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- Vous avez raison.

Dis avait parlé calmement, sans lever les yeux de ses travaux d'aiguille. Elle s'était absorbée tout du long dans sa tâche, avait conservé un visage impénétrable, n'avait pas une seule fois lâché son ouvrage du regard. Pour autant, elle n'avait pas perdu un mot. Et venait d'énoncer son verdict.

Tauriel, qui commençait à désespérer, se sentit un petit peu ragaillardie. Certes, les elfes ne sont pas démonstratifs, mais elle trouvait que les nains, si exubérants en règle générale, pouvaient faire preuve d'encore plus de froideur quand ils en avaient décidé ainsi ! Elle comprenait maintenant pourquoi l'on dit parfois que les nains sont faits de la même pierre que celle de leurs montagnes.

Elle s'était résolue à parler à sa belle-mère -il fallait bien commencer quelque part- et lui avait calmement exposé ce qui la préoccupait, ainsi que ce qu'elle avait résolu de mettre en oeuvre pour y remédier.

- Je m'inquiète pour Kili, moi aussi, dit encore Dis en tirant son aiguille, comme si elle parlait de la pluie et du beau temps. Je ne l'avais encore jamais vu comme ça.

Pour la toute première fois, elle leva le nez et regarda Tauriel en face :

- Vous avez choisi un chemin très difficile, tous les deux. Un chemin d'épines plutôt que de roses.

L'elfe ne sut que répondre à cela. Elle était fascinée par les yeux de sa belle-mère, qu'elle n'avait encore jamais si bien vus. Ils étaient verts, pailletés d'or, et cependant, selon l'éclairage et l'angle de vue, ils paraissaient parfois curieusement mordorés. Ce regard particulier s'attacha longuement sur Tauriel puis un sourire glissa sur les lèvres de la princesse naine :

- Vous êtes lucide et vous êtes courageuse... Vous avez parfaitement saisi la situation. Je ne doute pas que mon fils serait prêt à vous emmener au loin, mais il ne se rend pas compte de ce que cela implique. Il ne le supporterait pas. Il a besoin de son frère, de ses amis, de ses proches. Les nains ne sont pas faits pour vivre isolés. Loin des siens, Kili dépérirait pour de bon.

Elle baissa à nouveau le nez vers son ouvrage et recommença à tirer l'aiguille.

- Ne vous faites pas d'illusion : du courage, il vous en faudra beaucoup pour parvenir à vos fins. De la persévérance également.

- Je le sais.

- Etes-vous consciente que pour vous intégrer aux nains, vous devrez perdre un peu de celle que vous êtes actuellement ?

- Oui... cela me fait peur, car je ne sais pas qui je serai au final, répondit sincèrement Tauriel.

- Kili devra faire une partie du chemin, fit Dis comme pour elle-même. Il devra admettre que les choses ne seront plus jamais ce qu'elles ont été.

Un nouveau sourire, à peine esquissé.

- Je vous aiderai si je le peux.

OOoOO

Tauriel avait longuement réfléchi à son problème. Elle connaissait le but à atteindre, c'était les moyens qui faisaient défaut. Dis ne lui avait donné aucun conseil, elle lui avait seulement parlé des nains, de leur manière d'être et de concevoir les choses. Comme si elle pensait que le reste irait de soi.

L'elfe aurait bien continué sa tournée des membres de la famille mais Thorin était inaccessible : même s'il n'avait pas eu une telle réserve à son égard, on ne dérange pas un roi comme cela. En attendant de trouver un moyen de lui parler, elle devait essayer de se mêler plus étroitement à la population d'Erebor.

Après mûres réflexions, elle prit ses armes et, ainsi nantie, le chemin des terrains d'entraînement. Elle y était allée quelquefois, rarement, avec Kili. Tous deux s'étaient amusés à se défier au tir au l'arc. Ils étaient après tout d'excellents archers, même si l'adresse et la rapidité des elfes était sans équivalent.

