d’explorer une prairie d’allure prometteuse.

- J'ai apporté un recueil, dit Ori en sortant un épais volume de sa besace. Avec la description des plantes et leur utilité. Je...

Un sifflement bref, parfaitement identifiable, lui coupa la parole. Et une flèche s'enfonça en plein centre de son livre, avant même qu'il ait pu l'ouvrir. Tauriel dégaina son épée, le coeur battant, regarda autour d'elle et ne vit rien. D'un geste vif, elle arracha la flèche, sans qu'Ori, statufié, fasse un seul mouvement.

- Une flèche elfique, dit-elle à mi-voix.

Dont elle connaissait très bien le propriétaire, car la marque sur l'empenne lui était tout à fait familière.

- Attendez-moi ici, chuchota-t-elle.

La flèche à la main, elle se dirigea vers la lisière du bois.

- Légolas, dit-elle simplement lorsqu'elle fut à portée de voix.

Il apparut presque immédiatement, droit comme un "i", le visage figé. Tauriel éprouva un mélange de joie à revoir l'un des siens, notamment l'un de ceux qui lui étaient chers, et de chagrin : il lui suffisait de le regarder pour comprendre sa peine. Et pour comprendre du même coup ce qu'il faisait là.

- Tauriel, dit-il d'une voix sans expression.

Elle s'efforça de lui sourire mais elle avait le coeur si gros et la gorge si serrée que ce fut davantage un rictus.

- Vous avez effrayé mon ami... curieuse façon de vous annoncer.

Le regard glacé de son vis à vis la gela jusqu'à l'âme :

- Votre ami ?!

- Oui, chuchota-t-elle. Pourquoi ?

La question était superflue, bien entendue, mais elle avait besoin de réagir. Elle avait souvent, depuis qu'elle était officiellement avec Kili, pensé à Légolas et à ce qu'elle lui dirait -sans penser que cela arriverait- si elle en avait l'occasion. Malheureusement, il semblait qu'elle ait tout oublié !

- Légolas, dit-elle, vous ne devriez pas être ici... Vous êtes sur les terres d’Erebor ET vous êtes le fils de Thranduil. Etant donné les relations tendues qui existent entre votre père et le Roi sous la Montagne…

- Elles ne peuvent être autrement que tendues ! répliqua amèrement le prince. Quand on voit l’arrogance de Thorin Ecu-de-Chêne et sa…

Il s’interrompit, secoua la tête et termina, avec plus d’amertume encore :

- Vous interdisent-ils de parler à votre propre peuple ?

- Bien sûr que non ! protesta Tauriel qui se dit toutefois, à part elle, que les nains n’apprécieraient sans doute pas.

Comme si elle avait encore besoin de ça ! Ori raconterait sans doute ce qui s’était passé. Encore heureux qu’il n’ait pas été blessé. N’empêche, s’il racontait qu’un elfe lui avait tiré dessus et qu’ensuite elle avait tranquillement bavardé avec lui…. Le découragement l’envahit et elle baissa vivement la tête pour cacher les larmes qui perlaient à ces cils.

- Vous pleurez ?!

Signe de la plus extrême confusion (ou émotion) chez un elfe, Légolas cilla brièvement, puis

la saisit par les poignets :

- Vous n’êtes pas heureuse… je m’en doutais.

Un silence.

- Vous maltraitent-ils ? demanda-t-il.

L’indignation grondait dans sa voix.

- Bien sûr que non, répondit Tauriel en se dégageant. C’est…

Désemparée, elle s’interrompit. C’est… quoi ? Elle n’avait pas envie d’entrer dans les détails avec le prince de la Forêt Noire.

Devant son silence subit, Légolas prit les devants :

- Tauriel, revenez avec moi.

Abasourdie, peinant à croire ce qu'elle avait entendu, elle l'avait fixé avec des yeux ronds.

- Vous n'êtes pas à votre place parmi les nains ! Revenez avec moi.

Il lui tenait à nouveau les deux mains.

- Vous... savez bien que c'est impossible, bredouilla-t-elle. Votre père me ferait arrêter immédiatement.

- C'est possible, oui, c'est même certain, mais je lui parlerai ! Et au moins, Tauriel, vous seriez parmi les vôtres.

L'espace d'un bref, très bref instant, elle eut envie d'accepter. Retrouver la forêt, retrouver les siens et tout ce qui lui était familier, tout ce qui lui manquait tellement... même au fond d'un cachot, elle serait chez elle, elle connaîtrait les codes, elle ne serait pas étrangère.

