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tome 1, Chapitre 25 « Une neutralité à toutes épreuves » tome 1, Chapitre 25

Jeudi 18 novembre 2021 – Makoto

Je suis partagé entre la colère et une profonde tristesse alors que nous finissons de dîner. Ni Tenshi ni Kyoko n’ont remarqué ma blessure, aucun d’eux n’a fait attention à ma présence, même Manon qui ne parle pas est plus présente que moi. Tenshi a l’audace de lui poser des questions auxquelles il n’a jamais de réponses ou que très brèves. Il fait des efforts avec elle, mais pas avec son propre fils, et ça me met hors de moi.

Je me lève en faisant grincer la chaise sur le sol et quitte la cuisine sans débarrasser. Je monte dans ma chambre récupérer mon portefeuille et ma veste, puis je quitte la maison en claquant la porte après avoir récupéré les clés de la voiture accrochées au mur. J’attends dehors en tendant l’oreille, mais il ne me prend même plus la peine de venir m’engueuler. Je ne devrais pas être touché, mais je le suis, son comportement me blesse profondément. Dès que je suis derrière le volant je connecte mon téléphone aux enceintes, lance ma playlist et démarre, au moment de partir une silhouette s’approche de la voiture. La portière s’ouvre et Manon se glisse sur le siège passager.

– Qu’est-ce que tu fais là ?

– Je t’accompagne.

– Tu as pensé que je n’avais peut-être pas envie que tu viennes ?

Elle hausse les épaules et s’attache. Je n’ai donc pas le choix. Je soupire avec toute l’exaspération que je ressens et espère que Manon sera blessée de ma réaction. Je monte le son de la musique pour la dissuader de parler si l’envie lui prenait et prends la direction de Kampala à une heure quarante de route.

Je me gare sur un parking, descends et rejoins la boîte de nuit sans même attendre Manon. Je n’avais pas envie qu’elle vienne, alors je compte bien ne pas me soucier d’elle. Peut-être va-t-elle comprendre ce que je ressens depuis deux semaines. Le videur me salue et me laisse entrer, mais Manon me retient par la manche de ma veste.

– Je n’ai pas voulu que tu viennes, donc débrouille-toi.

Je ne regarde pas si mes mots l’ont blessée et entre dans le bâtiment avec Manon sur mes talons, le videur l’a laissé entrer sous les protestations de ceux qui font la queue. Je rejoins la piste où quelques connaissances s’y trouvent. Je danse, rigole avec eux et me libère enfin de toutes ses émotions négatives qui m’envahissent au quotidien. Une jeune femme passe ses bras autour de mon cou, je lui souris et nous dansons ensemble. Je sais à son regard elle veut plus que simplement danser, mais malheureusement elle n’est pas tombée sur le bon, je n’ai pas envie de ça ce soir, je veux simplement profiter de la musique et de l’ambiance. La femme dépose ses lèvres sur les miennes, mais je la repousse. Elle se recule outrée, mais avant qu’elle n’ait le temps de dire quoique ce soit je quitte la piste de danse, mon envie de m’amuser s’est transformée en lassitude et en fatigue. Je cherche Manon dans la foule pour qu’on puisse rentrer. Je la vois qui me regarde en larmes, je lui fais un signe, mais elle court vers la sortie.

Je grogne et la suis. Je peine à me frayer un passage jusqu’à la sortie et lorsque j’arrive enfin dehors, je ne vois aucune trace d’elle. Je rejoins la voiture de l’autre côté de la rue dans l’espoir qu’elle m’y attende, en vain. Je prends mon téléphone et essaye de l’appeler, je laisse sonner plusieurs fois, mais elle ne répond pas. L’inquiétude s’empare de moi et l’adrénaline commence à déferler dans mes veines. Kampala n’est pas un endroit sûr une fois la nuit tombée, surtout pour une Américaine. Je traverse de nouveau la rue pour rejoindre le videur de la boîte de nuit, peut-être qu’il saura me dire où elle est partie.

– De ce côté-là.

– Merci.

Je cours dans la direction qu’il m’a indiquée en continuant d’appeler sur le téléphone de Manon. Je regarde partout autour de moi, mais ne la trouve nulle part. Je m’appuie contre un mur, résigné. Je m’apprête à appeler la police lorsque des voix masculines m’interpellent. L’avantage avec Kampala, c’est que la langue la plus parlée est l’anglais, je n’ai donc aucun mal à comprendre les propos des hommes.

– Elle a l’air bonne ! Regarde-moi ça ! Une vraie lionne, rrrrr !

– J’ai hâte de me la faire !

– Elle ne dit rien en plus, ça va être encore plus excitant de la voir soumise !