Sitôt sur place, Tauriel put constater de visu tout le chemin qui lui restait à parcourir : tous les nains qui étaient présents la regardèrent avec froideur, nombre de ceux qui étaient occupés à s'affronter ou à s'entraîner s'arrêtèrent pour la toiser d'un air peu amène et, lorsqu'il apparut qu'elle allait rester, nombre d'entre eux abandonnèrent leurs occupations pour se ranger sur le pourtour de l'arène et la regarder, sans la moindre aménité. Il avait suffi qu'elle paraisse pour que l'ambiance devienne glaciale.

Sans se démonter, l'elfe banda son arc et décocha plusieurs flèches, en plein centre de la cible. Lorsque Kili était là, ils pouvaient s'amuser à se lancer des cibles mouvantes, mais là... elle s'ennuya dès la seconde flèche, enchaîna en lançant sa dague, estima que décidément elle perdait son temps. Se mêler à eux... se fondre dans la masse... Une chose était certaine, elle était le centre de l'attention ! Une attention guère bienveillante, d'ailleurs. Même ceux qui faisaient mine de s'affronter à la hache ou à l'épée la surveillaient du coin de l'œil.

Elle remarqua, à l'entrée du terrain, un jeune nain aux cheveux roux qui tenait un épais manuscrit roulé dans sa main. Celui-là n'était pas venu pour manier des armes, il devait passer par là par hasard et s'était arrêté. Tauriel le connaissait de vue, d'ailleurs. Il faisait partie de la Compagnie de Thorin et il était l'un des rares à avoir conservé des relations de franche camaraderie avec Kili. Ce dernier le lui avait présenté mais, sur le coup, son nom ne lui revint pas. Un nom en "i", c'était tout ce dont elle était sûre.

Ayant récupéré ses flèches et sa dague, elle se dirigea vers deux nains qui, un moment plus tôt, s’entraînaient avec des haches de lancer. A présent, ils la regardaient venir, l'air méfiant, et l'expression de leur visage n'avait rien d'avenant ou d'encourageant.

- Voudriez-vous me permettre d’essayer ? demanda-t-elle en désignant les lames. Je ne connais pas cette arme et j’aimerais me familiariser avec elle.

Silence.

L’un des deux nains parut sur le point de parler, finalement se détourna et s’éloigna. Son compagnon continua à toiser l’intruse en silence et l'on pouvait voir qu'il se retenait de livrer le fond de sa pensée. Tauriel ne voulait pas capituler si vite, mais devant l'hostilité qu'on lui manifestait, elle était partagée entre l'indignation et le désarroi. Elle aurait bien dit à son tour ce qu'elle pensait de la grossièreté des nains mais, outre qu'elle craignait que cela fasse du tort à Kili, qui n'avait déjà plus tellement d'amis, elle savait que les gens d'Erebor avaient reçu pour consigne de la respecter : eux-mêmes n'étant pas libre de parler à leur guise, il lui était difficile à elle de les prendre à parti ! Le silence perdura et la situation devenait intenable lorsqu'une voix douce se fit entendre :

- Je peux vous montrer, si vous voulez.

Ori. Elle se souvint de son nom en pivotant sur ses talons. Ori qui rougit devant les regards des autres nains, désapprobateurs, presque malveillants, mais refusa de baisser les yeux : comme tous les siens, il avait de la suite dans les idées.

- Tu en as encore besoin ? demanda le jeune nain en désignant les armes abandonnées à celui qui se tenait, toujours silencieux, juste devant Tauriel.

Ce dernier haussa les épaules, leur jeta à tous deux un regard dégoûté et s'éloigna. Ori, remarqua l'elfe, avait les mains vides. Il devait avoir déposé son manuscrit à l'entrée de l'arène. Il se saisit des haches et leva vers elle un regard contrit :

- Je ne suis pas un expert, s’excusa-t-il à l'avance. Je connais la théorie, plus que la pratique.

Tauriel lui sourit pour l'encourager.

