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Chapitre 3

Elodie

Hier soir, je me suis endormie seule dans ma chambre, mais j’ai senti que dans la nuit Léo était venu me rejoindre. Il est discret quand il dort chez moi : ma chambre n’a pas vraiment de verrou, juste un petit loquet. Je ne sais pas comment il fait pour y dormir alors qu’il n’y est pas en sécurité. A six heures trente, quand le réveil a sonné, j’étais dans ses bras, au chaud. C’est pour ça qu’il est venu : pour que j’ai un beau réveil d’anniversaire.

Il m’embrasse sur le front en souriant : Joyeux dix-septième anniversaire Elo.

Quelques minutes passent et il se détache : j’ai un cadeau pour toi. De sous l’oreiller il sort une petite boite blanche. Comme dans les Kdrama que tu regardes.

- Hey, tu en regardes avec moi.

Dans les séries coréennes que j’affectionne, le protagoniste masculin offre parfois des bagues assorties à celle qu’il aime pour prouver son amour et montrer qu’ils sont dans une relation sérieuse. Chacun en porte une.

C’est ce qu’il y a dans la boite. Deux bagues simples, deux anneaux dorés avec un liseré noir. Il saisit la plus petite et la passe à mon index droit. Je fais de même avec l’autre bague, puis entrelace nos doigts pour voir les deux bagues côte à côte. Merci.

Le reste de la journée, je me sens légère. Je finis tôt, et décide de rentrer à pied, en passant par le parc. Je marche, mes air pods et ma musique coréenne dans les oreilles, et je me sens heureuse. Même si c’est un bonheur illusoire et de courte durée comme les averses de soleil du mois d’avril. Aujourd’hui, j’ai envie de croire que tout est possible.

En passant devant le salon de tatouage et de piercing, je me décide. Je ressors trente minutes plus tard avec l’oreille droite en feu mais arborant à l’intérieur de l’oreille un piercing en strass. Je me regarde dans une glace, me mets du rouge à lèvres et, avec mon piercing et mes longs cheveux bruns et lisses, je me trouve plutôt jolie.

En rentrant, ma mère est là, qui pousse des hauts cris pour le piercing et le rouge à lèvres. Elle n’est jamais là mais se permet de tout critiquer et de tout juger. Je hausse les épaules et entre dans ma chambre. J’entends la porte se fermer : c’est Léo. Fais voir !

Je me retourne et je vois dans ses yeux que lui aussi il me trouve jolie.

- Elle n’y connait rien.

A table, finalement, c’est ma mère qui s’est mise en face de moi : laisse-moi te regarder ma chérie ! Comme tu as grandi !

Je sens Léo, silencieux et tendu comme la corde d’un arc, assis à ma gauche. Jérémy ouvre le champagne – Guy préfère une bière – et nous en sert à tous. J’ai à peine touché à mon verre que l’atmosphère s’alourdit. La première attaque vient de ma mère.

- Bon par contre ce look, là, avec le piercing et le maquillage, ça commence à faire beaucoup non ?

- Non, je n’ai pas encore les cheveux bleus et un tatouage écrit en coréen sur le bras.

La bière de Guy claque sur la table et Léo pose sa main sur ma cuisse pour m’apaiser.

- Continue dans ton look et tes fréquentations : tu finiras sur le trottoir.

Je pose ma main sur celle de Léo.

- Hein Jérémy, continue Guy, et ton con de fils, il va faire quoi lui ? Il veut être écrivain, quelle connerie !

Nos doigts entrelacés, Léo et moi finissons en silence notre coupe de champagne. Quand le téléphone de ma mère sonne et qu’elle disparait de la cuisine pour répondre, je me lève et commence à débarrasser la table. Léo est derrière moi, m’imitant, restant dans mon ombre avant de fuir avec moi dans une des deux chambres. Je vais me coucher, désinfecter mon piercing et me mettre en pyjama. Puis j’attends qu’il en fasse autant, installée sur son lit avec mon carnet à dessin.

Il paraît soulagé quand il me voit ainsi.

- C’est plus safe de fermer la porte.

Il acquiesce et attrape sa guitare avant de s’installer près de moi. Il compose, joue, chante, écrit. Ce sont des poèmes tristes et doux. A son image. Ce soir, je le dessine, lui. Il est mon modèle mais aussi ma muse je crois.

- Depuis quand tu dors dans la chambre de Léo ? me demande ma mère le lendemain.

Je hausse les épaules. Mais elle insiste, me prend par le bras, crie, me fait mal.

- Depuis qu’on a tous les deux peur de vivre ici !

Elle recule. Elle est un peu sous le choc mais elle ne dira rien, ne fera rien. Comme d’habitude.

Une fois que je suis dans la rue, grommelant toute seule ma colère, Léo me rattrape en courant, me tendant un petit pain. Effectivement, j’avais oublié le petit déjeuner.

Dans les semaines qui suivent, ma mère est là, et l’ambiance est moins stressante à l’appartement. Guy ignore Léo, et les remarques agressives se limitent à mon piercing, ses cheveux longs et notre absence d’avenir à tous les deux en tant qu’écrivain et illustratrice.