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tome 1, Chapitre 14 « Des histoires de famille » tome 1, Chapitre 14

Samedi 18 septembre 2021 – Makoto

Cela fait déjà deux semaines que j’ai quitté l’Afrique pour la Floride et ça me fait beaucoup de bien. J’ai la sensation que les chaînes qui m’emprisonnaient à Tenshi se sont brisées et que je peux enfin respirer. Mes rêves me sont de nouveau accessibles et je compte bien les réaliser. Plus rien ne pourra m’arrêter.

La Floride est un État sympa. Vivre au bord de la mer est très appréciable, ça ne vaut pas le Japon, mais ça me plaît d’être ici. Dans quelques semaines, je devrais me rendre à Miami si tout se passe bien. Après que Sue nous est annoncé qu’elle devait aller rentrer en Floride auprès de sa fille, j’ai reçu un message d’Isaac. Il a envoyé la vidéo de notre performance à la boîte de nuit à ses contacts de Miami. Ils sont intéressés pour me faire passer une audition. Je suis impatient au point que j’ai du mal à canaliser mon énergie et mes émotions. J’essaye d’occuper mon temps en me baladant dans la ville, en allant au bord de la mer, mais je ronge mon frein en attendant la confirmation, je commence à me dire qu’ils ont changé d’avis et que finalement je ne passerais pas d’audition.

Sue et moi vivons chez son ex-mari, Norman. C’est un homme qui se dévoue énormément pour sa carrière d’astronaute, et je l’admire pour ça. Nous n’avons pas eu beaucoup l’occasion de discuter, il est rarement à la maison. J’ai également rencontré leur fille, Manon. Elle est…spéciale. En deux semaines, je n’ai quasiment jamais pu lui faire décrocher un mot. Elle semble totalement dans son monde, hermétique à tout ce qui se passe autour d’elle. J’ai vu comment ça affectait Sue et ça me fait de la peine. Elle est revenue pour elle, mais Manon fait comme si elle n’existait pas, comme si personne n’existait. Au fil des jours, je vois ma belle-mère perdre son moral et sa joie de vivre. Elle habituellement si rayonnante est de plus en plus triste. L’Afrique lui manque et son mari lui manque.

Je quitte une des chambres d’amis qui a été aménagée pour moi. La maison est typiquement américaine : grande, somptueuse, mais elle manque de vie, comme si une part d’elle avait disparu. Ça renforce la sensation que j’éprouve depuis que je suis ici : une tension règne entre ses murs, je me surprends à retenir ma respiration à chaque pas que je fais, c’est encore plus étouffant lorsque Sue et Norman sont dans la même pièce et lorsque Manon s’ajoute au trio j’ai l’impression d’être un champ de mines. Je ne sais pas ce qui se passe dans cette famille et ça ne me regarde pas, mais ça devient compliqué de vivre avec eux. Je rejoins la cuisine qui se trouve à côté du salon. L’autre aile de la maison désert la pièce des chiens, la chambre de Manon et une porte qui reste continuellement close, je crois même qu’elle est fermée à clé. Je hausse les épaules pour moi-même, c’est peut-être un simple débarras rempli de poussières.

– Bonjour !

– Bonjour, Makoto ! Tu as bien dormi ?

– Ça va.

Sue me sourit, mais il est loin d’être aussi rayonnant que d’habitude.

– Bonjour Makoto.

– Bonjour Norman.

Je m’assois à la table et Sue dépose des pancakes bien chauds devant moi. Au moins, elle continue de cuisiner. Le jour où elle arrêtera, il faudra vraiment s’inquiéter. Norman sirote un café en lisant le journal. Il me fait penser à Tenshi, sans son animosité envers moi. J’entends une porte s’ouvrir et rapidement les pattes des chiens se font entendre sur le sol. Derrière eux, Manon entre dans la cuisine. Le temps se suspend, Sue et Norman retiennent leur respiration. Mes muscles se crispent malgré moi, cette tension devient beaucoup trop pesante, j’en arrive même à avoir du mal à respirer. Manon s’avance jusqu’au placard qui contient la nourriture et les gamelles des chiens. Elle les remplit avant de s’asseoir à la table sans jamais regarder personne dans les yeux. Elle ne remercie même pas sa mère lorsqu’elle lui dépose des pancakes devant elle. Je grince des dents. Je peux concevoir que Manon puisse avoir une dent contre elle, mais vu tous les efforts que Sue fait depuis que nous sommes arrivés, elle pourrait au moins lui dire merci.