- C'est gentil de votre part de partager ce que vous savez avec moi, dit-elle.

Le jeune nain expliqua rapidement comment tenir les haches de lancer, puis fit une démonstration il est vrai peu probante. Tauriel essaya après lui et s'en sortit moyennement également, son adresse et son habileté compensant le poids des armes et leur forme, inhabituels pour elle. Ori et elle recommencèrent à plusieurs reprises, prenant de l'assurance à mesure.

- Quelle est votre arme préférée ? demande l'elfe lorsqu'ils commencèrent à en avoir assez.

Le nain eut un drôle de petit sourire d'excuse et sortit de sous sa tunique... un lance-pierres ! Tandis que sa partenaire dissimulait de son mieux sa surprise, il fouilla ses poches à la recherche d'un petit sac contenant des billes de plomb, se plaça face à la cible et tendit son arme. Il tira cinq fois et fit mouche à chaque fois. Revenue de son étonnement, Tauriel convint qu'une bille de plomb bien dirigée, lancée par une arme de jet, pouvait faire très mal à celui qui la recevait... elle pouvait même tuer ! Ce nain, décida-t-elle, était néanmoins très spécial. Pourtant, si Thorin l'avait accepté dans sa Compagnie, c'était que sa valeur était indiscutable. Et ce qui ne gâchait rien, c'était l'ami de Kili, un ami suffisamment fidèle pour ne pas lui tenir rigueur de ses amours insensées !

- Et l’épée ? demanda –t-elle.

Ori rougit à nouveau.

- Je ne suis pas très doué, avoua-t-il. Je ne connais que les techniques de base.

- Voulez-vous que je vous aide à vous améliorer ?

Il se rendit à la salle d'armes pour y trouver une lame et tous deux s'affrontèrent un moment, Tauriel décortiquant chacun de ses mouvements pour que son compagnon puisse les reproduire sans difficulté.

- Ils vont dire que je me bats à la manière des elfes ! gloussa Ori, que cette leçon d'escrime paraissait enchanter.

Tauriel se rembrunit légèrement.

- L'important n'est-il pas d'être efficace ? Et... de rester en vie ?

- Oh si, sûrement !

Il paraissait inexplicablement gai.

- Qu'est-ce qui vous amuse ? se risqua à demander la jeune femme.

- Mes frères ont tendance à toujours me considérer comme un enfant. Ils semblent aussi croire que je suis trop maladroit pour tenir une épée. Fili et Kili sont trop forts pour moi et n'ont pas la patience de reprendre les bases... Je suis bien content que vous me fassiez cette démonstration !

Tauriel sourit franchement, gagnée par la candeur de son partenaire. Lorsqu'ils se séparèrent un bon moment plus tard, elle se dit qu'elle comptait un nouvel ami à Erebor.

Croisant le regard glacial d'une sorte de colosse au crâne couvert de tatouage qu'elle reconnut pour être le bras droit de Thorin et qui avait dû assister à une bonne partie de la séance, elle pria pour ne pas s'être fait, parallèlement, de nouveaux ennemis !

OOoOO

La visite de la jeune elfe aux terrains d’entraînement ne demeura pas sans conséquence. Dès qu’il fut mis au courant (et il se trouve toujours quelqu’un pour vous informer de ce genre de choses), Dori fit une scène à Ori, lui rappela longuement que les elfes étaient leurs ennemis, que ce n’était pas parce qu’une fois, par hasard, ils avaient pu combattre ensemble qu’il fallait oublier l’antagonisme héréditaire de leurs deux races, enfin lui défendit de recommencer.

- Mais elle est des nôtres, à présent ! protesta le jeune nain. Et elle est très gentille. Je ne vois pas pourquoi…

- Si tu commences à frayer avec les elfes, les autres n’auront plus confiance en toi ! cria Dori, contrarié par cette résistance inattendue.

- Il ne s’agit pas « des » elfes, riposta le benjamin, agacé. Il s’agit de Tauriel. Et Kili….