Mais tout aussitôt, elle pensa à Kili.

- Non, dit-elle en retirant ses mains de celle du prince. Non, je ne veux pas.

Le regard douloureux de Légolas lui lacéra l'âme.

- Ne m'en veuillez pas... plaida-t-elle. De toute façon, jamais votre père n'aurait admis qu'il y ait quoi que ce soit entre nous, vous le savez bien !

- Est-ce une excuse ?

A nouveau ce ton glacial, si distant. Mais cette fois, elle prit la mouche :

- Non ! répliqua-t-elle sèchement. Je ne vois pas pourquoi je devrais m'excuser !

Puis elle lui tourna le dos et retourna vers Ori. Elle se tenait droite et levait haut la tête mais elle avait le coeur en deuil. Voilà une scène qu'elle aurait voulu ne jamais avoir à vivre ! Pourquoi tout était-il si difficile, depuis quelques temps ? Pourquoi avait-il fallu que Légolas vienne la relancer jusqu'ici ? Elle comprit, au regard d'Ori, que le prince avait disparu sous les arbres.

- Tout va bien ? demanda le jeune nain d'un ton hésitant.

- Oui.

Sa réponse avait été brève, peut-être trop sèche, et elle se reprit aussitôt :

- Je suis navrée pour votre livre. Est-il très abîmé ?

Ori, lui aussi, eut l'air navré.

- Pas trop, minimisa-t-il.

Mais il tourna un regard lourd de rancune vers la forêt.

- Ori... je ne peux rien vous imposer, mais... s'il vous plaît, ne parlez à personne de ce qui s'est passé. Si on vous pose des questions, dites que c'est moi qui ait tiré une flèche sur votre livre, accidentellement. Je… la situation est déjà tellement compliquée...

Il la regarda longuement.

- Je ne dirai r.... commença-t-il.

Il y eut un nouveau sifflement, très bref. Le jeune nain se raidit sur sa selle, son visage devint de craie, puis il s'affaissa doucement en avant, sur le garrot de sa monture.

- NON !!! hurla Tauriel, horrifiée.

Une flèche elfique s'était fichée entre les épaules d'Ori.

Une flèche dont elle regarda aussitôt l'empenne, les yeux agrandis de colère et d'effroi.

OO0OO

- Montre-toi, espèce de lâche !

Son épée bien assurée dans sa main, Tauriel se tenait face à la lisière de la forêt, révoltée et déterminée à en découdre. Sauf que l'archer invisible n'était pas seul ! Ils sortirent du couvert, le visage fermé et leurs arcs bandés. Elle les connaissait, bien sûr. Aussi bien qu'elle connaissait les marques qu'ils utilisaient pour différencier leurs flèches. Elle avait été suffisamment longtemps capitaine de la garde de Thranduil.

- Vous me faites honte ! explosa-t-elle. Tirer dans le dos, de loin, cachés entre les arbres ! Jamais je n'aurais cru que vous puissiez tomber aussi bas !

- Silence, traîtresse ! lâcha l'un des archers. Celle qui a sombré dans la déchéance en mêlant son sang à celui d'un nain n'a aucune remarque à faire !

- Tu nous suis ! lança le second. On te ramène au Royaume Sylvestre. Le roi Thranduil sera content.

Tauriel serra farouchement la garde de son épée. Elle n'avait pas l'avantage, surtout face à deux arcs tendus, mais elle vendrait chèrement sa liberté ! Pas question qu'ils la ramènent de force !

- Le roi Thranduil, laissa-t-elle tomber avec mépris, n'a sûrement pas commandité un acte de guerre !

- Sûrement pas ! renchérit une voix glaciale derrière les deux elfes.

Légolas venait de sortir du couvert. Il ne devait pas s’être éloigné beaucoup, une chance, pensa Tauriel. Peut-être même ne s’était-il pas éloigné du tout et avait-il assisté à toute la scène. Bras croisés sur la poitrine, il toisa sévèrement les deux archers qui, subitement, parurent beaucoup moins sûrs d'eux.

- Que venez-vous faire ici ? demanda sèchement le prince.

- Nous étions à votre recherche... marmonna l'un. Le roi nous a envoyés...

- .. votre départ l'a fort courroucé...

