Finnian regarda le paquet de lettres qu’on avait déposé dans son casier, déjà découragé de la longue journée qui l’attendait, de la chaleur, des côtes auxquelles il ne s’habituerait jamais, et surtout des discussions interminables de Madame Gentra. Il en saisit quelques unes et commença à examiner les adresses des destinataires afin de concevoir le trajet le plus efficace. Trois pour Monsieur Naurice, deux pour Madame Gentra, une seule pour le Père Durot, et cinq pour Monsieur de Beaureville, dont trois pour sa fille. Il jeta un coup d’oeil à travers la fenêtre, en direction du soleil, n’imaginant que trop bien le cagnard infernal qui devait régner dehors, quand un nom attira son attention. Noëlle Datura. La jolie jardinière, c’est ainsi que ses collègues la surnommait pour se moquer de son béguin pour la jeune fille qui s’était installée en périphérie du village, il avait quelques mois de cela.
Il s’agissait de la première lettre qu’elle recevait depuis son arrivée. Il le savait parce que chaque matin quand matin, lorsqu’il passait devant son petit cottage de briques rouges lors de sa tournée, bien que ce ne soit pas toujours nécessaire, elle l’arrêtait pour lui demander s’il n’avait pas du courrier pour elle, la déception empreignant son visage lorsqu’il lui répondait systématiquement par la négative.
Il ignorait de qui elle attendait tant cette lettre, si ce n’est que cette personne faisait parti de sa famille. Mais famille était un mot bien large, pouvant se rapporter à la famille proche comme à celle plus éloignée en passant par le mari, hypothèse qu’il redoutait le plus. Dans tous les cas, elle devait énormément tenir à elle. Enfin cela ne le regardait pas, comme lui répétait sa sœur avec ennui chaque fois qu’il lui en parlait le soir, il n’était qu’un simple facteur, un simple transmetteur de message, un inconnu dans la vie de la jeune demoiselle. Il n’avait jamais réussi à être plus pour elle. Elle ne sortait que très peu et la seule fois où il avait l’occasion de lui parler, c’était pendant sa tournée, et il se voyait mal lui proposer un rendez-vous juste après avoir brisé ses espoirs d’une réponse tant attendue d’un être cher.
Mais là, une occasion se présentait enfin ! Oh ! Qu’il se réjouissait de pouvoir être l’heureux élu qui lui délivrerait cette lettre ! Qu’il était impatient de revoir son sourire éclatant, celui-là même qui l’avait fait tomber sous son charme, naître sur ses lèvres rosées. Peut-être même qu’elle le serrerait dans ses bras ! Le bonheur ! Ce serait le moment idéal pour lui demander d’être sa cavalière pour la fête du village. D’après le nom sur l’enveloppe, l’expéditeur était une femme, alors il avait peut-être une chance.
Il enfourna les lettres dans sa sacoche, enfonça sa casquette bleu marine sur la tête et grimpa sur sa bicyclette, si guilleret qu’il en avait oublié la chaleur, les côtés, et les discussions de Madame Gentra. Lui qui, quelques dizaines de minutes plus tôt se plaignait du soleil cognant savourait à présent le beau temps et les petits oiseaux qui chantonnaient aussi joyeusement que lui… Une joie qui redoubla lorsqu’il aperçut enfin le petit cottage de brique rouge.
« Mademoiselle Datura ! S’exclama-t-il en s’arrêtant devant le portail blanc. J’ai du courrier pour vous !
- C’est v- ouch ! »
Il jeta un coup d'œil dans la cour de la jeune fille, qui devait certainement jardiner, comme à son habitude, s’était de toute évidence cognée contre une branche basse en voulant se relever un peu trop rapidement.
« Tout va bien Mademoiselle ? Vous ne vous êtes pas faites trop mal ?
- Non, c’est bon, tout va bien, ne vous inquiétez pas, répondit-elle en se frottant le crâne d’une main. J’ai vraiment reçu une lettre ?
- Oui, tenez. »
Un grand sourire éclaira son visage, si lumineux que le garçon en était presque ébloui. Elle saisit la lettre et, sans même attendre le départ de Finnian, s’empressa de l’ouvrir, fébrile. Ses yeux commencèrent à parcourir la lettre. Le garçon, gêné, demanda alors :
« D-dites… Si v-vous n’avez pas déjà d-de c-cavalier pour la fête du village, est-ce que ça vous dirait de m’acc- Mademoiselle Datura ? Quelque chose ne va pas ? »
Le regard de la jeune fille restait fixé sur la lettre. Son sourire s’était envolé. Ses mains tremblaient.
« Mademoiselle ? »
Elle sursauta. La lettre tomba. Ses jambes cédèrent, elle dût s’appuyer contre le portail pour rester debout. Finnian tenta de la soutenir mais elle refusa son aide d’un léger geste de la main.
« Je… Je suis désolée… Je… Je ne me sens pas très bien. Veuillez m’excuser, je pense… Oui, je pense que je vais rentrer me reposer un instant. »
Et elle s’éloigna en titubant lentement, comme si son corps devenait de plus en lourd à mesure qu’elle s’approchait de la porte, sa tête prise dans un balancement inquiétant.
Ses jambes cédèrent à nouveau, à quelques mètres de la porte, elle s’écroula au sol, mais cette fois-ci, elle ne se releva pas.
Dans un juron, il sauta par-dessus le portail et se précipita à ses côtés. Il tenta de la secouer, répétant inlassablement son nom, dans l’espoir qu’elle se réveille, mais rien n’y fit.
La peur lui saisit les entrailles. Et si… ? Non, sa poitrine se soulevait encore, à intervalles réguliers. Elle respirait toujours. Elle était juste évanouie.
Son regard fut alors attiré par la lettre, non loin d’eux, tâche crème dans la pelouse verte. Il prit la lettre et la lut. Ce n’était pas bien, il le savait, mais il voulait savoir qu’est-ce qui avait bien pu provoquer chez elle une telle réaction.
La lettre n’était composée que de deux courtes phrases :
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