- Ca suffit, Ori ! Crois bien que je sais ce que je dis !

Tandis que l’ambiance était à l’orage de leur côté, Dwalin de son côté avait informé Thorin de ce qui était arrivé. Il l’avait trouvé dans son cabinet de travail, attablé devant une collation que le roi, d’un mot, l’avait convié à partager avec lui.

- Les nôtres, dit-il pour conclure son récit, l’ont mal pris, Thorin.

L’intéressé soupira.

- Je ne peux pas lui interdire l'accès aux terrains d’entraînement, dit-il en désossant une cuisse de volaille dans son assiette sans lever les yeux vers son ami.

- Les gars n’ont rien dit parce que tu as donné l’ordre de la traiter poliment, mais ils n’en pensent pas moins, insista Dwalin qui chipotait la nourriture, trop préoccupé pour avoir faim. Un jour ou l’autre, il y aura un esclandre… ou un accident.

- Ce n’est pas une prisonnière, répondit Thorin d'un ton las. Je ne peux pas l’empêcher de se déplacer à son gré dans Erebor. Tant qu’elle ne cause aucun scandale….

- C’est ce que je suis en train de t’expliquer ! riposta le guerrier, agacé. Le scandale, c’est sa seule présence ! Personne ne veut avoir quoi que ce soit à faire avec elle, il n’y a qu’une linotte comme Ori pour se risquer sur ce terrain, et ça m’étonnerait que Dori lui permette de recommencer.

- Si un jour nous avons à nous battre, elle combattra à nos côtés.

Thorin mastiquait lentement, regardant son ami d’un air pensif.

- Thorin, personne ne veut d’elle, ni ici, ni à nos côtés !

- Si !...

Le Roi sous la Montagne s’essuya la bouche et but une gorgée de vin.

- …. Kili.

Dwalin secoua la tête d’un air accablé puis se leva pesamment de table.

- Eh bien, dit-il, je ne sais pas où tout ça va nous mener.

- Dwalin…

- Oui ?

- Si elle veut s’entraîner, tu pourrais peut-être lui servir de partenaire.

L’intéressé ouvrit des yeux ronds :

- Moi ?!

- Pourquoi pas ? De la part d’Ori c’était imprudent, mais toi, tout le monde te respecte. Tu pourrais donner l’exemple.

Dwalin secoua farouchement la tête :

- Ne me demande pas ça !

Thorin n’insista pas. Demeuré seul, il alla s’appuyer au manteau de la cheminée et s’abîma dans ses réflexions. Evidemment, Dwalin avait raison. Tout cela commençait à poser problème, un problème qui ne se résoudrait pas tout seul. Parler à Tauriel ? Pour lui dire quoi ? Insister pour qu’elle ne se promène pas seule à Erebor et que, sauf à être accompagnée de Kili, ou Fili à la rigueur, s’il ne craignait pas le qu’en-dira-t-on, elle évite les terrains d’entraînement ? Restreindre ses mouvements, ne lui accorder qu'une sorte de liberté surveillée ? Impensable. Kili ne le tolérerait pas. Et par Mahal ! Même si cette idée lui était odieuse et qu'il éprouvait de la répulsion à seulement penser à ce mot-là, elle était son épouse ! Que faire, alors ? Dwalin lui-même, qui n'avait certes pas froid aux yeux et se moquait éperdument de ce que pouvaient penser les autres, répugnait à être vu avec elle ! Thorin ne pouvait pas imposer cela à l’un de ses guerriers. Et il n’allait tout de même pas… Interrompant le cours de ses pensées, il se remémora Kili tel qu’il l’avait vu juste avant son départ. Un souvenir qui lui fit mal. Fili avait vu juste : à cause de cette fille, ils étaient en train de perdre Kili. Diables d’elfes !

