Note de l'auteure :⚠️Les chapitres de Manon sont difficiles à lire : phrases courtes, informelles avec un vocabulaire peu enrichi et les actions très décrites. Le personnage voit le monde différemment des autres personnes, les émotions/sentiments lui sont étrangers. Merci de prendre en compte ces informations durant votre lecture.
Lundi 30 août 2021 - Manon
Les aboiements des chiens me réveillent. J’entends le bruit des croquettes qu’on verse dans des gamelles. Le réveil sonne. Je l’éteins. Je me lève. Je prends une douche. Je m’habille avec les premiers vêtements dans le dressing. Je prends le sac à dos. Je mets l’ordinateur portable dedans. Je rejoins la cuisine. Les chiens me regardent. Je m’assois sur une chaise. Ils retournent aux gamelles de croquettes. Mon père est assis en face. Il ne lève pas les yeux vers moi. Il n’ouvre pas la bouche pour dire quelque chose. Avant il me regardait. Avant il me parlait. Je ne comprends pas pourquoi c'est différent maintenant. Est-il comme ça à cause de samedi ? À cause du poste de police ? Mais pourquoi ? Ce n’était qu’une course.
Je mange le petit-déjeuner. Chaque bouchée est difficile à avaler. J’ai une boule dans ma gorge. Mes épaules et mon cœur semblent lourds. Que se passe-t-il ?
Mon père se lève. Il met les couverts dans le lave-vaisselle. Il quitte la cuisine sans me regarder. J’observe son dos. Je le vois s’éloigner. Quelque chose semble s’enfoncer dans ma poitrine jusqu’à atteindre mon cœur. Je place ma main dessus. Je n’ai rien. Il n’y a pas d’entaille. Pourtant un trou se creuse en moi.
Je débarrasse le petit-déjeuner. Je retourne dans la chambre me brosser les dents. Je cherche dans les poches du pantalon le téléphone. Je ne le trouve pas. Je cherche dans la chambre. Il n’est pas là. Je réfléchis. Ma mémoire est vide. Je ne vois que du noir. Je ne me souviens que du noir.
Je quitte la chambre. Je mets des chaussures. Je récupère le sac à dos. Mon père enferme les chiens dans leur pièce. Je retrouve la mémoire en le voyant arriver dans le hall en m’ignorant. Mon père m’a pris le téléphone samedi. Le poids sur mes épaules se fait plus pesant. Je sors de la maison. Je rejoins la voiture. Mon père me suit sans dire un mot. Il ne m’a toujours pas regardé une seule fois. Pourquoi fais-je soudain attention à ce détail ? Pourquoi tout est différent ? Pourquoi tout change ? Pourquoi… Je soupire. Les larmes se forment. Je les retiens.
Le paysage défile. Mon père ne parle pas. Je l’observe. Sa tête est rentrée dans ses épaules. Sa mâchoire est serrée. Ses doigts tiennent fermement le volant. Son regard est focalisé sur la route. Ma poitrine se serre. Je n’arrive plus à respirer. Je manque d’air. Mon nez me pique. Les larmes se forment à nouveau. Elles glissent sur ma joue. Ma salive se bloque dans ma gorge. Je ne sais pas ce qui se passe. Je regarde mon père pour trouver la réponse. Mais mon état s’intensifie en posant mes yeux sur lui. Que m’arrive-t-il ? Où est le vide qui m’accompagne quotidiennement ?
La voiture se gare devant l’université Keiser. Je prends le sac à dos. J’ouvre la portière. J’attends que mon père dise quelque chose. Il ne fait rien. Je descends. Je referme la portière derrière moi. J’attends. Mon père ne me regarde pas. Il part. La voiture s’éloigne sur la route. Les larmes coulent sur mes joues. Des couteaux s’enfoncent dans mon cœur. Je les sens. Qu’est-ce que ça signifie ?
J’essuie mes joues. Je passe le sac à dos sur mes épaules. Je traverse la pelouse de l’université. Des personnes forment un cercle. Ils tirent dans un ballon. D’autres sont assis dans l’herbe. Ils ont des livres ouverts sur leurs genoux. Je marche à côté d’eux. Personne ne me regarde. Personne ne m’adresse la parole.
J’entre dans un bâtiment. Je traverse les couloirs jusqu’à un amphithéâtre. Des personnes me bousculent. Je les laisse passer. Je vais m’installer au milieu du sixième rang. Je pose le sac à dos sur mes genoux. Je sors l’ordinateur. Je le pose sur la petite table devant moi. Je l’allume. Puis j’attends.
