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Note de l'auteure :⚠️Les chapitres de Manon sont difficiles à lire : phrases courtes, informelles avec un vocabulaire peu enrichi et les actions très décrites. Le personnage voit le monde différemment des autres personnes, les émotions/sentiments lui sont étrangers. Merci de prendre en compte ces informations durant votre lecture.

Vendredi 9 juillet 2032 - Manon

Aujourd’hui est un grand jour. Aujourd’hui, je rentre dans l’histoire. Aujourd’hui, je rejoins les étoiles.

Il y a dix ans, c’était mon père, Norman Anderson, qui se tenait assis sur ce banc dans les vestiaires de la NASA, vêtu de sa combinaison d’astronaute. Aujourd’hui, je marche sur ses pas, je vais reprendre là où il s’est arrêté, je vais rejoindre la navette spatiale Théanias. Je vais y rester une année entière pour poursuivre les recherches, étudier l’espace et les étoiles.

Si je suis là aujourd’hui, c’est grâce au dessin que mon père a gardé avec lui. En le voyant, j’ai su ce que je devais faire, j’ai su que je devais réaliser son rêve. Depuis dix ans, c’est devenu ma principale motivation, je me suis donné les moyens d’arriver jusqu’ici, je l'ai fait mon père, pour Letty et pour moi.

Après être revenue en Floride, j’ai repris mes études. J’ai travaillé avec acharnement pour me tenir sur ce banc aujourd’hui. Depuis que la NASA a annoncé la date du lancement et son équipage, je suis devenue une personnalité publique très suivie. Les journalistes et les paparazzis me suivent où que j’aille, le moindre de mes faits et gestes sont photographiés et analysés. Je suis devenue célèbre grâce à mon père, car dix ans plus tard je reprends la mission qu’il n’a pas pu effectuer.

Je suis seule dans les vestiaires à quelques minutes de rejoindre la fusée et la pression me tord l’estomac. Les médias ont favorisé ce sentiment, tout comme le stress et la peur de décevoir ceux qui comptent pour moi. J’ai appelé ma mère avant de quitter la maison hier soir, elle aurait aimé être là pour me soutenir, mais elle ne pouvait pas quitter l’Ouganda. Elle vit son rêve, je ne peux pas le lui reprocher. Elle m’a dit qu’elle m’aimait et qu’elle était très fière de moi. C’était tout ce que j’avais besoin d’entendre.

En dix ans, l’eau a coulé sous les ponts. J’ai réussi à pardonner à ma mère l’accident, et j’ai surtout réussi à me pardonner. Ça n’a pas été facile, j’ai encore parfois d’importants passages à vide, mais chaque fois je me relève, la tête haute. J’ai également appelé Makoto hier, il vit au Japon depuis quelques années. Nous ne nous voyons pas souvent, mais nous nous appelons régulièrement. Il est mon pilier, sans lui je ne serais jamais arrivée jusqu’ici, que ce soit dans ma carrière ou dans ma vie en général. Je ne suis pas guérie entièrement de mon alexithymie, mais je sais qu’un jour ce sera le cas, ce n’est qu’une question de temps. Depuis toutes ces années, je me force à comprendre, à apprendre, à devenir une autre personne et à me détacher de ma maladie. Mon imagination s’est développée au point que j’arrive à rêver. Je suis devenue une femme souriante qui parle plus facilement et qui arrive à aller vers les autres. Néanmoins, mon cerveau continue de me bloquer l’accès aux souvenirs de ma vie avec Letty. Je me souviens d’elle que partiellement. Charlie, qui est toujours resté à mes côtés, dit que mon cerveau me protège d’une trop grande souffrance, c’est une barrière qu’il a irriguée et que la casser demandera beaucoup de temps.

Une lumière rouge se met à clignoter dans les vestiaires et une voix s’élève. C’est le signal, il est temps pour moi de rejoindre l’embarquement. Je prends le dessin qui m’a amené jusqu’ici, ainsi que la photo de mon père et son équipe. Je les mets dans la poche de ma combinaison pour les avoir toujours avec moi, pour ne pas oublier. Je prends mon casque et quitte le vestiaire. Je rejoins les autres astronautes. L’équipe technique nous attend pour vérifier nos combinaisons tandis qu’une autre équipe vérifie la fusée. La porte extérieure s’ouvre et je prends la tête de l’équipe. Dehors le ciel est bleu et le soleil resplendit. Dans ma tête, je suis déjà en train de faire des calculs, je fais une estimation du pourcentage de réussite et de la marge d’erreur dans l’unique but de me rassurer et d’avoir la sensation que je contrôle la situation.

Je regarde la fusée se tenir sur son socle, elle est superbe et dans quelques minutes je me tiendrais à son bord pour rejoindre les étoiles. Une journaliste nous arrête et nous sommes photographiés des milliers de fois, les flashs me désorientent et je peine à trouver mes repères. C’est dans ce genre de situation que ma condition d’alexithymie refait le plus surface. La journaliste tend un micro devant mon visage et commence à me poser plusieurs questions auxquelles je réponds avec le sourire. Les questions portent sur la mission qui nous attend, mais surtout sur mon ressenti à l’idée de marcher sur les pas de mon père dix ans plus tard. Je n’aime pas comment tout le monde parle de lui, ils ne prennent pas la peine de réfléchir au mal que ça peut me faire de repenser à sa mort, mais je prends sur moi, et réponds.

Je souris une dernière fois aux caméras et aux photographes, puis mon équipe et moi rejoignons la fusée. À partir de l’instant où mes pieds se posent sur la plateforme qui va nous monter jusqu’au cockpit, plus rien ne compte que cet instant. Je revois mon père, à travers la télévision, se tenir à la même place que moi. Je suis prise de fierté, je ferme quelques instants les yeux pour savourer ce moment, pour rendre hommage à mon père et à Letty. Je regarde une dernière fois la Floride qui s’étend sous mes yeux et entre dans la fusée.