A pas lents, plongé dans ses cogitations, Thorin s’approcha cette fois de la fenêtre, à travers laquelle il regarda sans rien voir. Il espérait que cette courte mission ferait du bien à Kili, que Fili saurait lui remonter le moral. Mais même si c’était le cas, tout recommencerait à son retour car rien n’aurait changé, bien au contraire. Il fallait faire quelque chose, c’était évident. En vérité, réalisa Thorin, j’aurais dû me douter que ça tournerait comme ça, j’aurais dû m’y prendre autrement. Seulement voilà, frayer avec cette fille...

Il va falloir choisir entre perdre Kili ou accepter l'elfe.

Thorin soupira à fendre l'âme.

D'accord. D'accord, il n'avait pas été jusqu'au bout de la décision qu'il avait prise ce jour-là et l'idée lui en était toujours aussi détestable.

D'accord.

Mais Kili était en train de dépérir ! Il avait espéré qu'accepter la fille à Erebor suffirait, or il n'en était rien.

Bon....

Thorin appela le garde qui se tenait en permanence devant sa porte et lui ordonna de faire savoir à Tauriel qu’il souhaitait lui parler.

Elle se présenta un quart d’heure plus tard (et elle avait fait vite ! Erebor n’était pas précisément une petite cité !), à la fois contente et inquiète. Contente parce que, elle qui se creusait la tête en vain pour trouver comment aborder Thorin, voilà qu’il lui en offrait l’occasion sur un plateau ! Un peu inquiète cependant car elle se demandait ce qu’il lui voulait. Ce n’était sûrement pas pour s’enquérir de sa santé qu’il demandait à la voir, n’est-ce pas ? Tauriel se doutait que son passage au terrain d’entraînement devait y être pour quelque chose. Elle avait bien vu la réaction des nains qui se trouvaient là !

Quelques jours plus tôt, elle aurait pris la décision de s’excuser si le roi lui faisait des reproches et de lui promettre de ne pas recommencer. Mais ça, c’était avant la résolution qu’elle avait prise la nuit qui avait précédé le départ de Kili et sa conversation avec Dis ! Elle devait absolument s’imposer… même si elle se doutait que ce ne serait pas chose facile. Voyons, Thorin aimait Kili comme un fils, tout le monde était unanime là-dessus, il devait y avoir un moyen de s'entendre avec lui, non ? Malheureusement, s'il aimait Kili, il détestait les elfes... ça non plus, ça ne faisait aucun doute !

Lorsqu’elle entra dans le cabinet de travail de Thorin, elle le découvrit devant la fenêtre, le regard perdu au loin, au-delà de la croisée. Ouais... il n'allait pas lui faire le coup de celui qui pense si fort qu'il ne s'aperçoit pas qu'il a de la visite, tout cela dans l'unique but de la faire lambiner une heure !

- Monseigneur ? s’enquit-elle poliment. Vous avez demandé à me voir ?

- Kili va mal.

Il ne l’avait pas regardée, n’avait même pas tourné la tête vers elle. Ce n’était pas ce à quoi Tauriel s’attendait mais elle répondit toutefois :

- Je le sais.

- Et vous savez aussi pourquoi.

- Oui, je le sais, répéta-t-elle.

Son cœur cognait avec force dans sa poitrine. Thorin avait peut-être sa propre opinion sur les moyens à mettre en œuvre pour venir en aide à son neveu !

- Vous vous êtes rendue aux terrains d’entraînement, ce matin.

Voilà, on y était. Tauriel prit une profonde inspiration, priant les Valars de bien vouloir l’inspirer. Elle ne pouvait pas se permettre le moindre faux pas. Pas avec Thorin. Si elle l’offensait d’une manière ou d’une autre, même involontairement, la situation empirerait encore.

- Je dois absolument m’intégrer, répondit-elle en choisissant ses mots avec soin. Il faut que votre peuple m’accepte, pour que Kili retrouve goût à la vie et qu’il ne soit plus traité en paria comme c’est le cas actuellement.