Les étudiants arrivent dans l’amphithéâtre. Les chaussures tapent sur le parquet. Les voix se mêlent. Mes oreilles sifflent. Des cloches sonnent dans ma tête. Mes mains deviennent humides sur mes cuisses.
– Salut ! J’me présente, Stefen. Alors prête pour la rentrée ? Tu fais quelles spécialités ? En tout cas y a du monde. J’ai hâte que les cours commencent, pas toi ?
Je tourne la tête. Un homme est assis à ma gauche. Je vois un groupe de personnes derrière lui. Ils nous regardent. Ma gorge se serre. J’ai du mal à respirer. Une cage se referme autour de moi. Pourquoi me parle-t-il ? Que dois-je faire ? Je n’ai pas le temps de réfléchir. Le professeur entre dans l’amphithéâtre.
– Bonjour à tous !
Je détourne mon regard du garçon. Il s’écarte de moi. Mes épaules se relâchent. La cage libère ma poitrine. Je respire à nouveau.
– Elle est trop bizarre. Son regard est totalement vide, on aurait dit que j’étais un extraterrestre.
La voix du garçon est faible. Mais je l’entends quand même. Je me demande si ses paroles devraient me faire quelque chose. Si j’étais une personne normale peut-être. Sauf que je ne le suis pas.
Les étudiants se taisent lorsque le professeur explique le programme de l’année pour le cours de japonais. J’écoute en prenant des notes sur mon ordinateur.
Les heures passent. Les professeurs viennent présenter les matières et le programme de l’année. Je prends des notes pour l’arabe et le russe. Puis je quitte l’amphithéâtre. Je sors dehors. Je m’assois sur un banc. J’ouvre le sac à dos. Je prends le sac avec la nourriture.
Je rejoins le bâtiment des sciences à la fin du repas. Je traverse plusieurs couloirs. J’entre dans une salle. Je m’assois à une table. J’ouvre mon ordinateur. J’attends. La cloche sonne. La salle se remplit. Les visages des étudiants me disent quelque chose. Étais-je dans leur classe l’année dernière ?
Le professeur entre. Il pose un cartable sur le bureau. Il nous regarde un par un.
– Bonjour à tous.
– Bonjour ! répondent les élèves.
– Bienvenue en option astronomie pour votre deuxième et dernière année de master. J’espère que vous être prêts, car j’ai prévu de très beaux projets pour vous cette année !
J’entends des chuchotements dans le fond de la salle. Leurs chaussures tapent sur le sol. Les chaises grincent sur le carrelage de la pièce. Ils ont envie d’aller aux toilettes ?
Le professeur explique le programme jusqu’à ce que la cloche retentisse. Je quitte le bâtiment. Je rejoins l’atelier. L’Université a aménagé un espace pour les étudiants en mécanique. Mes yeux me piquent. Le coin de mes lèvres s’étire vers mes oreilles. Je passe ma main sur la carrosserie d’une Chevrolet Impala de 2018. Elle me rappelle ma propre voiture. Je ne l’ai pas vu depuis samedi. Je n’ai pas touché une voiture depuis samedi. Mon père me l’interdit.
– Salut Manon !
– Salut Éric.
– Prête à bosser sur des bagnoles ?
– Toujours.
Je pose mes affaires dans un casier. Je prends une blouse bleu foncé. Je la mets par-dessus mes vêtements. Je m’avance vers le superviseur. C’est un mécanicien de profession qui nous enseigne directement sur les voitures.
– Manon, ça fait plaisir de te revoir. Tu as passé de bonnes vacances ?
– Oui.
Je réponds sans comprendre ce qu’il a voulu me demander.
– Très bien.
Il ouvre une boîte en fer posée sur la table. À l’intérieur il y a plusieurs petits cartons. Le nom et les caractéristiques des voitures sont marqués dessus. Le mécanicien m’en tend un.
– Je t’ai vu admirer la Chevrolet, tu travailleras dessus. Toutes les informations dont tu as besoin sont là-dessus. Si tu as un problème, appelle-moi.
– D’accord.
Je quitte son bureau. Je me dirige vers la voiture pour travailler. Je la fais rouler. Je regarde sous le capot. Je note ce que je vois dans un carnet.
Les deux heures du cours passent sans que je m’en rende compte. La cloche retentit. Je retire la combinaison. Je récupère mes affaires. Je quitte le garage pour rejoindre l’amphithéâtre. Il est déjà rempli. Je trouve une place au milieu. Je m’y assois.
