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Chapitre 2

Elodie

Dormir ensemble s’est fait petit à petit. Quand chacun a commencé à prendre soin de l’autre. Au début, on s’attendait pour manger ou pour partir, on se tenait au courant de l’heure à laquelle on rentrait pour ne pas affronter l’appartement seul.

Puis il a récupéré la guitare et commencé à en jouer. Je l’écoutais de loin, dans ma chambre, et peu à peu j’ai fini par m’installer dans la sienne pour l’écouter. Je prenais mon cahier de dessin ou ma tablette graphique. Sa musique et sa présence m’inspiraient.

Un jour, quand il est rentré, il m’a trouvée abattue au fond mon lit. Hey, ça ne va pas ?

- Non, je suis triste et j’ai mal au ventre.

- Tu as tes règles ?

Alors que j’acquiesçais d’un hochement de tête, il a disparu, pour revenir quelques minutes plus tard avec une bouillote. Il s’est installé sur le lit avec moi, contre mon dos et m’a placé la bouillotte chaude sur le ventre. Endors-toi, ça va te faire du bien. C’était la première fois qu’on dormait ensemble.

La seconde, c’était après un épisode de Guy particulièrement violent. J’allais laisser Léo dormir après la séance de bandage, quand il m’a retenue par la main. Reste.

Après, c’est devenu une habitude. Une habitude rassurante. On ne fait pas ça toutes les nuits. Mais souvent. On ne passe pas toutes nos soirées ensemble. Mais… souvent. Disons que le second à rentrer s’installe souvent dans la chambre de l’autre.

Le lendemain matin, Guy est debout et n’est visiblement pas de bonne humeur quand j’arrive dans la cuisine. Heureusement, je suis prête à partir. Mon sac sur le dos, il faut juste que je parvienne à attraper une tartine ou deux. Je boirai un café au lycée, tant pis.

Entrer, prendre du pain, sortir. Ne rien dire. Etre discrète.

Peine perdue : j’ai à peine commencé à couper la baguette que Guy me gifle et mes lunettes tombent sur le plan de travail. Sale pute. C’est comme ça que je t’élève, pour que tu fasses la pute avec ce petit con ?

Je lève les yeux vers lui. Il est beaucoup plus grand que moi, même si je ne suis pas petite. Baisse les yeux quand je te parle.

Nouvelle gifle.

Je baisse les yeux, récupère mes lunettes et prends ma tartine.

Avant de recevoir une troisième gifle, une main attrape mon poignet et me fait courir à travers le couloir, descendre l’escalier à toute vitesse. On s’arrête dans la rue, essouflé.

- Ça va ?

Je hoche la tête et Léo prend délicatement mon visage dans ses mains pour inspecter les dégâts. Tu es un peu rouge, mais il n’y a pas de grosses marques. Puis, il sourit et dépose doucement un baiser sur ma joue gonflée. Je partage le pain en deux, lui en tends un morceau et on se dirige vers le tramway. Même si on est tous les deux au lycée, on ne va pas dans le même. Nos chemins se séparent pour la journée.

Le mardi, le cours d’arts est le premier de la journée. Mme D. fixe tout de suite son regard vif sur ma joue : je vois bien qu’elle a envie de dire quelque chose mais qu’elle se retient. Elle m’avait parlé de l’assistante sociale une fois. A mon avis elle a envie de remettre ça sur le tapis. Mais j’esquive. Demain c’est mon anniversaire. Je suis une fille d’avril. Ma mère sera là. On dînera tous ensemble et ce sera un cauchemar. Je hais ces repas. On fait semblant d’être une famille et de s’apprécier. Léo sera un fantôme assis en face de moi. Et je devrai me taire pour ne pas hurler à Guy tout ce que je pense de lui, et aux autres ce qu’on vit par leur indifférence.