Ce qu'il faut savoir sur le Chevalier de Lorraine, outre son amour pour les belles choses et la luxure, c'est qu'il n'aime pas la compétition. Imbus de sa personne et se pensant supérieur par rapport aux reste des gens qu'il surnomme « les gueux », il n'hésite pas à écraser ses adversaires, sans jamais se soucier des conséquences. Surtout concernant le pouvoir. Jusqu'à quel point ? Avant de rencontrer Philippe, il a été capable d'enlever son rival, de le torturer avant de le tuer froidement. C'est pourquoi, lorsqu'il vit Anna aussi proche de son amant, il eut une pointe d'effroi; bien que ce dernier soit plus friand de terres plates que de collines, aussi charmante et magnifiques soient-elles, il n'en n'avait que faire. Il avait déjà fait l'amour à une femme uniquement pour la descendance, mais, du peu de souvenirs qui reviennent en mémoire du Chevalier, Philippe trouvait cette expérience intrigante et que, s'il fallait le refaire, le jeune Monsieur ne serait pas réfractaire à l'idée. Quelle jalousie ! Le paradoxe étant que, de son coté, le Chevalier avait passé sa soirée à séduire le tout venant, aussi quelconque et futiles soient ils. Alors qu'il cherchait Monsieur dans tout le château, il tomba sur Agnès, le sourire aux lèvres et les joues rouges.
- Agnès ! Mon amie ! Avez-vous vu Philippe ? Je le cherche depuis tantôt et je n'arrive pas à le trouver.
Agnès commença à jouer avec les plis de sa robe.
- Il est sur le balcon de la Galerie des Glaces avec ma maîtresse, répondit-elle, timidement. Quand je les ai quitté, ils conversaient.
Le regard du Chevalier s'intensifia. La jalousie et la crainte s'empara du jeune homme. Alors qu'il se dirigea vers le château, Agnès le saisit par le bras, l'interdisant d'aller déranger sa maîtresse. L'homme observa sa blonde interlocutrice, l'air étonnée.
- Écoutez, votre ami n'est pas quelqu'un pour ma maîtresse. Je veux dire... Non pas qu'il ne soit de mauvaise influence pour Anna mais... Comment dire ? Disons qu'il n'apprécierait pas ma maîtresse à sa juste valeur. Et je ne dis pas qu'Anna soit une mauvaise personne...
Le Chevalier soupira.
- Ma chère, si vous cherchez une manière descente de dire que Philippe aime les hommes, c'est raté. Il n'y a pas sujet à tourner autour d'un pot qui n'a pas de fond. Et puis, quand bien même Philippe serait également attiré par les femmes, encore faut-il que votre... Anna... Soit à son goût.
Agnès écarquilla les yeux; comment pouvait-on tenir de tels propos ? Anna est une femme respectable et pourrait séduire quiconque la regardait ! Pourtant, elle devait bien se rendre à l'évidence que le Chevalier avait raison sur un point; Philippe n'aimerait jamais Anna comme il aime ses conquêtes masculines. D'un simple regard, elle supplia le jeune blond de ne rien dire à sa maîtresse pour ne pas lui faire de peine. Retissant tout d'abord, l'amant de Monsieur accepta à contre cœur.
- C'est uniquement pour vous que je le fais, pas pour Anna.
