Chapitre 9
Léopold
Après un instant de silence, je lui prends la main. On visite ?
Elle hoche la tête et me suit. Elle n’a jamais été aussi silencieuse. Elle m’inquiète.
L’appartement est un petit deux pièces, propre et blanc. Le lit est fait, il ne reste plus qu’à déballer mes affaires. Elo s’asseoit dans la chambre et me regarde vider les sacs pour tout ranger dans l’armoire ou sur la table du salon. Je ne sais pas comment elle a réussi à faire rentrer tous mes vêtements ou quasiment dans d’aussi petits sacs. Ça ressemble au bagage de Mary Poppins, sans fond.
Dans la valise, il y a des bouquins pour la fac, des cahiers de cours et celui qu’elle m’a offert. Il y a aussi quelque chose d’emballé.
- Pour les autres livres, c’est dans ma chambre. Je pourrai te les apporter au fur et à mesure si tu veux. Dis-moi ceux dont tu as besoin en priorité.
- Qu’est-ce que c’est ? demandé-je en montrant le paquet.
- Ce dont je t’avais parlé.
J’ai très envie de l’ouvrir, mais je sens aussi qu’il faut qu’on parle. J’opte pour la conversation.
- Tu m’en veux ?
- Je ne sais pas.
Bon, finalement je vais déballer le paquet.
- Tu m’avais promis.
J’arrête mon geste et la regarde. Elle a les yeux qui brillent à la fois de tristesse et de colère.
- Tu m’avais promis que tu ne partirais pas sans moi. Tu crois que j’ai ressenti quoi ? tu n’étais pas à la sortie du lycée, tu ne m’avais pas écrit et ta chambre était vide. Comme si tu avais juste disparu. Comme si tu m’avais juste laissée là.
Après un silence, je la regarde droit dans les yeux et essaie de tout lui expliquer.
- J’ai fini les cours à midi. Je suis rentré. Guy et mon père m’attendaient. Ils avaient l’air de s’être disputés. J’ai même pas eu le temps d’arriver dans la cuisine. Guy m’a choppé dans l’entrée. Il m’a arraché les clefs des mains, a pris mon portable et m’a plaqué contre la porte. Il m’a dit de partir, de ne jamais revenir. Mon père était là, les yeux baissés sur le tapis. Il lui a dit de me laisser, l’a forcé à me lâcher. Et je suis parti. Je me suis retrouvé dans la rue avec mon sac, un classeur, mon deuxième téléphone et mon ordi. Tout était à trois mètres de moi mais je ne pouvais pas le récupérer. J’ai eu l’impression d’avoir tout perdu. Mes affaires et toi. Notre vie là-bas. Une partie de moi avait toujours voulu ça, mais soudain j’ai juste eu peur… Je crois que je me suis vu comme Guy me voit : comme une sorte de déchet inutile, un poids. J’ai pas réussi à t’appeler parce que tu te serais inquiétée pour moi, et je me serais senti encore plus un poids. Cette fois-ci auprès de la seule personne qui compte pour moi. Je l’étais déjà pour mon père et Guy. J’ai pas réussi à l’être pour toi.
Elo me regarde quand je lui parle. Elle a l’air d’hésiter sur la conduite à tenir me concernant. M’arracher les yeux semble être une possibilité qu’elle envisage.
- J’ai erré une partie de l’après-midi, j’ai été travailler au resto et en sortant j’ai appelé Clément. Une fois que j’étais allongé dans un sac de couchage sur le sol de sa chambre, j’ai pris mon courage à deux mains et je t’ai écrit. Je savais que tu t’inquiétais, que tu m’en voudrais. Que j’étais lâche. Je revenais pour toi. J’avais juste besoin de quelques heures avant de le faire.
Elle marmonne quelques mots inintelligibles et regarde le paquet toujours à moitié déballé dans mes mains. J’arrache le reste du papier. C’est un dessin qu’elle a fait au stylo. Un portrait. Celui d’un jeune homme blond, aux cheveux longs, qui tient une guitare et semble prendre des notes sur un carnet. Il est concentré. Quelque chose émane de lui. Une beauté douce. Une force tranquille. Comme une aura lumineuse.
Je la regarde.
- C’est toi. C’est comment je te vois, moi. Pas comme un poids. Mais comme… celui qui me porte. Qui me rassure. Qui m’inspire. J’ai besoin de toi, ajoute-t-elle doucement.
J’ai plutôt l’impression que c’est moi qui ai besoin d’elle. Mais il faut croire que je lui apporte autant de force que celle qu’elle me communique. Je la remercie en la serrant dans mes bras.
La soirée qu’on passe est surréaliste. Déjà parce qu’on se fait livrer une pizza dans un lycée. Ensuite parce que dans l’appartement on devait toujours être calme et enfermé dans une chambre. Là on peut parler normalement et être dans le salon. On est tout à coup très libre et c’est presque intimidant.
Et accessoirement on s’est embrassé tout à l’heure.
- Tu as apporté des affaires pour dormir ici ?
Elle secoue négativement la tête.
- Tu pourras laisser des trucs… à toi. Ici. Pour les autres fois. Je veux que tu te sentes aussi libre de venir que dans ma chambre avant. D’ailleurs, le deuxième trousseau, c’est pour toi.
- Et quand c’était toi qui avais envie de venir dans ma chambre ?
- Je t’écrirai. Ou je t’appellerai. En attendant, tiens, tu peux prendre ce tee-shirt.
Quand elle ressort de la salle de bains, elle a les cheveux un peu humides et je comprends pourquoi le fait que la fille porte les vêtements de son copain est un cliché des romances. C’est sexy. Comme si une partie de moi recouvrait sa peau. Comme si elle était à moi.
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