Agnès pressa le pas. Le roi avançait beaucoup trop vite, ce qui confia le premier apriori la jeune femme; les français sont toujours pressés. Les talons de tout ce public résonnait dans les couloirs du château ce qui faisait grincer les dents de la dame de compagnie. Liselotte saisit son bras, se mettant à sa hauteur. La présence de sa nouvelle amie la ravissait encore plus que l'annonce d'un bal dans un pays autre que la France. Le sourire d'Agnès remplit son cœur de joie. Elle aussi était heureuse d'être ici; tout ce luxe, cette beauté la fascinait alors qu'elle savait que tout cela faisait parti d'une simple mascarade théâtrale orchestrée par un monarque avide de pouvoir. La traversée des nombreux couloirs jusqu'aux chambres aménagées pour les dames de Mombryant ressemblait à une course de char qu'à une visite de courtoisie. Le Chevalier se joignit à elles, ne cachant pas sa joie à la vue de son amie blonde, non pas qu'il ne soit pas heureux de voir Liselotte, mais, comme il la voyait souvent, il s'en fichait un peu. Il commençait déjà à faire des plans pour que la belle blonde cendrée se fasse une nouvelle garde-robe, colorée, sulfureuse, pétillante. Tout ce qu'elle est. Puis, il interrogea Agnès sur celle qui était aux cotés du roi.
- C'est Lady Anna, ma maîtresse. Je suis sa dame de compagnie depuis deux ans, bientôt trois. Elle a l'air froide comme ça mais ne vous y fiez pas; elle a été adoptée par le Gouverneur quand elle était bébé. Ce fait ne lui ait connu que depuis quelques années, et il me semble qu'elle vit parfaitement bien avec cela. Vous pourriez devenir amis tous les deux.
- Je n'en suis pas certain; elle me semble trop discrète. J'aime les personnalités qui se montrent, se pavanent tels des pans majestueux. Pardonnez-moi cette offense ma bonne amie mais votre maîtresse ne m'inspire pas confiance.
Agnès esquissa un petit sourire en coin face à cette remarque.
- Vous serez bientôt surpris de la voir à l'œuvre. Elle sait se montrer très « extravagante » quand elle veut. Patientez quelques jours et vous verrez.
La foule suivant le roi s'arrêta face à une immense porte. Les gardes l'ouvrirent, donnant pleine vue sur une chambre d'un rouge immaculé, avec des broderies serties d'argent et d'or et tout ce qu'il faut pour qu'elles soient à leur aise dans le palais. Agnès n'en croyait pas ses yeux; c'était encore plus beau que chez le Gouverneur. Anna, elle, ne supportant pas la grandeur de cette chambre, regarda tout cela d'un air suspicieux. Dans l'euphorie du moment, Agnès se jeta sur le lit à peine fait mais Anna la rappela à l'ordre en se raclant la gorge. Voyant cela, Le Chevalier et Liselotte rirent dans leur barbe. Louis s'approcha lentement de la jeune femme et demanda à ce qu'on les laisse seul. Son regard était froid, sans aucunes émotions, comme s'il venait de se transformer en statue de marbre. Alors que les courtisans quittaient un à un la chambre, Agnès, elle, se tenait droite, derrière sa maîtresse, stoïque, les yeux pointés sur la Majesté. Ils ne se quittèrent pas des yeux une seconde, se lançant alors dans un duel de regards sans merci où le premier qui cèdera, sera le plus faible. La respiration des combattants étaient lente, calme, comme eux. Agnès esquissa un petit sourire. C'est alors que Louis comprit qu'il ne pourra jamais se débarrasser de cet tique, cramponnée à celle qui lui avait donné bien plus d'amour que n'importe qui serait capable de le faire. Le regard de la petite devint plus noir, méfiant, sur la défensive; pour la première fois de sa vie, le roi s'inclina devant une autre femme que la Reine Mère, malheureusement décédée. Le roi baissa les yeux. La porte se ferma et le trio se retrouva seul.
- Sachez Madame, que je ne voulais en aucun cas vous froisser ou froisser votre... Dame de compagnie. Si vous avez besoin de quoique se soit...