Ma belle-mère est triste, elle semble démunie face à sa fille. Norman n’est pas mieux, il semble tellement fatigué. Il regarde l’heure à sa montre, puis plie son journal et vide sa tasse avant de se lève de la chaise. Il pose sa tasse dans le lave-vaisselle et passe derrière Manon. Je le vois hésiter, mais il se penche finalement vers sa fille pour lui déposer un baiser au sommet de sa tête.

– Bonjour ma chérie.

– Bonjour.

Sue se fige tandis que Norman quitte la cuisine. Elle semble au bord du gouffre. Ses traits sont tellement tirés et marqués de fatigue, elle semble avoir pris dix ans. Je ne l’ai jamais vue aussi malheureuse, je comprends pourquoi elle a quitté la Floride pour l’Afrique. Au moins je sais qu’elle est heureuse avec Tenshi, aussi étrange que cela puisse paraître.

Ma belle-mère apporte la dernière fournée de pancakes et s’assoit à table pour manger à son tour. Nos regards se croisent, mais elle baisse la tête vers son petit-déjeuner pour que je ne voie pas sa détresse. J’aimerais dire ou faire quelque chose pour l’aider, mais je ne veux pas m’immiscer dans leurs histoires de famille.

Manon termine son repas. Sue la regarde en cherchant désespérément à attirer son attention.

– Ma chérie, tu pourrais aller faire quelques courses pour moi ?

Aucune réponse. Manon ne prend même pas la peine de se retourner et quitte simplement la cuisine. Sue soupire et retourne à son assiette sans grande envie.

– Qu’est-ce qui se passe avec ta fille ?

– Manon est… spéciale.

Ça, je l’avais deviné, mais ce n’était pas le sens de ma question.

– Pourquoi te traite-t-elle comme ça ?

Sue a les larmes aux yeux, je n’ai pas le temps de dire ou faire quoique ce soit qu’elle fait grincer la chaise sur le carrelage et quitte à son tour la cuisine, me laissant seul.

Plus tard, je vois Manon sortir d’une pièce avec deux harnais et une muselière. Elle passe les harnais autour des deux chiens qui attendent sagement, puis met la muselière à Jupiter. C’est une American Staffordshire terrier, donc un chien catégorisé qui doit être tenu en laisse et avec une muselière. Je m’avance jusqu’à la table où j’ai laissé mon téléphone et vois une liste de course. Sue est assise sur un fauteuil dans le salon, elle observe sa fille avec le regard triste. Manon passe à côté de moi, s’arrête un instant et semble réfléchir. Elle prend finalement la liste des courses et rejoint le hall d’entrée. Je regarde ma belle-mère qui sourit, pour elle c’est une première victoire.

– Makoto ? Tu veux bien l’accompagner, elle aura sûrement besoin d’aide pour porter les courses.

J’acquiesce, je n’avais pas envie de rester enfermé dans la maison de toute façon et puis ça sera l’occasion d‘essayer de faire connaissance avec Manon.

Je la rejoins dans le hall, enfile des chaussures, vérifie que j’ai bien mon portefeuille et mon téléphone, puis quitte la maison avec Manon et les chiens. Nous marchons dans un silence inconfortable et je ne sais pas comment briser la glace. Elle ne semble pas faire attention à ma présence, à croire que je suis invisible. Finalement, ça ne me change pas trop de l’Afrique.

Je soupire, las de ma vie. J’ai réussi à quitter l’Ouganda et Tenshi, en arrivant ici je pensais que j’allais rapidement être contacté pour une audition de danse, mais rien ne se passe jamais comme prévu. Je me retrouve finalement mêlé aux histoires de famille de Sue, de Norman et de Manon. Je me demande ce que je fais ici, quel est le but à tout ça ? Je me perds dans mes pensées, si bien que je ne remarque pas tout de suite que nous sommes déjà au cœur de la ville. Les chiens sont aux aguets, ils regardent et reniflent partout. Manon tient à peine leurs laisses, je sais qu’ils lui obéissent au doigt et à l’œil, mais Jupiter reste un chien catégorisé, bien qu’elle ne soit pas méchante ni agressive.

Nous passons devant un garage, Manon s’arrête quelques instants. Je ne vois pas les traits de son visage, mais en vue de sa posture je dirais qu’elle est triste. Ce serait bien la première fois que je la vois transmettre une émotion. Un homme qui semble avoir mon âge arrive en courant vers nous avec un grand sourire.

