Samedi 30 octobre 2021 - Makoto
Le paysage défile devant mes yeux, le ciel étoilé me plonge dans une plénitude réconfortante, mais je prends conscience que le temps passe trop vite et que nous sommes déjà fin octobre. Je suis dans la voiture de Manon qui nous ramène à la maison. Elle a tenu à m’accompagner à la dernière phase d’une audition de danse. Tout s’est bien déroulé, j’ai bon espoir d’être pris, mais je ne me précipite pas trop. Depuis plusieurs semaines, j’enchaîne les allers-retours à Miami, la première audition que j’ai passée n’a pas été concluante et il en fut de même pour les suivantes. J’essaye de garder la tête haute, mais c’est difficile, j’ai l’impression que jamais je n’arriverais à réaliser mes rêves.
En parallèle, la vie à la maison n’a pas beaucoup évolué. Manon passe la journée en cours, puis nous allons promener les chiens quand elle rentre. Depuis notre conversation, elle s’ouvre davantage avec moi, elle me pose des questions et cherche à comprendre son environnement. La voir essayer me ravit, je suis impressionné des progrès qu’elle fait, le seul problème c’est qu’ils ne durent pas. À la seconde où nous sommes de retour à la maison ou en présence de ses parents, tout s’effondre et elle redevient la Manon sans vie qui n’a goût à rien. Le changement est brutal et déroutant. Il faut dire que le comportement de ses parents n’arrange rien, ils n’arrivent plus à se parler calment, dès qu’ils ouvrent la bouche c’est pour se faire des reproches.
Sue est épuisée. L’Afrique, les animaux et mon père lui manque, mais elle reste pour sa fille. J’ai essayé de parler avec Manon du comportement qu’elle a envers sa mère, sauf qu’elle se referme dès que j’évoque le sujet. J’aimerais pouvoir partir de cette maison, me prendre un logement et vivre ma vie. Cependant, je n’ai pas suffisamment d’argent et je ne pourrais pas me résoudre à partir en laissant Manon ici. Pour son bien, il faudrait qu’elle arrive à parler avec ses parents, sauf que personne ne semble prêt à véritablement faire cet effort.
Manon pousse un long soupire lorsqu’elle gare la voiture devant la maison. Je la comprends, moi non plus je n’ai pas envie de retrouver cette ambiance sombre et électrique.
– On n’est pas obligé de rentrer tout de suite, on peut aller faire un tour si tu veux.
– Non.
Elle descend de la voiture et je la suis après avoir récupéré mon sac à dos sur la banquette arrière. Nous franchissons la porte d’entrée et je vois le corps de Manon se tendre, elle n’en a sûrement pas conscience, mais moi oui et j’aimerais être capable de changer ça. Nous retirons nos chaussures dans le hall et Manon s’apprête à rejoindre sa chambre en silence, mais la lumière dans le couloir s’allume. Je vois Norman se lever du fauteuil et s’avancer vers sa fille. Je regarde autour de moi à la recherche de Sue, mais je ne la vois nulle part.
Manon pose ses yeux sans vie sur son père. Arrive-t-elle à lire la colère sur ses traits ? Arrive-t-elle à décrypter sa gestuelle, sa posture ? Je ne pense pas.
– Où étais-tu passée ?
Je ferme les yeux, il sait que Manon ne répondra p…
– À Miami pour l’audition de Mak.
J’ouvre les yeux, surpris et son père aussi semble interloqué. Non seulement Manon vient de lui répondre dans une phrase composée de plus de deux mots, mais elle a également prouvé qu’elle était capable d’exprimer son attachement en me donnant un surnom. Je ne peux m’empêcher de sourire, le temps passé avec elle lui est bénéfique, Manon est sur la bonne voie de guérison. Elle y arrivera, j’ai confiance en elle. Cependant son père n’a pas l’air de le voir sous cet œil-là.
– Je vois, donc tu as encore fait abstraction de ta thérapie de groupe et de ton rendez-vous avec Charlie pour aller vadrouiller jusqu’à Miami ?
Mon sourire disparaît. Je n’ai aucun mal à voir que Norman est arrivé à bout, je redoute les mots qui vont sortir de sa bouche.