Les professeurs de cultures générales et d’activités créatives marchent jusqu’à l’estrade. Je soupire. Ils expliquent en détail le programme. Mes doigts tapent sur la table. Mes jambes bougent. Mes chaussures tapent le sol. Mes yeux regardent la sortie. Autour de moi des étudiants discutent. D’autres dorment. Certains sont sur leurs ordinateurs. Le mien est posé sur la table. J’ouvre le sac à dos. Je touche le carnet que Charlie m’a offert. Je ne l’ai pas sorti du sac depuis samedi. Je le pose sur la table. Je l’ouvre sur une page blanche. Je tiens le crayon entre mes doigts. Je le tiens au-dessus du carnet. Je sais que je dois écrire. Mais je ne sais pas quoi écrire. Sauf que je dois essayer si je veux revoir ma voiture.
J’allume l’ordinateur pour regarder la date.
Lundi 30 août 2021
Je reste les yeux fixés sur la page. Je cherche dans mon esprit quoi noter. Je ne trouve que du vide. Je ferme les yeux. Je soupire. Je dois écrire. La mine du crayon se pose sur le papier. L’encre commence à sortir. Mon poignet forme des lettres.
Je m’appelle Manon Anderson. J’ai 21 ans. J’habite en Floride avec mon père. Je suis étudiante. Je fais un master en langues à l’université Keiser. Avec option astronomie. -Pour faire plaisir à mon père.- Et option mécanique.
Que puis-je rajouter ? Je ne comprends pas à quoi ça me sert d’écrire. Je relève la tête. Le professeur continue ses explications. Je regarde le carnet. Je pose le crayon sur la page. Il ne faut pas que je réfléchisse. Je n’arrive pas à écrire si je cherche à savoir quoi écrire. Je dois me laisser porter.
-Je ne suis pas normal. Je suis un monstre.- Je suis malade. Je suis alexithymie.
Les médecins m’ont diagnostiqué à l’âge de 7 ans. C’est… un trouble de la régulation émotionnelle.
Je relève la mine du crayon. J’essaye de me souvenir de la définition de la maladie. Je déverrouille l’ordinateur. Je fais une recherche sur internet. Je reprends le crayon. Je note la définition.
L'alexithymie consiste en une inhabilité à pouvoir faire des connexions entre les émotions et les idées, les pensées, les fantasmes, qui en général les accompagnent. L’alexithymie est une pathologie d’ordre psychologique qui se manifeste par une incapacité à exprimer ses sentiments de façon verbale. Cette incapacité est un blocage physique. Les mots ne peuvent être émis.
Je note sans comprendre le sens des mots. Je sais en quoi consiste ma maladie. Sauf que je ne sais pas l’expliquer précisément.
Je ne ressens rien. -Depuis 14 ans je suis morte à l’intérieur.- J’ai une alexithymie d’état. La cause est due à un évènement traumatisant. Les médecins disent que je peux redevenir normale. -Mais rien ne pourra effacer ce qu’elle a fait.- Ils me disent d’espérer. Je ne comprends pas ce terme.
Charlie veut que j’écrive dans le carnet. Mon père veut que j’écrive dans le carnet. Je ne comprends pas l’utilité. En quoi écrire peut-il m’aider ? Pourquoi devrais-je écrire ? En quoi ça effacera ce qui s’est passé ? Ils veulent que j’oublie ce qu’elle a fait ? Je ne peux pas oublier. C’est arrivé à cause d’elle.
Le crayon glisse de mes doigts. Il tombe par terre. Je soupire. Je referme le carnet. Je me penche pour récupérer le crayon. Je le range dans le sac à dos avec le carnet. Je croise mes bras sur ma poitrine. Je regarde le professeur. Je n’écoute pas. J’attends. La sonnerie retentit. Je prends le sac à dos. Je quitte l’amphithéâtre. Je rejoins l’arrêt de bus pour rentrer.
La maison est vide. Mon père est au travail. Les chiens aboient dans leurs pièces. Je vois des valises posées dans le hall. Mon père a ramené des affaires du travail ? J’ouvre la porte aux chiens. Je rejoins la chambre. Je pose le sac à dos à côté du bureau. Jupiter tourne autour de moi en remuant la queue. Apollo aboie dans mon dos. Je m’avance jusqu’à lui. Il pose ses pattes avant sur mes épaules. Je gratte sa tête.
Je rejoins la buanderie à côté de la cuisine. Je prends deux harnais avec des laisses. Je les attache aux chiens. Je prends une muselière. Je la mets à Jupiter. Nous quittons la maison. Nous marchons en direction du parc. Nous passons devant le garage. Mon cœur se serre. Mon regard fixe l’enseigne. Un creux se forme dans ma poitrine. Je sens une larme d’humide rouler sur ma joue. Je l’essuie.