Agnès esquissa un sourire, remerciant le Chevalier pour cette faveur. L'homme sourit à son tour, comme attendrit par la gentillesse d'Agnès. Il posa sa main sur la sienne, lui proposant une balade. D'un signe de tête, son interlocutrice accepta volontiers cette proposition. Ils se mirent en route. « Après la pluie vient le beau temps », pensa Agnès, agrippant le bras de son compagnon de balade, de peur de trébucher dans l'escalier menant aux jardins. Les talons de leur chaussures martelaient le sol dans un petit clic discret mais suffisamment fort pour qu'insectes, oiseaux ou petits mammifères, s'enfuirent à ce son. La nuit était calme, pas un bruit et pas un nuage à l'horizon. Nos amis étaient comblés; pour la première fois, ils pouvaient se permettre de souffler un peu et de se détendre dans leur vies teintées de sombres nuages noirs. Au niveau du tapis vert, ils firent la rencontre de Gaël, assit seul, comme abandonné. Le prenant en pitié, Agnès voulut s'approcher de lui mais le Chevalier la retint vers lui, affirmant qu'avoir Gaël à leur cotés n'allaient leur apporter que des ennuis. Furieuse de ses propos, la jeune femme interpella ce pensif solitaire. Gaël sursauta en entendant une voix derrière lui. Voyant Agnès et le Chevalier, lui faisant face, il se releva, tapa ses vêtements, retirant alors les quelques brins d'herbes accrochés à son pantalon.
- Mademoiselle Agnès, monsieur le Chevalier... Pardonnez mon accoutrement. Je vous pensais au chaud à l'intérieur...
- Que faîtes-vous ici ? Il n'est pas prudent de rester seul en pleine nuit. On pourrait vous agresser.
- Mère est à l'intérieur et personne ne m'adresse la parole...
- C'est sans doute à cause de ce que vous êtes... Et c’est compréhensible. Lança froidement le Chevalier.
Agnès pinça le bras de son ami, lui faisant remarquer que sa réplique était loin d'être appropriée.
- Nous allions nous promener dans les jardins, venez donc avec nous. La Lune est tellement belle, il est indécent de ne pas en profiter.
Devant cette proposition qu'iel ne se voyait pas refuser, Gaël accourut vers eux avec autant d'entrain que lors d'un jeu de balle. La balade dura plusieurs minutes sans que personne ne dise quoique se soit.
- Dîtes-moi Mademoiselle Agnès, je vois souvent votre maîtresse... Anna c'est ça ? Accompagnée par Monsieur. Quels sont les sentiments de Dame Anna envers lui ?
Agnès se ferma comme une huitre; elle n’aime pas répondre à la place de sa maîtresse.
- Ils sont purement amicaux, rétorqua le jeune prince, froidement. Ils sont simplement amis.
Comprenant qu'il venait de déclencher un froid, Gaël se tue et baissa la tête. Le Chevalier, lui, resta stoïque face à cette réaction. Comment cet énergumène osait-il vouloir connaître la vie privé de son amant ? Et puis, ils ne sont pas amis ! Non pas qu'il soit « ami » avec Agnès en des termes officiels, ils s'entendent simplement bien. Mais faire entrer quelqu'un d'autre dans leur cercle serait plus que dérangeant et viendrait perturber l'équilibre de leur trio. Oui, car il faut aussi compter Liselotte. Serrant la manche de son ami, Agnès jeta un regard vers Gaël, chuchotant un petit « Excusez-vous ! » au Chevalier. Ce dernier soupira mais s'exécuta, sous le regard timide de Gaël. Curieuse, Agnès l'interrogea sur les raisons de sa présence ici, ce qu'iel répondit par de simples soupirs, comme ne sachant pas vraiment quoi répondre. La Lune sublimait le Bassin d’Apollon de son immense clarté, offrant alors un projecteur au plus beau bassin du palais. Notre trio resta face au Dieu pendant de longues minutes, sans rien dire, observant dans un silence religieux, les rayons de la Lune se refléter dans l'eau. Agnès s'approcha du bassin, puis s'assit sur le bord de ce dernier.
- Dîtes-moi Gaël, pardonnez ma question intrusive mais... Qui est Athénaïs pour vous ?
Gaël devint timide, plus encore que depuis le début de leur balade. S'asseyant sur le sol terreux, il observa longuement Agnès, sans véritablement savoir comment lui répondre. Lorsqu'il put enfin donner l'information qu'attendait la jeune femme, un cri provenant de derrière eux se fit entendre; Liselotte apparut dans la pénombre, essoufflée et aussi rouge qu'une des plus belles tomates du potager royal.