– Je suis vraiment déçu. Je comptais sur toi, mais je vois que tu en fais toujours qu’à ta tête.
Je regarde Manon se briser sous mes yeux et je ne peux pas intervenir.
– Je ne sais plus ce qu’il te faut. Tes notes sont en baisse, tu ne vas même plus à ton activité créative et Éric m’a dit que tu ne lui avais pas parlé depuis des semaines. Qu’est-ce qui t’arrive ?
Manon ne répond rien, je vois à ses yeux qu’elle essaye de comprendre ce qu’elle a fait de mal. Je soupire intérieurement, son père ne se rend pas compte du chemin que sa fille a parcouru en quelques semaines et Manon ne voit pas le mal qu’elle fait à son père. Si seulement il arrivait à se parler…
– Je n’ai plus le choix, je suis désolé.
Je retiens ma respiration, craignant le pire.
– Ta mère rentre lundi en Afrique, tu l’accompagneras.
J’ai un temps d’arrêt, puis la réalité me rattrape. Manon va partir en Afrique. Manon va quitter la Floride. Manon va accompagner sa mère. Un rire nerveux m’échappe, mais personne ne fait attention à moi. Je me tourne alors vers la principale concernée qui ne prend pas la peine d’essuyer la seule larme qui coule sur sa joue. La douleur dans ses yeux se mêle à la souffrance et à la détresse. Le pire dans tout ça c’est que son père ne voit rien des émotions qui traversent sa fille. Il veut l’aider, mais il est incapable de la lire.
– D’accord.
Manon tourne le dos à son père et rejoint sa chambre d’un pas tranquille. Norman s’affaisse contre le mur derrière lui. Je pense qu’il s’était attendu à une tout autre réaction, comme de la colère, mais il n’en a rien été, car c’est Manon.
Je rejoins à mon tour ma chambre en ayant l’impression d’avoir été vidé de toute mon énergie. Je m’arrête un instant la main sur la poignée. Si Manon part avec Sue, où est-ce que je vais aller ? Il est clair que je n’aurais plus de raison de rester dans cette maison. Je réalise alors que Manon va se retrouver face à Tenshi et à Kyoko. Repenser à ma famille me fait mal, ils n’ont toujours pas pris de mes nouvelles… Je soupire en entrant dans ma chambre et j’ai un mouvement de recul en voyant Sue assise sur mon lit. Nos regards se croisent et je sais déjà ce qu’elle va me dire.
– Non, Sue. C’est hors de question !
La colère me fait monter les larmes aux yeux.
– Je ne veux pas remettre les pieds là-bas, je ne peux pas tout abandonner ! J’ai une chance d’avoir une place dans une troupe de danse ! J’ai enfin l’opportunité de faire quelque chose de ma vie, quelque chose que j’aime. Je t’en prie, ne me retire pas ça.
– Makoto…
Mon téléphone vibre dans ma poche, j’espère qu’il s’agit d’une réponse de l’audition. L’espoir m’anime, puis j’ouvre le message…
– Tout va bien ?
– Je vais faire ma valise.
– Tu as raison, tu dois vivre ta vie, partir à l’aventure !
– Non, je n’ai plus rien qui me retient ici.
– Makoto…
– Je viens d’être une nouvelle fois recalé à une audition. Il est temps que je tire un trait sur mon rêve.
– Rien ne t’oblige à rentrer en Afrique.
– Je n’ai pas le choix. Manon ne connaît pas le pays, elle ne connaît personne, elle ne te regarde même pas, si je ne suis pas là qui l’aidera ?
Sue se lève, blessée par mes propos, mais je ne compte pas m’excuser. Il est temps qu’elle prenne conscience que derrière le silence de Manon à son égard se cache quelque chose. Tant que Sue ne sera pas en mesure de le comprendre et de discuter avec sa fille, alors rien ne changera. Je ne peux pas laisser Manon livrée à elle-même en Afrique, ça me coûte énormément d’y retourner, mais que puis-je faire d’autre ? Je n’ai aucun avenir ici ni dans la danse et je n’ai pas les moyens de retourner au Japon. Les rêves sont faits pour être réalisés, mais certains sont inaccessibles, alors autant abandonner.
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