Je m’avance pour regarder discrètement dans une ruelle : Manon est entourée par trois hommes. Tous les muscles de mon corps se contractent, mes mains forment déjà des poings, je suis prêt à me battre. J’avance dans leur direction, je regarde Manon : elle ne bouge pas et ne parle pas, mais je vois à ses yeux qu’elle est terrorisée. Un des hommes pose sa main sur son visage. Je cours vers lui, les deux autres non pas le temps de réagir que mon poing à déjà frappé la mâchoire de leur ami. Je me bats comme si ma vie en dépendant et prend conscience que c’est vraiment le cas. Je serais capable de tout faire pour Manon malgré son comportement envers moi. Je prends conscience qu’elle a une place importante dans ma vie. Je la repousse dans mon dos pour qu’elle ne soit pas blessée. Les trois hommes m’attaquent simultanément, mais je n’ai aucun mal à esquiver leurs coups et à contre-attaquer. Je ne me suis pas battu depuis de nombreuses années et mon endurance s’en fait ressentir. Je m’éloigne de quelques pas pour reprendre mon souffle, puis je retourne au combat et les frappe dans l’abdomen, les côtes, au visage et je leur donne des coups de pied jusqu’à ce que deux des hommes soient allongés sur le sol, inconscients. Le dernier tente de me donner un coup de poing, mais je lui fais un croche-pied et il tombe par terre. Je m’assois sur lui et le frappe de toutes mes forces encore et encore. Le sang m’éclabousse, ma main me fait terriblement souffrir, mais la rage continue de m’alimenter, je veux le tuer, mais je me retiens, je ne suis pas un meurtrier, je ne l’ai jamais été et ne le serais jamais.

Je finis par me relever. Je prends la main de Manon et quitte la ruelle en courant. Nous montons dans la voiture, j’ouvre la boîte à gant, en retire des mouchoirs, m’essuie grossièrement les mains et le visage ensanglantés et je démarre.

Ma rage diminue à mesure que nous nous éloignons de la ville. À côté de moi, Manon ne dit rien, le regard fixé devant elle.

– Ça va ? Tu tiens le coup ?

Elle ne me répond pas.

– Je t’en prie, Manon. Il me faut une réponse. Est-ce que ça va ?

– Oui.

– Tu es en état de choc ?

– Non.

– Tu n’es pas bouleversée ?

– Je ne sais pas ce que ça veut dire.

Je soupire, je n’ai pas la patience de lui donner une définition claire et précise.

– Je suis comme d’habitude.

– Non, tu ne peux pas l’être ! Pas après ce qui s’est passé. Manon, ces hommes ont voulu te violer, tu ne peux pas aller bien.

Je gare la voiture sur le bord de la route et sors, j’ai besoin de prendre l’air. Je marche le long du chemin en prenant de grandes inspirations, je regarde tout le sang que j’ai encore sur les mains, sur mes vêtements et probablement sur mon visage. Je me sens soudain si sale, j’aurais dû insister pour qu’elle ne m’accompagne pas ou plutôt j’aurais dû rester avec elle dans la boîte de nuit. Ce qui est arrivé est ma faute. Je m’accroupis en me tenant la tête entre les mains. Une portière claque , Manon s’approche de moi et pose une main sur mon épaule, mais je la repousse.

– Je suis désolé…

Elle s’accroupit en face de moi.

– Ce qui t’est arrivé…c’est ma faute. Je…je suis désolé.

Manon pose ses mains sur mes coudes.

– C’est ma faute.

– Non.

Je relève la tête et la regarde, je sonde ses yeux verts à la recherche d’une quelconque rancœur à mon égard, mais Manon ne ressent rien. Elle n’a pas conscience de ce qu’elle vient de vivre ou de ce qu’elle aurait pu vivre si je n’étais pas intervenu. Un ouragan d’émotions se déverse en moi et je n’ai pas la force de retenir mes larmes. Je ferme les yeux et prends plusieurs inspirations avant de me lever. Manon m’imite et nous restons un moment à nous regarder sans rien dire.

– Qu’as-tu ressenti ?

Elle me regarde sans me répondre, mais je vois à ses yeux qu’elle est en train de réfléchir.

– Mon cœur s’est mis à battre plus vite quand ces hommes sont arrivés. Je n’arrivais plus à respirer. Mes yeux étaient grands ouverts. Mon estomac était contracté.

– La peur, une émotion redoutable.

Manon ne répond rien.

– Je suis vraiment désolé, Manon. C’est ma faute. J’allais les tuer… Tu dois me considérer comme un monstre…

– Non.

– Comment peux-tu rester si indifférente à ce qu’il vient de t’arriver ? COMMENT ?

Je n’arrive plus à me contrôler, je suis épuisé de tout ça, mais j’ai besoin de savoir.

– Parce que.

– Parce que quoi, Manon ? Dis-moi !

– Parce que je suis malade !

Elle vient de hausser la voix, la colère se lit sur son visage l’espace de quelques secondes pour finalement revenir à une neutralité effrayante. Je soupire en baissant les yeux, ce n’était pas la réponse que j’attendais. Ce que j’aimerais savoir, c’est pourquoi elle est malade. Qu’est-ce qui s’est passé pour que la petite fille rayonnante que Sue m’a décrite se soit transformée en un être dénué de toutes émotions ?

Je rejoins la voiture sans un mot et sans un regard. Manon reprend sa place sur le siège passager et nous roulons jusqu’à la maison.


Texte publié par Aihle S. Baye, 13 février 2023 à 11h20
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