Légolas plissa les yeux, l'air sceptique. En fait, les deux elfes avaient bel et bien été envoyés par Thranduil, fou de rage en constatant la disparition de son fils, lequel s'était soigneusement gardé de l'informer de son escapade : Légolas savait qu'il ne pourrait pas éviter une confrontation désagréable au retour, alors raison de plus pour ne pas en provoquer une déjà au départ !

Bref, constatant son absence, le roi elfe avait, bien entendu, tout de suite compris où il était et pourquoi. Ca passait les bornes ! estima-t-il. Il avait donc envoyé deux de ses hommes de l'autre côté du grand lac, pour rattraper le prince et lui faire savoir qu'il EXIGEAIT son retour immédiatement et sans délai ! Et il comptait bien, à ce moment-là, lui faire vertement savoir que Tauriel n'était qu'une moins que rien qui n'avait plus rien à voir avec eux, et qu'il entendait qu'il ne soit plus jamais question d'elle ! Ah mais !

Bien sûr, il aurait pu se contenter d'attendre, il savait bien que tôt ou tard Légolas reviendrait de lui-même. Mais Thranduil était si fâché qu'il avait volontairement décidé de lui faire cet affront, envoyer ses sbires à ses trousses comme s'il n'était qu'un enfant désobéissant. Il n'était pas question d'encourager ou même tolérer ce genre d'équipée !

Pas un instant il ne lui était venu à l'esprit que ses hommes seraient assez bêtes pour blesser ou tuer un nain sur les terres d'Erebor ! Il n'entrait effectivement pas dans les desseins de Thranduil de déclencher une guerre. Quant à Tauriel, il ne voulait tout simplement plus jamais entendre parler d'elle ! Mais comme les deux soldats savaient qu'initialement leur roi avait demandé à Thorin de la lui renvoyer, ils avaient décidé de faire du zèle... pensant à tort que Thranduil en serait content. En fait, ils avaient très largement outrepassé leurs ordres !

Ecoeurée, Tauriel rengaina son épée et tourna le dos au groupe formé par le prince et les deux subalternes. Jamais les choses n'auraient pu dégénérer davantage ! songeait-elle en s'approchant d'Ori, toujours affaissé, inerte, sur sa monture qui, inquiète, bronchait légèrement en agitant ses oreilles. Tandis que, terrifiée par les conséquences probables de l'affaire, elle examinait rapidement le corps du nain, elle sentit la présence de Légolas juste derrière elle.

- Est-il mort ? demanda ce dernier d'une voix qui laissait présager qu'il connaissait déjà la réponse à cette question.

Au même instant, Tauriel eut un tressaillement de joie : une mousse rosâtre perlait aux lèvres d'Ori, preuve que les poumons étaient touchés, certes, mais surtout preuve qu'il respirait ! Oui, ténu, erratique, un souffle léger l'animait encore et le coeur battait toujours !

- Il respire ! soupira-t-elle, immensément soulagée. Je dois le ramener au plus vite. Il a besoin de soins, de toute urgence.

- Je vous accompagne ! décida le prince.

- Non ! Surtout pas ! Cela ne ferait qu’empirer les choses !

- Mais c’est un acte de guerre, Tauriel ! Un nain abattu sur les terres de son propre peuple… Je dois l’expliquer au roi des nains. Ces deux imbéciles –il eut un regard incroyablement dur pour les deux gardes, qui n’en menaient pas large- risquent de provoquer un bain de sang. Nous avons réussi à l’éviter jusqu’à présent, malgré toutes les dissensions qui opposent nos deux peuples…

- Thorin ne vous écoutera pas ! Il vous gardera captif, ou alors il exigera que le coupable lui soit livré ! Dans un cas comme dans l’autre, c’est l’incident diplomatique et la catastrophe assurée.

Légolas secoua légèrement la tête, accablé.

- J’ai peur pour vous, Tauriel, avoua-t-il. J’ai peur de la réaction des nains.

- Moi aussi ! pensa-t-elle.

Mais elle lui offrit un sourire encourageant et se hissa prestement en selle.

- Je vais essayer d’aplanir les choses de leur côté, assura-t-elle (ça, c’était très, très optimiste, car elle n’était pas du tout certaine que quelqu’un accepterait de l’écouter). Vous, rentrez au plus vite et informez votre père de ce qui s’est passé. A nous deux, nous pourrons peut-être éviter le pire.

