Dix heures le lendemain. Le Père Golberg récitait la messe face à ses fidèles. Au premier rang, le roi et la reine. Quelques rangs plus loin, Monsieur, Liselotte et le Chevalier. Au dernier rang, loin de la foule, Anna et Agnès. La dame de compagnie regarda sa maîtresse, le regard triste, ne sachant que faire pour elle. Depuis qu'elle avait investi les appartements du château, Anna ne trouvait plus le sommeil, pleurait toutes les larmes de son corps, s'obligeant à faire le tour des jardins de nuit pour fatiguer son corps. Alors que la messe se poursuivait, les rires et les chuchotements à propos des jeunes femmes n'avaient de cesse de s'entendre dans l'immense chapelle. L'esprit d'Anna sentit arriver la peur, voir même l'angoisse. Les volants de sa robe devinrent sa seule possibilité de se calmer mais, cette fois, son cerveau refusa l'aide; il obligea son corps à se lever de sa place et de quitter la chapelle, sous les regards moqueurs des courtisans. Philippe, lui, se tourna vers Agnès, l'interrogeant du regard sur l'attitude de son amie. La jeune femme haussa les épaules.
La messe se termina. Agnès rejoignit le Chevalier et Liselotte, parlant de la fuite d'Anna lors de la messe. Tous ne comprenaient pas la réaction de leur amie, sauf le Chevalier qui lui, n'avait de cesse de se moquer de la pauvre demoiselle. Soudain, Philippe s'approcha de la petite bande, les interrogeant sur l'endroit où a pus se rendre Anna. Il ne reçu qu'un haussement d'épaules en guise de réponse.
- Je me demande quelle mouche a piqué notre bon roi. Quitter la messe, pour suivre une courtisane, ce n'est pas son genre.
- Sans doute celle dont le nom rime avec « débarrât », répondit le Chevalier.
Mécontent de cette réponse, Philippe écrasa son talon sur les pieds de son amant, déclenchant chez lui un hurlement de douleur et un petit rire chez les filles.
- Cela n'a rien d'amusant ! Cria le Chevalier, voyant ses amis se moquer de lui.
- Bon, je pense que je vais aider mon frère à chercher Anna. Agnès, Liselotte venez avec moi.
Alors que le Chevalier s'approcha de son amant, Liselotte le stoppa dans son élan par un simple signe de la main; il valait mieux pour Anna comme pour tout le monde que le Chevalier reste dans l'enceinte du château. Le Blond resta planté là, sans rien dire. Il s'assit sur un banc, face à toute la grandeur et au silence de la cathédrale, contemplant ainsi la beauté de la bâtisse. Soudain, il entendit des bruits de talons pénétrer dans la chapelle et Elsa, accompagné de Gaël, se tenaient derrière lui. Leur regards étaient malsain, rempli de haine et préparant quelque chose qui n'avait là rien de bienveillant. Les deux compères se dirigèrent vers le Chevalier qui, se relevant brusquement, fit sursauter Gaël qui laissa échapper un petit cri si strident qu'il détruirait tous les vitraux de l'église.
- Et bien ? Vous ai-je fais peur ?, lança le Chevalier, un sourire mesquin sur les lèvres.
- Pas du tout. Répondit Elsa. Pauvre Anna... Se retrouver à être la risée de la cour alors qu'elle vient à peine d'arriver. Quelle tristesse. Et vos amis qui la prennent en pitié... Et Monsieur... J'ai ouïe dire qu'elle était retourné dans sa chambre pendant la nuit... Et pas pour enfiler des perles à ce que l'on m'a dit.
Elle s'approcha lentement du Chevalier, continuant son monologue.
- Je suppose que vous avez suffisamment confiance en votre amant pour ne pas vous inquiéter de votre relation mon ami. En ce qui me concerne, si je voyais une aussi jolie femme tourner autour de mon mari, j'en deviendrai folle de rage.
- Quelle chance que vous soyez veuve alors. Répondit Le Chevalier.
Gaël étouffa un rire, ce qui lui fallu un regard noir d'Elsa. Le Chevalier s'approcha d'eux, le pas lent, le regard fixe et les mains dans le dos. Tel un professeur, il se dirigea vers Gaël. Son pas se fit plus lent. Alors qu'il se tenait à quelques centimètres de son interlocuteur, Gaël releva le menton. Par peur ou par défense ? Personne ne le saura. En tout cas, le Chevalier saisit son mouchoir dans le creux de sa poche, s'essuya le visage et le lança au visage du clampin. Elsa fusilla du regard le malotru qui avait eu ce geste, mais ne bougea pas d'un iota; le geste vulgaire, le regard indécent et l'affront à leur famille venait d'embraser la chandelle de la haine qui sommeillait dans le cœur de cette veuve. Le Chevalier quitta la pièce, s'engouffrant dans la lumière puissante de l'extérieur.
- Quel homme vulgaire, lança Elsa. Pas étonnant qu'il soit ami avec Anna et les autres greluches de la Cour.
- Vous avez raison, continua Gaël, un peu mal à l'aise. Et quel manque d'éducation ! M'envoyer ainsi son mouchoir au visage ! Et sans excuses !
- Il n'y a que cela qui vous choque ? Peu importe. Je vous déconseille de vous lier à ces gens. Ils ne sont pas bons pour nos affaires.
