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Il y a des maturités qui s’acquièrent et des maturités innés, la sienne était de la seconde catégorie. Depuis toujours, il avait sur le monde un regard critique, observateur qui lui a souvent valu des remarques acerbes. On lui reprochait son flegme, son air supérieur et cette insupportable tendance à énoncer des évidences comme on parle de la pluie et du beau temps.

Lui ne voyait pas les choses de cette manière. Entre le coeur et la raison, la première avait eu raison de son coeur et loin de s’en plaindre, il préférait apprécier cette limpidité rassurante: « Le savoir c’est le pourvoir ». Alors il s’appliquait à savoir, pour ne jamais se retrouver déstabilisé. Le code de la route; apprit et appliqué. Les règles de bonne conduite à table; apprises et appliquées. Les systèmes politiques européens; appris et appliqué. Là ou il y avait de l’humanité, il y avait des règles, des règles à appliquer pour permettre le bon fonctionnement de nos sociétés.

Il ne comprenait pas ceux et celles qui s’épuisaient à questionner, à vouloir faire changer ces codes qui lui apportent tant de réconfort. C’est pourtant simple, c’est ainsi. Pourquoi ? Parce que. Notre histoire. Nos lois. Les règles. La civilisation. La langue. C’est ainsi et cela ne dépendait pas de lui. Bien sur il s’agissait là d’évidence, puisque tout ce cadre existait avant nous et existera après nous.

Questionner, c’est prendre le risque de se retrouver face à un non sens, pire, face à une autre possibilité. Hors, lorsque un curseur bouge, c’est l’ensemble du système qui se retrouve obsolète, obligé de s’adapter. Et lorsque la mécanique change il faut tout recommencer, réapprendre de nouvelles règles.

L’innocence futile était pour lui une perte de temps. Pourquoi rêver ? Pourquoi imaginer ? Pourquoi aimer ? Toutes ces actions n’avaient pas de règles, pas de sens, donc, pas d’intérêt. Se projeter, se complaire dans cette soif insatiable d’une autre réalité inaccessible, tout ça pour quoi ? La réalité elle n’avait pas changé. Pire, il s’agissait là d’une perte de temps, parce que pendant que nous tombions dans la rêverie, les bourses continuaient leur course effrénée, les usines continuaient de tourner, des enfants de naitre et des vieux de mourir. S’échapper ne nous avait alors offert qu’une goutte d’impossible aussitôt essuyée.

Lui préférait regarder le monde avec des yeux d’adulte, même dans un corps d’enfant.

Et puis il avait rencontré l’Autre.

Lui avait acquis sa maturité au prix de nombreuses années d’effort. Pour se faire une place dans cette société de règles, de codes, de normes plus que par véritable volonté personnel. Lui avait depuis toujours choisi de questionner, de chercher le sens, de rêver d’une autre réalité. Parce que pourquoi pas ? Ce sont bien des remises en question, des changements, des systèmes obsolètes qui ont permis la création de nouvelles réalités.

Lui avait choisit d’être aveugle : « L’amour rend aveugle ». Il aimait les fleurs, les chansons douces, les feuilles déchirées et les scènes dramatiques. Il aimaient s’arrêter pour observer. Il imaginait alors les conversations des passants, la vie ici même un siècle auparavant. Il aimait mettre une musique sur une scène vécue, frôler les gens dans la rue. Alors, il tentait de jongler entre sa poésie muette, innée et sa maturité durement acquise. L’une pour survivre, l’autre pour exister.

L’autre comprenait ceux et celles qui préférait appliquer sans questionner et refuser le risque en restant entre les lignes finement dessinées. Il comprenait, ne jugeait pas, mais ne pouvait suivre le mouvement, au nom de ses rêves d’enfants.

Cesser de questionner était pour lui synonyme d’abandon. Une fin de lutte, considérée comme vaine par une société emprisonnée par ses propres règles et normes, aux sens contestables et aux intérêts limités. Parce que lui avait conscience des limites des règles d’adulte: pensées, appliquées et protégées par et pour certains et certaines, gentiment rangé.e.s entre les oeillères méticuleusement dressées. Lui était des autres: hors champs.

Lorsque l’on vie sur une même planète tout en étant d’une dimension parallèle, les faux semblant sont nécessaires pour survivre. Pourquoi appliquer ? Pourquoi obéir ? Pourquoi acquiescer ? Toutes ces règles n’avaient pas de sens et donc pas d’intérêt. Se ranger, se complaire dans cette soif insatiable d’une seule réalité, unique, singulière, tout ça pour quoi ? Cette réalité inchangée continuait de blesser. Pire, elle nous volait nos rêves si précieux, notre art, si unique à coup de priorité, de rendements et de normalités irréelles. S’aligner ne nous avait alors offert qu’un tsunami d’obligations à appliquer à jamais.

L’autre, choisissait chaque jour d’écouter sa voix d’enfant, chuchotée derrière le brouhaha des cris adultes.

Ils se sont croisés. Se sont regardés. L’un avec l’arrogance de ceux qui savent, l’autre avec la bienveillance de ceux qui rêvent. En un coup d’oeil ils ont compris leurs différences, en opposition. Ils se sont vu en miroir, chacun d’un côté du spectre, reflet de l’autre sans être de la même face. Rapidement Lui à été frappé par la nonchalance de son alter égo, les pieds sur terre et la tête dans les étoiles. En parallèle, L’autre fut étonnée de la rigidité évidante de son vis à vis, aligné, de la tête aux pieds.

Puis ils ont reculé d’un pas, de deux. Ils ont pris conscience qu’ils partageaient le même sol, la même air, le même ciel et la même terre. Ils ont pris conscience de ces ressemblances, visibles ou invisibles qui les rendaient finalement si proches: ils avaient un nez, ils respiraient; ils avaient des larmes qui coulaient et des rires qui s’entendait; ils pouvait écouter autant qu’ils pouvaient nier. Ils n’avaient pas la même vision sur le monde, leur monde, mais ils regardaient pourtant dans la même direction.

Lui et L’autre étaient L’autre et Lui en fonction des points de vue, des regards, du contexte. Ils étaient enfant et adulte; des yeux d’enfant dans un corps d’adulte et des peurs d’adultes face à des rêves d’enfant. Ensemble, pile et face, ils étaient une même pièce. Reflet en vice versa d’une société aveugle des autres, se concentrant sur le soi. Ensemble, ils pouvaient rassurer les peurs et faire vivre les rêves. Ensemble, ils étaient un tout, imparfait, comme l’humanité.


Texte publié par Etendard pourpre , 20 mai 2022 à 21h10
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