- Je vous ai cherché partout ! Pourquoi ne pas m'avoir prévenu que vous partiez vous balader ?
- Doit-on tenir conseil dès que nous désirons quitter le palais ? Êtes-vous un conseiller du roi ? Rétorqua le Chevalier, moqueur.
Gaël laissa échapper un petit rire.
- Excusez-moi de craindre pour vos vies. D'ailleurs Agnès, Anna n'est pas avec vous ?
- Non, répondit la demoiselle de compagnie. Elle est avec Monsieur le frère du roi il me semble. Ou en tout cas, lorsque je les ai quitté, ils discutaient sur un des balcons. Ils ont l'air de bien s'entendre tous les deux.
- Au plus grand damne de certains.
Un long silence prit place dans le jardin. Au loin, les rires des dames de la Cour jouant dans les bassins se faisaient entendre, mais ils n'étaient que des bruits de fond, trop bas pour les remarquer. Le Chevalier s'assit aux cotés d'Agnès, le regard vers le sol. Liselotte se baissa vers lui et posa la tête de son ami contre elle. Devant cette scène, Gaël comprit qu'il venait de jeter un froid et qu'il venait sans doute de perdre ses potentiels nouveaux amis. Iel se recula un peu, comme pour quitter discrètement le trio mais Le Chevalier l'interpella et lui demanda de rester avec eux.
- Monsieur, pardonnez-moi pour cette réflexion mal placée... Loin de moi était l'idée de vous froisser... Je... Pardonnez-moi...
- Ce n'est rien Gaël... Vous ne pouviez pas savoir... Vous êtes largement pardonné. Répondit Le Chevalier. C'est en parti de ma faute si Philippe est devenu comme ça avec les femmes; dragueur, fougueux, entreprenant. Tout ce qu'il n'était pas. J'ignore s'il fait cela pour se venger de mon comportement ou parce que les femmes lui plaisent également. Et puis, je m'en moque ! Qu'il fasse ce qui lui plaît ! Ce n'est plus mon affaire !
Il se leva brusquement, faisant tomber Agnès dans le bassin, et Liselotte dans l'herbe. Ils restèrent là quelques secondes, face à la jeune femme, trempée jusqu'aux os. Puis, ils se mirent à rire. Tous ? Non, Gaël ne riait pas. Il observait le trio d'amis rire à gorge déployée, se demandant s'il pouvait faire parti de tout cela; être un des rouages de cette amitié aussi puissante que celle qui unie Agnès, Liselotte et Le Chevalier. Si quelqu'un pouvait l'aimer autant que Liselotte aime Agnès. Soudain, un rire s'échappa de sa bouche. Ce n'était pas un rire « normal », mais un rire plutôt homérique, bruyant, que l'on entendrait de loin et qui ferait frissonner toutes personnes qui l'entendrait. Le trio s'arrêta net de rire au moment où Gaël s'esclaffa, puis se remirent à rire ensemble. A cet instant, il comprit que sa présence allait être indispensable à cette bande. Puis, le silence à nouveau.
- Que pensez-vous de Mademoiselle Anna ? Demanda Liselotte, voulant briser le silence. On n'en a pas vraiment parlé depuis qu'elle est arrivée.
- Agnès, vous ne répondez pas. Rétorqua Le Chevalier. Vous êtes sa dame de compagnie, rien de ce que vous ne direz sera objectif.
- C'est là ce que vous croyez.
- Regardez-moi dans les yeux et osez me dire le contraire je vous prie.
Agnès baissa les yeux au bout de quelques secondes.
- Bien. En ce qui me concerne, je la trouve peu intéressante, voir même ennuyeuse. Aucuns sujets de conversations qui passionnent l'auditoire. Je ne comprends pas pourquoi Louis s'intéresse à elle.
- Par « Louis », vous sous-entendez « Philippe » ?