Elsa quitta la chapelle, laissant Gaël seul face à ses pensées les plus profondes. Seul dans l'immense maison de Dieu, il s'avança lentement vers l'autel, s'imaginant au bras d'un bel éphèbe, se mariant comme tout le monde. Malheureusement, et il le sait, il n'est pas comme tout le monde; sa transidentité le rendait impur, indigne du mariage avec qui que se soit. Aux yeux de sa mère, comme aux yeux de Dieu. Les yeux rivés vers la Croix, à genoux, il implora le Seigneur de lui apporter de l'aide dans cette épreuve qu'est l'acceptation de ce qu'il était, quand bien même il ignorait ce qu'il était. Un homme ? Une femme ? Un androgyne ? Une personne trans ? Il l'ignore. Tout ce qu'il sait, c'est qu'il est seul, aussi seul que la Croix à la fin de la messe. Il ferma les yeux. Une larme roula sur la joue du pauvre penseur, n'osant pas ouvrir à nouveau ses yeux pour découvrir l'impitoyable monde dans lequel il vivait. Les mains jointes, il adressa l'unique prière de sa vie à Dieu, si tant est qu'il soit croyant.; il implora cette entité supérieure de l'aider à se retrouver, de lui envoyer un signe pour qu'il comprenne qui il était réellement.
- Et bien Gaël, que faites vous seul ici ? Demanda une voix venant de son dos.
Le jeune homme se retourna brusquement, faisant face au Père Goldberg.
- Mon Père... Bafouilla Gaël. Je ne vous ai pas entendu entrer.
-Pensez-vous qu'il soit judicieux de frapper à sa propre porte mon enfant ? L'homme d'église esquissa un sourire. Le roi se balade dans les jardins, pourquoi n'êtes-vous pas avec lui ?
- Et bien... Je... Je ne m'y sens pas à ma place...
- Venez vous asseoir ici je vous prie.
Gaël s'assit sur un des bancs, le Père Goldberg à ses cotés.
- Vous savez, la Cour du roi est un bon moyen de savoir où est votre place dans ce monde. Certes, le chemin sera semé d'embuches, et vous vous allez rencontrer des gens mal intentionnés, mais l'arrivée n'en sera que plus glorieuse.
- Et comment puis-je trouver ce « chemin » ? Interrogea Gaël, interloqué.
- « Aussitôt, Jésus étendit la main, le saisit et lui dit : « Comme ta confiance est faible ! Pourquoi as-tu douté ? » Ils montèrent tous les deux dans la barque et le vent tomba. Alors les disciples qui étaient dans la barque se mirent à genoux devant Jésus et dirent : « Tu es vraiment le Fils de Dieu ! » ». Evangile de Mathieu, chapitre 14, verset 31.
Le prêtre se leva, et quitta la pièce. Gaël, surprit, se tourna vers l'homme d'église.
- Que dois-je comprendre mon Père ? Hurla-t-il.
Le Père Goldberg ne dit mots et s'éloigna dans le silence profond de la chapelle. Que devait-il comprendre ? Interpréter ? Une mise en garde ? Un indice ? Un conseil ? « Les prêtres et leurs phrases bibliques ! » pensa-t-il. Ce n'est pas la première fois que cette pensée arrive au cerveau du jeune homme ; la dernière fois que cela était arrivé, il venait d'avoir seize ans. Son interrogation portait, une fois encore sur ce qu'il était et comment il devait se comporter en société face à cette question qui le tourmentait un peu plus chaque jour. Il s'était éprit d'un des valets de chambre de sa mère, sans réellement comprendre ce qu'il ressentait. Amour ? Attirance physique ? Pulsion ? Il l'ignorait. Une fois encore, le prêtre de son village, le Père Hanson, lui cita l'évangile de Jude, chapitre 1, verset 22 « Ayez pitié de ceux qui hésitent ». A cet âge, comment voulez-vous comprendre une telle citation ? Quoiqu'il en soit, pour le moment, rester seul dans la cathédrale ne l'aidera pas à comprendre ce qu'il devait suivre comme chemin. Il se leva, fixant à nouveau l'autel, et quitta la pièce. Les talons de ses chaussures tapèrent le sol en marbre de la cathédrale. Alors qu'il se baladait dans les jardins, dans le plus grand des silences, et encore, ce n'était que silencieux si les discussions, les chuchotements et les ébats des nobles ne vous dérangent pas, Gaël s'arrêta fac au bassin du miroir, s'assit dans l'herbe, retira ses chaussures et enfonça ses pieds nus dans le bassin, priant pour que personne ne le voit. A nouveau, il regarda vers le ciel et demanda de l'aide à Dieu sur ce qu'il devait faire pour ne plus s'égarer. Alors qu'il prenait un peu de temps pour reposer et recentrer sur son esprit, il entendit ce qui semblait être des pleurs provenant de derrière lui. Courageux mais pas téméraire, Gaël empoigna une de ses chaussures et se dirigea vers le bruit. Et si c'était un sanglier ? Ou un loup ? « Que je suis stupide ! Pensa-t-il. Un loup ne fait pas ce genre de bruits. » Plus il s'approchait, plus il lui semblait distinguer une forme humaine, celle d'une femme pour être plus précis. Il baissa immédiatement sa main armée, prêt à bondir sur sa victime lorsqu'il constata qui était cette petite pleureuse. Gaël, interloqué et surprit de qui était là, s'arrêta net.
- Mais enfin ! Qu'est-ce que vous faites là ?
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