- J'ai peut-être une requête « Votre Majesté »; pourriez-vous demander à votre « public » d'arrêter de nous suivre partout ? Cela me met véritablement mal à l'aise.
Louis fronça les sourcils.
- Je suis désolé mais, je ne peux rien faire vis-à-vis de cela malheureusement, répondit-il. Voyez vous, cela fait parti du protocole, je suis contraint et forcé de m'entourer de tout ce monde. Je trouve cela plaisant d'avoir une foule autour de moi. Comment réagiriez-vous si tout les courtisans vous regardaient faire le moindre geste quotidien ?
- Je me sentirai... Gênée. Me montrer ainsi en spectacle devant tout ces gens avec qui je n'ai aucuns moments intimes, privilégiés, et qui scrutent chacun de mes mouvements, détaillant le plus petit pore de ma peau. Excusez-moi Monsieur mais, même pour milles écus, je ne ferai de telles choses. Il est des choses privées qui se doivent de le rester. En supposant que vous ayez une femme ou une maîtresse, ce qui, je pense n'est plus à supposer puisqu'un homme aussi séduisant et puissant que vous ne doit pas laisser une seule femme indifférente...
- ... J'en compte au moins une...
- Il suffit ! Mon discours n'est pas terminé ! Je disais. Aimeriez-vous que des hommes, des femmes, jeunes et vieux, se placent au plus près de vous pendant l'acte que vous effectuez dans ces draps ? J'en doute.
Echec et mat pour le souverain; personne ne lui avait encore parlé comme ça ! Il s'approcha d'Anna, lentement, soutenant son regard, pensant pouvoir l'effrayer mais la jeune femme resta de marbre devant cet aplomb de monarque. Furieux et vexé, Louis quitta la pièce, sans rien dire et en claquant la porte. Anna laissa échapper un rire, puis, se tourna vers Agnès, l'interrogeant sur ce qu'elle pensait de leur hôte. Elle fut directe; ce genre de comportement ne plaît pas du tout à la dame de compagnie. Cependant, il fallait bien admettre que leur hôte était exceptionnel en matière d'accueil et de savoir vivre. Anna s'assit sur le lit, prenant sa tête dans ses mains; elle venait de vivre un moment aussi éprouvant qu'une pendaison en place publique. Agnès s'approcha d'elle, la prit dans ses bras, essayant de la rassurer et de lui faire comprendre que la soirée pouvait tourner à son avantage. Et puis, elle comptait lui présenter ses amis, ça allait lui faire de la compagnie !
- Je vous fais confiance Agnès, en espérant que vos amis soient plus agréables que le roi.
Le soir-même, toute la Cour se baladait dans les jardins. Les orchestres de Jean-Baptiste Lully jouaient de la façon la plus harmonieuse qu'il soit et tout le monde avait l'air de s'amuser. Le bassin de Latone, lui, inondait la place de sa prestance, faisant briller de milles feux les tenues de toute la Cour. Observant chacun des invités, Athénaïs et Elsa ne pouvaient s'empêcher de critiquer chacune des dames présentes ce soir. Gaël les rejoignit, se moquant encore du comportement de ces dernières face à toute cette agitation; bien qu'il trouve cela extrêmement ridicule devant cette mascarade royale, iel se plaisait dans les dorures et les froufrous qui ornent chaque centimètre de son corps.
A l'intérieur du palais, dans sa chambre, Anna jouait avec ses bijoux, tremblait comme une feuille morte et se rongeait les ongles. Pas de doutes, elle angoissait. Il est vrai que le roi fut bien arrogant à son égard mais elle n'avais pas été meilleure; pourquoi s'était-elle permise de parler ainsi à un monarque ? Qui plus est celui qui les accueille dans sa demeure ? La jeune femme pensa également aux «amis» d'Agnès; sont-ils aussi prétentieux que le souverain ou bien plus aimable ? Auront-ils de bonnes intentions envers elle ? Des dires de sa dame de compagnie, le frère du roi était une personne délicieuse, intelligent, avec beaucoup de conversation. Très cultivé et pointu sur la mode, il aurait pas mal de chances de plaire à sa maîtresse. Toujours selon Agnès, sa femme est tout aussi sympathique; franche, un peu brute de décoffrage aux allures bien trop vulgaires pour ceux de la Cour. Même si elle n'avait connaissance que leur noms, Anna tomba immédiatement amoureuse de Philippe; la jeune femme imagina immédiatement une histoire fantasque, digne des plus grands dramaturges de l'époque. Pendant qu'Agnès ajustait son corset, Anna l'interrogea sur le jeune homme; ses goûts en matière de nourriture, l'attitude à avoir face à lui, le genre de vêtements qu'il porte,... La belle voulait tout savoir.
