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tome 1, Chapitre 27 « Le bleu des souvenirs » tome 1, Chapitre 27

Note de l'auteure :⚠️Les chapitres de Manon sont difficiles à lire : phrases courtes, informelles avec un vocabulaire peu enrichi et les actions très décrites. Le personnage voit le monde différemment des autres personnes, les émotions/sentiments lui sont étrangers. Merci de prendre en compte ces informations durant votre lecture.

Mercredi 24 novembre 2021 – Manon

Ce matin je me suis réveillée avant tout le monde. Je ne veux croiser personne. Je quitte la maison en silence sans manger le petit déjeuner. Je n’ai pas faim. Je rejoins les enclos derrière la maison pour nettoyer les cages. Je m’approche de celle de la lionne. Le félin est allongé par terre. Elle respire difficilement. Elle rugit faiblement. Ses yeux sont vitreux. Je pose le seau à côté du grillage. J’ouvre la porte de l’enclos. J’entre en fermant derrière moi. Je commence à m’approcher doucement de l’animal. Elle lève légèrement la tête vers moi. Elle essaye de rugir. Sans succès. Sa tête retombe lourdement sur le sol. Je la rejoins. Je m’accroupis à côté d’elle. Je pose ma main sur son flanc. J’essaye de comprendre ce qui lui arrive. J’essaye de me rappeler pourquoi elle a été placée dans cet enclos. J’essaye. Cependant, mon esprit reste vide.

Les secondes passent. Puis les minutes. Je ne peux rien faire. Je la regarde haleter. Son flanc tressaute. Elle pousse un puissant rugissement. Je grimace en me mordant la lèvre. Des larmes commencent à se former. Je voudrais l’aider. Mais comment ? J’essaye de me concentrer. Je sais que Tenshi en a parlé lors d’un repas. Qu’a-t-il dit ?

La lionne rugit de nouveau. Mes yeux fixent les siens. Et la voix de Tenshi résonne dans mon esprit. Elle est là pour donner naissance. Je me déplace lentement. J’écarte sa patte arrière. Je crois apercevoir une tête. Je pose ma main sur le flanc de la lionne. Mon regard plonge dans le sien. À chaque contraction, je l’aide à pousser. Je vois la fatigue dans ses yeux, sur son visage. À travers mon regard, j’essaye de lui faire comprendre que je suis là pour l’aider.

Depuis que nous sommes arrivés en Afrique, je ne cesse d’observer le monde qui m’entoure. Je les observe discuter à table. J’observe leurs gestes, leurs regards, leurs attitudes. C’est difficile. Mais j’apprends.

La lionne rugit. Je soulève sa patte arrière. Le petit a bientôt la tête entièrement sortie. Je n’ai pas le temps de voir davantage, car je reçois plusieurs coups de griffes. Ma poitrine me brûle. Je serre les dents. Mon corps se contracte. Mais je continue de l’aider. Dans un dernier rugissement, le petit sort. Je le récupère dans mes mains. Je me redresse. Je m’avance lentement vers la lionne. Je m’accroupis devant elle. Je pose délicatement son petit entre ses pattes. Je m’apprête à me reculer, mais le lionceau ouvre ses yeux. Mon cœur s’arrête avant de s’emballer. Le monde autour de moi se met à tourner. Les larmes coulent sur mes joues. Des milliers de débris viennent heurter mon cœur. Je tombe à genou.

– Letty…

La lionne se met à lécher son petit. Je devrais partir. Je dois partir. Mais je ne peux pas. Je ne veux pas partir. Alors je reste à les regarder. Tout mon corps tremble. Mon esprit est envahi de souvenirs. Je revois ses yeux bleus briller. Je la revois au bord de la mer. Je la revois assise dans le sable. Je la revois le visage couvert de glace. Tous les moments partagés ensemble me reviennent comme des flashs. Les larmes coulent encore et encore. Je ne peux pas m’arrêter. Je dois pourtant partir. Je le sais. Il faut que je sorte de l’enclos. La lionne commence à rugir en me regardant. Mais comment puis-je partir ? Comment pourrais-je l’abandonner ? Je ne peux pas. La lionne s’agite. Elle donne un coup de patte qui m’atteint à la poitrine. Je grimace. Je finis par me lever. Je quitte l’enclos en prenant garde à fermer la porte à clé derrière moi. Chaque respiration brûle ma cage thoracique. Je pose ma main sur ma poitrine. Je baisse les yeux. Mes doigts sont couverts de sang. Je marche jusqu’à la maison. J’ouvre la porte d’entrée. Les larmes continuent de couler sur mon visage. Je n’entends aucun bruit. Je ne perçois rien. Je suis désorientée. Je manque la marche du hall. Je tombe contre le parquet. Je ne me relève pas. Je n’en ai pas la force. Je voudrais m’arracher le cœur. Ses yeux bleus sont gravés dans mon esprit. Ils hantent mes souvenirs. J’essaye de les chasser. Je n’y arrive pas.