Liselotte savait pertinemment ce qu'elle faisait en piquant son ami à vif; le sujet « Philippe », aussi épineux qu'un bouquet de roses à peine éclot. Certes, Monsieur était éperdument amoureux de son amant, mais la lassitude l'avait-il sans doute percuté de pleine figure, au point qu'il se détourne de lui ? La plus grande peur du Chevalier s'était réincarnée en Annarizanne de Mombryant, future duchesse. Il avait remarqué le fait que tout le monde se retournait sur la jeune femme, même Monsieur, ce qui n'était pas du tout au goût de son amant blond. Le lien qu'elle tentait de tisser avec le frère du roi pour quelconque raisons, qu'elle soient matérielles ou sociétales, tout cela ne lui va pas. L'arrivée de cette femme contrariait tous les plans qu'ils avaient ensemble ; grimper l'échelle sociale, détrôner le roi, dépenser sans compter l'argent des caisses royales, apprécier la dolce vita comme on dit. Mais maintenant que cette garce venait d'apparaître dans le plan de leur existence, tout est compromis. Sentant la tristesse du Chevalier, Liselotte prit son ami dans ses bras, Agnès leva vers les yeux au ciel, inondé d'étoiles.
- Vous savez ce que j'aime chez vous Liselotte ? Votre douceur.
- C'est gentil mais pourquoi dites-vous cela Agnès ?
- Les nobles critiquent toujours les défauts des autres, mais expriment rarement ce qu'ils apprécient. C'est dommage.
Tout le monde esquissa un sourire. Gaël prit la parole.
- Elle a l'air méprisante aux premiers abords, mais ma mère est une personne véritablement tendre. Même si, parfois, je me dis qu'elle serait plus heureuse d'avoir une fille.
- Sachez qu'être une femme est moins un cadeau qu'être un homme dans ce monde, répondit Agnès en riant.
- A moi ! Continua Liselotte. Le Chevalier de Lorraine est la personne la plus fidèle et la plus loyale que je connaisse. Peu importe ce que vos actes ou votre réputation, il sera toujours à vos cotés. Il vous soutiendra quoiqu'il en coûte et, peu importe son avis sur vous, si vous êtes en danger, il viendra à votre secours.
- Et moi, chuchota Agnès, timidement, ce que j'apprécie chez Madame Anna, c'est son altruisme. Elle donne toujours de sa personne, peu importe ta classe sociale, ton genre ou ta réputation. Si tu fais parti de ses amis, elle ne te lâchera plus et te défendra bec et ongles.
- Je ne lui ai pas encore parlé mais elle a l'air très gentille.
Un frisson traversa Gaël.
- Rentrons mes amis. Il commence à faire froid.
- Nous devrions rejoindre l'Orangerie. Il nous sera plus facile de revenir sans se mêler à la foule. Conseilla le Chevalier, se relevant difficilement.
- Excellente idée mon ami. Allez ! En avant...
Il ne manquait plus que ça ! La rhingrave de son costume venait de se découdre, déclenchant un fou rire chez Liselotte et un sentiment de malaise auprès d'Agnès. Le Chevalier, lui, resta là, observant son ami, les fesses à l'air, cachant de ses mains ce disgracieux orifice. Devant l'unanime incompréhension, Le Chevalier prit Gaël par le bras, le tira vers un buisson, disparaissant ainsi dans l'ombre.
- Contrôlez vos pulsions enfin ! Ou attendez d'être dans vos appartements ! Cria Liselotte, ne recevant qu'un silence comme réponse.
Dix minutes plus tard, Gaël ressorti du buisson, vêtu de la rhingrave du Chevalier. Liselotte s'approcha de Gaël, le serrant contre elle. Soudain, un bruit provenant du buisson détruit ce moment de tendresse.
- Me voilà bien avancé ! Nous n'avons définitivement pas la même carrure mon cher compère ! Partez devant ! Je vous rejoins.
- Trop grand ou trop petit ? Demanda Agnès en riant.
- Définitivement pas assez large ! Cria le Chevalier. Elles doivent être trop grosses... Mes cuisses ! Je parle de mes cuisses !
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