– Salut Manon !

Il pose sa main sur son épaule et se penche pour lui faire la bise. J’ai une poussée de colère, j’ai envie d’abattre mon poing dans la mâchoire de ce type. Rien à voir avec Manon, simplement sa tête ne me revient pas. Ce sont des choses que je ne peux pas contrôler, d’instinct je sais qu’il est un attrape emmerde. J’ai appris à rapidement repérer ce genre de mec, ils sont tous pareils, tout gentil et attentionné, mais au final se sont de belles ordures qui entraînement les autres dans leurs combines. J’ai déjà failli me retrouver en prison par un mec comme ça. Ils ne sont pas méchants, la plupart du temps, ils sont même pacifistes, mais leur gueule d’ange ne leur apporte jamais rien de bon et ils finissent souvent par tremper dans des trucs louches.

– Salut Éric.

Ce prénom me dit quelque chose. Il me semble que la propriétaire du restaurant où Manon m’a emmené a parlé d’un certain Éric, je suppose que c’est lui.

– Salut.

Je lui tends ma main droite, je n’aime pas ça, mais je ne suis pas au Japon, la culture n’est pas là même ici. Il me jette un regard qui est loin d’être amical. Il hésite, mais me tend finalement sa main.

– Makoto.

– Éric.

Son regard noir en dit long sur l’opinion qu’il a de moi et à la façon dont il regarde Manon, il a clairement peur que je devienne une menace. A-t-il conscience que Manon n’a pas la moindre idée qu’il l’aime ?

– USA versus Jap, tu viens ?

Manon hausse les épaules.

– Tu dois venir, Rider te veut là-bas !

Elle regarde le garage.

– Elle sera prête ! Dis-moi que tu viendras !

– J’essayerais.

Il sourit comme si elle venait de l’épouser, j’ai vraiment envie de lui foutre un poing. Éric presse l’épaule de Manon avant de retourner au garage où un homme l’appelle. Nous reprenons notre marche en silence. Leur échange m’intrigue, quelque chose se prépare ce soir et peu importe de quoi il s’agit je veux en être.

– Ça fait longtemps que tu connais ce…Éric ?

J’attends, mais elle ne me répond pas. Je me tourne dans sa direction, elle regarde droit devant elle, je ne sais même pas si elle m’a entendu. Je lui prends une laisse des mains pour attirer son attention et elle a le mérite de tourner la tête vers moi. Je m’attendais à recevoir un regard haineux, mais il n’en est rien, son regard ne transmet aucune émotion, il est vide. C’est très perturbant et j’en viens à regretter mon geste.

Nous continuons de marcher en silence jusqu’à nous arrêter devant le magasin. Manon sort la liste des courses et entre. J’hésite un instant, les chiens sont vraiment autorisés à l’intérieur ? Le vigile à l’entrée ne fait aucune remarque, alors j’entre et suis Manon à travers les rayons. J’en profite pour acheter quelques gourmandises pour moi et nous passons à la caisse.

À peine ai-je le temps de sortir du magasin que Manon a déjà pris le chemin de la maison, je la suis, mais petit à petit le silence devient vraiment pesant et me met mal à l’aise. J’ouvre mon paquet de M&M’S pour occuper mon esprit et en propose à Manon qui jet un bref coup d’œil du contenu avant de s’en détourner. J’aurais essayé.

Le retour à la maison est un soulagement, Manon libère les chiens et ose un regard dans ma direction, mais je n’arrive pas à le déchiffrer. Elle va déposer les courses sur la table de la cuisine et disparaît dans sa chambre avant que Sue n’ait eu le temps de se lever du fauteuil.

– Ça s’est bien passé ?

– Nickel ! Tu veux des M&M’S ?

– Non, mais merci.

– De rien.

Je l’aide à ranger les affaires, puis je regagne ma chambre. Je change mon short de ville pour un short de sport et retire mon tee-shirt.

– Tu vas profiter du soleil pour danser ? me demande Sue lorsque je rejoins le jardin.

– Hai !

– Ne mets pas trop fort pour les voisins.

Je lui fais un clin d’œil et sors dehors. J’allume mon enceinte, lance ma playlist et commence mon échauffement. J’ai besoin de libérer toute cette tension et quoi de mieux que la danse.


Texte publié par Aihle S. Baye, 6 février 2023 à 12h35
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