– MANON !

J’entends quelqu’un descendre les escaliers. Des mains se referment autour de moi. C’est Makoto. Je sais que c’est lui. Je laisse ma tête reposer contre son épaule.

– Ça va aller, tout va bien aller, je suis là.

– Letty…

– Je suis là, Manon. Je suis avec toi.

– Letty...

– Chuuuut, ça va aller. Je suis là.

Mes paupières se ferment. Ma tête devient soudainement lourde. Makoto me prend dans ses bras. Nous montons les escaliers. Où m’emmène-t-il ? Je n’ai pas de chambre ici. Je dors sur le canapé. Makoto me dépose sur une surface moelleuse que je reconnais être un lit. J’ouvre à demi les yeux. Je le vois s’éloigner. Je tends ma main pleine de sang vers lui. Je touche ses doigts. Il se tourne vers moi. Son regard croise le mien. Les larmes coulent de nouveau sur mes joues.

– Ne…m’abandonne pas…

Makoto s’assoit au bord du lit. Il pose sa main sur ma joue en me regardant.

– Jamais je ne t’abandonnerais. Dors, je reste à tes côtés.

Mes yeux se ferment sous la chaleur de sa main. Je sombre dans un sommeil hanté par le bleu de ses yeux.

Lorsque je me réveille, le ciel brille haut dans le ciel.

– Tu es réveillée !

Makoto referme la porte de la chambre derrière lui. Il s’approche du lit. J’essaye de me relever. Mais une brûlure à la poitrine me fait grincer des dents. Makoto prend un autre oreiller qu’il place dans mon dos. Je tousse plusieurs fois. Je pose ma main sur mon torse. Je baisse les yeux et vois qu’un bandage me recouvre. Je ne porte plus les vêtements de ce matin.

– Il fallait nettoyer tes plaies sur ta poitrine…rassure-toi c’est Sue qui s’en est occupée.

Makoto baisse les yeux en se raclant la gorge. Je regarde ses joues se colorer.

– Merci.

– Que s’est-il passé, Manon ?

Je cesse de respirer. J’avale difficilement ma salive. Je ferme un instant les yeux pour retenir les larmes.

– Il fallait que j’aide la lionne.

– Celle dans l’enclos derrière la maison ?

Je hoche la tête.

– Ne me dit pas que tu as…

– Je l’ai aidé à mettre bas.

– Manon…tu aurais dû nous prévenir. Elle aurait pu te tuer ! Regarde tes blessures !

Makoto semble vraiment agité.

– Les petits vont bien.

– Il y en avait qu’un seul.

– Un seul ?

J’acquiesce. Je revois ses paupières s’ouvrirent. Je revois ses yeux bleus se poser sur moi. Je ne peux pas retenir les larmes de couler.

– Manon ! Pourquoi pleures-tu ? As-tu mal ?

Je tends les bras vers Makoto. Il s’avance. Je le ramène contre moi. Je repose ma tête contre la sienne. Sa présence réchauffe mon cœur. J’ai compris qu’il était important pour moi. Je l’ai compris hier soir. J’ai vu son regard froid et dur se poser sur moi. À cet instant j’ai su qu’il n’avait pas apprécié mon comportement. Je sais que j’ai été distante depuis notre arrivée ici. Je voudrais lui dire pourquoi. Je voudrais tout lui dire. Mais comment ?

Makoto se redresse. Nos visages ne sont qu’à quelques centimètres l’un de l’autre.

– Makoto ?

La voix de Sue le fait réagir. Il se remet debout en se raclant la gorge.

– Je…je dois y aller.

Il me regarde brièvement avant de quitter la chambre et de rejoindre Sue, les joues légèrement colorées. Je laisse ma tête reposer contre l’oreiller derrière moi. Je ferme les yeux. Les yeux bleus du lionceau me reviennent en mémoire. Je me laisse happer par les souvenirs qui me plongent à nouveau dans les songes.


Texte publié par Aihle S. Baye, 14 février 2023 à 14h33
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