– Manon !
Je vois Éric lever son bras au-dessus de sa tête. Il le bouge de gauche à droite. Il avance vers nous. Il caresse les chiens. Je les retiens en arrière.
– Tu te promènes ?
– Oui.
– Tu sais quand tu vas pouvoir revenir travailler au garage ?
Je le regarde sans comprendre.
– Pas en tant que secrétaire, mais en tant que mécano.
Je soupire.
– Je ne sais pas.
– Ton père abuse !
Je ne réponds rien. Mon père ne m’a pas parlé depuis samedi.
– Je vais te laisser à ta promenade. Si mon père me surprend en train de te parler, j’te raconte pas le sale quart d’heure que je vais passer.
Il me fait un signe de la main. Je reprends la route avec les chiens. Nous entrons dans le parc. Leurs queues bougent de droite à gauche. Ils tirent. Je les retiens. Je me mets à leur hauteur. Ils s’assoient. Jupiter ne peut pas être détachée. Il y a des personnes dans le parc. C’est un chien catégorisé. Même avec la muselière elle ne peut pas être détachée. Les chiens me regardent. Je sais ce qu’ils veulent. Je me mets à courir avec eux.
Je m’arrête. Le téléphone sonne dans ma poche. Des personnes passent devant moi. Ils me disent bonjour. Je ne réponds pas. C’est un message de mon père. Mon cœur tape fort contre ma poitrine. Mes doigts tremblent. Je lis le message. Je dois le rejoindre dans un restaurant. Il m’a donné l’adresse.
Je quitte le parc avec les chiens. Nous marchons jusqu’au restaurant. Sur le trottoir, une réceptionniste me dit bonjour. Je ne réponds pas. Elle me demande mon nom. Je lui réponds. Ses lèvres s’étirent vers le haut en me demandant de la suivre.
Mon père est assis à une table sur la terrasse extérieure. Il y a une femme à côté de lui. Je la reconnais. Ma mâchoire se contracte. Mes mains forment deux poings. Des couteaux plongent dans mon cœur. Ma respiration devient plus difficile. Plus rapide. Plus bruyante. Mes joues me chauffent. Puis mes yeux me piquent. Pourquoi est-elle là ? Il l’a fait venir ? Je n’arrive plus à respirer. Je fais un pas en arrière. Je dois partir.
– Manon, par ici !
Je m’arrête. Mon père me fait un geste de la main. Je ne peux plus partir. Je ne bouge pas. Je reste debout à les regarder. Un homme me bouscule.
– Excusez-moi mademoiselle.
Que dois-je faire ? Je regarde mon père. Il me fait signe de venir. Je vois ses yeux. Je vois les traits de son visage. Ils sont durs. Une boule se forme dans ma gorge. J’avance d’un pas. Puis d’un autre. J’arrive jusqu’à la table. La femme lève la tête vers moi. Ses yeux s’agrandissent. Sa bouche s’ouvre. Elle se met debout. Elle s’avance vers moi. Ses bras se tendent vers moi. Elle s’approche. Je me recule. Les chiens se mettent entre nous. Ils grognent. Elle s’arrête. Elle me regarde. Je vois ses yeux se voiler. Une larme coule le long de sa joue. Ses bras retombent le long de son corps. Elle retourne s’asseoir.
Mon père me désigne une chaise en face de lui. J’attache les laisses autour du pied de la table. Je regarde les chiens. Je hoche la tête. Jupiter et Apollo s’allongent sur le sol. Je m’assois.
– Manon, je te présente Makoto. Le fils de Tenshi.
Le garçon tourne la tête vers moi. Je ne le regarde pas. Je regarde mon père.
– Makoto, voici…
– Pourquoi m’as-tu fait venir ?
– Manon…, soupire mon père.
Nous nous regardons en silence.
– Ma chérie…, commence la femme.
Je la regarde. Elle baisse les yeux.
Un serveur arrive à la table.
– Bonjour, avez-vous choisi ?
Je me lève en faisant grincer la chaise. Je récupère les laisses des chiens.
– Manon, je t’en prie, dit mon père.
– Tu l’as fait venir.
Je pointe la femme du doigt.
– Manon…
– Non. Elle n’a rien à faire ici.
Je leur tourne le dos.
– Manon ! Parle mieux à ta mère !
Je m’arrête.
– Ma mère est morte il y a 14 ans. Cette femme est une étrangère. Je n’ai rien à lui dire.
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