- Calmez-vous madame ! Lança Agnès, en riant. Et puis, il me semble qu'il n'est... Pas comme nous.
- Évidemment qu'il n'est pas comme nous ! Rétorqua Anna, dissimulée derrière son paravent, enfilant sa robe. C'est un homme, et nous des femmes. Nous sommes différents par l'anatomie.
- Je ne parle pas d'un point de vue anatomique...
Anna sortit la tête du paravent, observant son interlocutrice d'un regard surpris; comment Agnès pouvait supposer des choses aussi absurdes ? Il est bien marié à Liselotte non ? Dans ce cas, pourquoi supposer quelque chose d'aussi invraisemblable ? Le cerveau d'Anna fusait de questions, mais la jeune dame les étouffa en se concentrant sur son trait de fard noir. Une fois cela fait, les deux femmes quittèrent la pièce, fermèrent la porte à clé et se dirigèrent vers les jardins. Adossé à l'une des colonnes de marbre de l'immense galerie des glaces, se tenait Philippe, observant les nobles valsant au milieu des nombreuses lumières qui illuminaient les jardins. L'atmosphère était fraîche. Un vent discret soufflait dans les feuilles des arbres, et le bruit de l'eau des fontaines se faisait aussi secret que la Dame de Candort racontant les déboires amoureux de sa fille à l'une des courtisanes. Les rires, eux, s'entendraient à une lieu d'ici; bruyants, grinçants, aigüe ou étouffé, ils étaient aussi différents que les convives. Les deux jeunes femmes poussèrent doucement les portes du balcon, faisant sursauter Philippe qui laissa échapper un petit cri strident. Anna, elle, dans sa maladresse naturelle, manqua d'embrasser le sol en voulant se mettre aux cotés de sa dame de compagnie. Agnès s'approcha, laissant sortir un timide « Monsieur » pour signaler leur présence au jeune homme. Il la salua d'un simple mais élégant baisemain, puis dirigea son regard sur son accompagnante. La belle blonde présenta son nouvel ami à sa maîtresse, qui passa de peau mâte à rouge pivoine en quelques secondes. Philippe sourit; la timidité de la jeune brune chatouilla son cœur. Un baisemain également pour elle. Anna rougissait de plus en plus. Nos trois protagonistes se tournèrent face aux jardins admirant la vue.
- La vue est véritablement magnifique, remarqua Philippe.
Anna se tourna vers Monsieur en souriant. Elle acquiesça d'un simple « Oui, c'est vrai ». Philippe sourit.
- Qui a dit que je parlais cette vue ?
Les deux jeunes gens échangèrent un petit regard, accompagné d'un sourire. Comprenant ce qu'il se passait, Agnès quitta le balcon, laissant sa maîtresse et Monsieur seuls. Anna s'adossa à une des colonnes de l'endroit, gardant Monsieur dans sa ligne de mire. Ses lèvres se firent plus rouge, ses joues plus roses et son attitude moins timide; elle se transforma en une femme affirmée, séductrice, qui s'assume. En voyant ce changement brutal de comportement, Philippe devint curieux et s'approcha d'elle. La jeune femme sourit. Ses pupilles se dilatèrent, un frisson traversa sa colonne vertébrale et les mains du jeune homme se posèrent sur les hanches. Anna sentit un frisson traverser tout son corps; elle ignorait d'où cela pouvait provenir mais son esprit confirma une chose, cela n'était dût en rien au froid de la nuit. La présence de Monsieur avait-il une incidence sur cette sensation inexpliquée qu'elle ressentait à cet instant ? Et si c'était le cas, quelles étaient les raisons de tout ce bouleversement corporel ? Son odeur, ses cheveux et la sensation de ses vêtements se frottant à elle, tout chez cet homme déployait chez Anna, une montée d'excitation qu'elle ne pouvait réfuter. Philippe s'approcha encore plus d'elle, se retrouvant alors à quelques centimètres de cette femme, forte mais encore fébrile, la plaça devant lui, l'obligeant à lui tourner le dos, et posa sa tête sur son épaule, entourant la jeune femme de ses bras. Sentant alors son souffle contre sa nuque, Anna succomba; elle était bien trop faible pour résister à une telle douceur masculine. Elle ferma les yeux.