Elle aurait bien ajouté que si son oncle consentait à lui montrer qu’il le soutenait, ça arrangerait les choses, mais elle s’en garda bien : c’était précisément là un faux pas à ne pas commettre ! Dis était certainement mieux placée qu’elle pour aborder ce sujet et, si elle-même ne le faisait pas, elle devait avoir ses raisons.

Thorin ne répondit pas, ne bougea pas, et Tauriel se demanda s’il était vraiment plongé dans ses propres pensées ou si, tout simplement, il refusait de la regarder. Juste comme elle se posait cette question, le roi nain consentit enfin à lui faire face et plongea son regard dans le sien.

- Il sera très difficile, dit-il, de vous faire accepter par mon peuple.

Ne sachant pas comment elle devait le prendre, la jeune elfe préféra ne pas piper mot. Son cœur battait toujours la chamade et elle s’efforça à nouveau d’inspirer à fond, afin de se calmer.

- Ori a accepté de vous servir de partenaire, ce matin, à l’entraînement, poursuivit Thorin. Il est jeune, innocent. Sachez toutefois qu’il n’aura probablement pas l’autorisation de recommencer.

- Parce que vous allez le lui interdire ?

Zut ! Tauriel se mordit la langue : les mots étaient sortis tout seul.

- Non, pas moi. Mais c’est un garçon très docile, qui a l’habitude d’obéir à son frère aîné. Il est probable que Dori s’opposera à ce qu’il recommence.

- Je… balbutia l’elfe, prise de court. Il s’est proposé, je ne pensais pas qu’il avait des comptes à rendre… J’espère ne pas lui avoir attiré d’ennuis.

- Rassurez-vous. Toutefois, à l’avenir….

Il parut à Tauriel qu’à son tour, Thorin prenait une grande inspiration pour se motiver :

- …. si vous souhaitez encore vous rendre aux terrains d’entraînement, je vous ferai savoir quand moi, j'y serai présent.

- Vous ?! souffla Tauriel, abasourdie.

Cette fois, Thorin s’inclina légèrement, d’un air moqueur. Les elfes sont toujours maîtres d’eux-mêmes et il est très rare qu’ils laissent paraître ce qu’ils éprouvent mais, pour le coup, Tauriel était si stupéfaite qu’elle ne put le cacher.

Il lui fallut quelques instants pour accuser le coup et remettre ses idées en place. Thorin ne faisait pas cela de gaieté de cœur, comprit-elle. Encore moins pour ses beaux yeux. Il le faisait pour son neveu. Evidemment, si le roi lui-même montrait l’exemple, les nains seraient tout de suite plus enclins à réviser leur façon de voir les choses. En tous les cas, on pouvait l’espérer. Et Tauriel savait d’avance que Kili en serait enchanté. Mais mieux encore, se dit-elle, cela voulait dire que Thorin approuvait son désir de s’intégrer, il allait même l’y aider. Il aurait pu lui compliquer la tâche, voire la lui rendre impossible, or, tout au contraire, il allait y collaborer.

Si elle avait suivi son premier mouvement, impulsif, Tauriel lui aurait sauté au cou. Elle se retint juste à temps : il l'aurait assurément très, très mal pris ! Elle venait d’obtenir en un instant bien plus que ce qu’elle avait espéré gagner en plusieurs semaines, sinon plusieurs mois, alors il ne fallait pas tout gâcher par un geste inconsidéré. Et elle n'avait aucune envie qu'il l'accuse de crime de lèse-majesté ! Merci, elle n'avait vraiment pas besoin de ça ! Elle devait se montrer prudente, avancer avec circonspection, bien réfléchir avant d’agir ou de parler.

Elle sourit, toutefois, un sourire lumineux, et le salua avec une grâce toute elfique :

- Je vous remercie, dit-elle –et sa voix était pleine de soleil. J’ai conscience que ce n’est pas facile, pour vous.

- Non, répliqua Thorin d’un ton ironique, ce n’est pas facile pour moi, en effet !


Texte publié par Syrène, 4 juillet 2014 à 20h33
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