Tandis qu’elle faisait glisser le corps d’Ori en travers de sa propre selle, le prince de la Forêt Noire s’approcha et caressa machinalement l’encolure de son cheval.

- Je me sens responsable, dit-il. Si je n’étais pas venu, rien de tout cela ne serait arrivé.

- Il est trop tard pour regretter, répondit-elle en s’efforçant de gommer toute trace de reproche de sa voix. Tâchons de faire en sorte que la situation ne dégénère pas !

Elle rassembla les rênes dans sa main et pressa ses jambes contre les flancs du cheval.

- Tauriel, vous êtes certaine que vous ne risquez rien ? demanda encore le prince.

Elle n'en était pas sûre du tout mais elle savait qu'elle n'avait guère le choix !

- Ne vous en faites pas pour moi, se borna-t-elle à répondre.

Sur ce, elle fit volter son cheval et le lança au galop. Légolas la suivit longtemps des yeux, avant de se retourner vers ses « compagnons » :

- On rentre ! dit-il sèchement.

Les deux elfes arboraient des mines peu glorieuses ; en fait, ils venaient de réaliser que leur situation était fort incertaine et guère confortable ! D’une manière ou d’une autre, la colère de Thranduil serait terrible. Et tous savait qu’il n’était pas, et de loin, aussi scrupuleux que son fils. Quand bien même Légolas et Tauriel trouvaient l'idée insupportable, il était très capable quant à lui, pour éviter une guerre, de livrer l’un des siens au peuple des nains. Or, depuis les guerres du passé qui avaient ensanglanté la Terre du Milieu, d’horribles histoires couraient parmi les deux peuples sur ce qu’il advenait des prisonniers ! Les uns citaient des corps de nains criblés de flèches, transformés en cibles vivantes, les autres murmuraient des histoires affreuses d'elfes jetés vifs sur des lits de braise ou dans des creusets chauffés à blanc, normalement conçus pour fondre le métal... bref, de part et d'autre, les langues allaient bon train !

Cependant, Tauriel galopait aussi vite qu'il lui était possible, ne songeant plus du tout qu'en quittant Erebor elle avait éprouvé le désir de le faire pour le seul plaisir !

- Ne mourez pas, Ori, chuchotait-elle en une litanie sans fin, maintenant le corps du nain contre elle en se gardant de toucher à la flèche qui dépassait de son dos. Ne mourez pas, s’il vous plait, ne mourez pas ! Tenez bon !

Lorsqu'elle ne lui murmurait pas ces paroles encourageantes et ne s'interdisait pas de penser à la manière dont les choses tournaient, plus impossibles à chaque instant, elle s'interrogeait pour savoir comment elle allait présenter les choses aux nains.

Il fallait taire la présence de Légolas sur leurs terres, décida-t-elle. Ce serait pris comme une horrible provocation, pire, un coup monté ! Elle s'en tiendrait aux deux mercenaires qui avaient voulu l'enlever... et puis elle mentirait, tant pis. Elle dirait que lorsqu’elle leur avait démontré la gravité et les conséquences probables de leurs actes, ils avaient pris peur et s’étaient enfuis. Mentir lui répugnait, mais moins que la perspective d’une guerre.

Elle savait, naturellement, que les nains lui attribueraient la responsabilité de l'affaire... et elle n'avait aucune idée de la manière dont les choses allaient tourner. Mais un affrontement meurtrier entre Erebor et le Royaume Sylvestre était une perspective trop effroyable, elle ne pouvait absolument plus penser à elle en cet instant !

Non seulement, songea-t-elle, le moral au fond des bottes, non seulement elle ne faisait qu'aggraver les choses à chacune de ses tentatives pour les améliorer, mais encore cet événement, qui pouvait déclencher une guerre atroce, survenait-il au plus mauvais moment : tous ses alliés potentiels étaient absents d'Erebor. Comment allaient réagir les nains en voyant Ori ? Mal, bien sûr.... Thorin ? Elle préférait ne pas y songer ! Dis représentait peut-être un espoir. Elle l'avait encouragée, avait paru comprendre. Mais comment réagirait-elle face au meurtre de l'un des siens ? Tauriel n'en savait rien. Tauriel galopait, espérant seulement qu'Ori survivrait.

A cette seule condition –du moins elle le souhaitait de toute son âme- la paix pourrait-elle être sauvegardée.


Texte publié par Syrène, 18 juillet 2014 à 20h55
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