- Vous êtes bien plus doux que votre frère Monsieur. Comment pouvez-vous être du même sang ?
- A vrai dire, je m'interroge, tout comme vous, répondit Philippe, ne quittant pas l'horizon des yeux. Tout comme le fait qu'il me sous-estime pour tout; la guerre, les stratégies de combats, la politique. J'ai la sensation qu'il me pense plus sot que je ne le suis.
- Sans doute veut-il vous protéger. Vous êtes son frère, et, même s'il ne vous le montre pas, il vous aime.
A ces mots, Philippe embrassa la joue de la jeune fille qui frissonna à ce contact.
- Vous n'êtes pas comme les autres femmes de la Cour. Vous êtes plus simple, sans aucun artifices, belle au naturel. Vous dégagez bien plus que n'importe qui dans ce château ! Bien plus que le roi lui-même ! Vous brillez d'une lumière incompréhensible et irrésistible. Aucun homme ne saurait vous résister.
Philippe la serra un peu plus contre lui.
- Je ne suis pas si exceptionnelle que cela Monsieur, répondit Anna, timidement. Ou tout du moins, pas autant que sa Majesté. Lui rayonne comme le Soleil et moi, je ne suis qu'une insignifiante étoile dans l'Univers français. Monsieur !
Les voilà maintenant face à face, les yeux dans les yeux. Deux jeunes gens que tout sépare, à quelques centimètres l'un de l'autre. Les yeux d'Anna se firent plus brillants, ses lèvres plus rouges et pulpeuses et son cœur a deux doigts de sortir de sa poitrine. Le souffle chaud de Monsieur créa chez elle quelque chose d'incompréhensible, d'inexplicable. Comme mal à l'aise, la jeune princesse eut du mal à regarder cet homme dans les yeux, comme s'il l'intimidait, la bouleversait. Elle se souvint alors de la remarque d'Agnès ; « Il n'est pas comme nous ». Au diable Agnès et ses élucubrations ! Philippe est un homme ! Il doit forcément aimer les femmes ! Pourtant, ne cessant de se répéter cela, Anna repoussa doucement le Duc d'Orléans, tout en soutenant son regard. Elle se dirigea vers la porte de la galerie des Glaces, s'engouffra dans la pièce et referma derrière elle. Ne remarquant pas cette petite feinte de la jeune femme, Monsieur, voulant rejoindre son amie, se prit la porte dans la figure, ce qui eut pour réaction de déclencher un rire chez Anna, puis un sourire. Face à cela, Philippe eut le regard beaucoup plus tendre que précédemment, trouvant la réaction de son amie véritablement amusante. Il donna quelques coups sur la porte, demandant à Anna de lui ouvrir mais la jeune fille refusa, en riant. Philippe insista mais sa belle persista, posant les mains sur les portes. Leur regards se croisèrent une fois encore, rendant le moment bien plus intense, plus fort. Le petit cœur d'Anna se mit à battre la chamade. Sa main se dirigea instinctivement, de façon mécanique vers la poignée, la baissa et ouvrit la porte en grand, permettant à Philippe de se placer dans le cadre de la porte. Ils se regardèrent pendant une minute, sans rien dire, aussi muets que des tombes. A se regarder, dans la clarté de la Lune, comme dans une bulle. Monsieur s'approcha, prit Anna par les hanches et approcha son visage du siens.
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