Le professeur Louis Auguste Moisnel transpirait chaudement et son corps entier était criblé de courbatures. Pourtant il ne contenait plus son enthousiasme. Il allait rentrer sous les honneurs et les vieillards du Muséum d’histoire naturelle de Paris s’en mordraient les doigts.
Avec son pinceau il balaya délicatement un ultime amas de poussière, laissant le trésor apparaître clairement.
C’était un œuf fossilisé d’environ soixante centimètres de hauteur et vingt centimètres de diamètre. L’équipe travaillait depuis plusieurs heures pour l’extraire minutieusement et la totalité de l’œuf était enfin déterrée.
— Messieurs, redressez vous !
Le professeur s’adressait fièrement aux étudiants qui composaient son équipe.
— Cette fois nous pouvons affirmer que nous ne sommes pas venu pour rien.
Il pointait sa lampe à huile sur la forme ovoïde, parfaitement conservée.
— Cet œuf est sans doute issu d’un des plus gros dinosaures ovipares ayant jamais vécu sur Terre. Il reprit sur un ton professoral. Continuez à creuser dans cette zone, nous devrions trouver d’autres résidus fossiles nous permettant de le dater.
Le chantier prenait place aux abords du port de Canton, dans l’Empire chinois ; une première pour un pays occidental. Pour beaucoup d’autres cela aurait été un honneur de superviser ces fouilles, mais pour lui, le scientifique des salons Parisiens, c’était un châtiment. Les vieillards du conseil le savaient et lui savait qu’il avait été puni pour l’insolence qu’il avait montré.
Il conservait néanmoins l’obéissance de ses étudiants et, chacun s’étant rapidement mit à la tâche, l’un d’eux trouva un autre os fossilisé.
— Professeur, regardez, celui-ci semble appartenir à un mammifère, peut-être un hominidé.
— C’est impossible Charles, les dinosaures et les hominidés n’ont pas vécus à la même époque. Laissez moi voir.
Moisnel observa l’objet pétrifié. Il s’agissait d’une mâchoire inférieure. L’extrémité de la mandibule était typique des mammifères et la forme générale, légèrement allongée, faisait penser au crâne de l’homo erectus.
Cet ancêtre de l’homme moderne était normalement apparu des dizaines de millions d’années après l’extinction des grands dinosaures. Ils ne pouvaient se trouver dans la même strate.
Un autre étudiant s’écria :
— Il y en a d’autres !
La fouille mis en lumière des restes de plusieurs hominidés : des fémurs ; des tibias ; des dents et même un morceau de crâne. Certains ossements étaient fortement marqués, comme attaqués par de grands objets contondants.
En voyant les entailles, les travailleurs chinois qui les accompagnaient quittèrent les lieux immédiatement, apeurés.
La journée avait été riche. Les étudiants, emportés par l’euphorie, s’amusaient maintenant à émettre les plus folles hypothèses et Moisnel, de son côté, était sûr d’une chose : cette découverte allait révolutionner son domaine.
Il avait fait une chaleur moite toute la nuit et des orages étaient en préparation. Après avoir infructueusement réfléchis aux différentes hypothèses rendant possible la cohabitation d’un ancêtre de l’Homme et d’un dinosaure, Moisnel conclu que les fossiles devaient être emmenés en France afin que l’ensemble de la communauté scientifique prenne part à l’étude.
Restait maintenant à convaincre Nian Zhen Yàng, un mandarin particulièrement jeune – ce qui arrivait rarement à l’époque – que l’Empire chinois avait dépêché comme observateur de la mission Française. Accompagné de son habituel traducteur, il entra dans la tente. L’attitude du mandarin était plus formelle qu’à son habitude. Après les salutations officielles la discussion commença, par l’intermédiaire de l’interprète.
— Votre grande persévérance vous a finalement accordé ce trésor que vous espériez tant.
— Maître Yàng, vos informations sont justes. Hier, en fin d’après midi, nous avons découvert cet œuf et les restes de plusieurs mammifères qui, semble-t-il, seraient de nos ancêtres.
Nian Zhen s’approcha de l’œuf sans adresser un regard à Moisnel. Dehors des grondements commençaient à se faire entendre.
— Savez-vous, cher professeur, que les hommes chinois qui vous ont assisté sont terrorisés ? Ils parlent d’un mauvais présage.
— Pourquoi le feraient-ils ? Ce ne sont que des reliques du passé. Nous avons déjà discuté de la manière dont certains matériaux organiques pouvaient se pétrifier sous certaines conditions.
Nian Zhen observait toujours l’œuf. Lorsqu’il parla, ce fut dans une langue différente, à la sonorité archaïque. Il prononça les mots lentement et le traducteur mis quelque temps à interpréter la phrase.
— L’homme de science avance sans croyance, l’homme intelligent prend le temps d’analyser les siennes.
Moisnel était abasourdi. La situation ne se présentait pas bien. Il se ressaisit et alla droit au but.
— Maître Yàng, comprenez que cette découverte est extraordinaire. Je dois amener l’œuf et les ossements en France. Les meilleurs scientifiques du monde réussiront à percer ce mystère.
— J’ai la tristesse de vous rappeler que c’est impossible. Le mandarin fixait maintenant Moisel d’un regard dur. Nous savons tous les deux que les négociations entre nos deux nations vous autorisaient à fouiller le sol, archiver et même prendre des photographies. Cependant, les ossements et objets, recueillis sur le sol chinois, ne pourraient pas être emportés.
Le professeur connaissait les termes de l’expédition, mais l’intérêt scientifique était trop grand. Les chinois ne s’intéressaient pas à la paléontologie, l’énigme ne serait donc pas résolue avant des dizaines d’années, s’il elle l’était un jour. Il se dépêchât d’aller chercher un paquet dans son sac. Il le présenta à Nian Zhen Yàng.
— Ceci peut éventuellement vous faire oublier l’œuf et les ossements hominidés.
La boite contenait une grande quantité de résine d’opium. Lors de son trajet vers la Chine, les marins français la lui avait fournie, insistant sur le fait que les chinois y était accro. Il l’avait acceptée, sans être réellement convaincu d’en avoir l’utilité.
Le traducteur écarquilla ses yeux envieux et se mis instinctivement une main à la bouche. Nian Zhen qui avait d’abord observé froidement la substance regardait son compatriote avec compassion. Il s’exprima seul, dans un français approximatif.
— Professeur Moisnel, vous être savant. Vous savoir comment opium ravager mon pays. Cette offre être non respectueuse de...
Charles, entra alors sous la tente. Il était visiblement excité. Il coupa la conversation sans se rendre compte de la tension qui régnait dans la pièce.
— Professeur, nous avons trouvé…
— Pas maintenant Charles !
Le ton de Moisnel était assez autoritaire pour casser l’élan du jeune homme.
La boite toujours entre les mains, le professeur ne savait plus comment gérer cette situation. Son dernier acte avait certainement coupé les liens fragiles qu’il avait réussi à tisser avec Nian Zhen et il conservait peu d’espoir d’apporter les fossiles en France.
Soudainement, un grand coup de tonnerre retentit et la luminosité baissa brutalement. La tente n’était plus éclairée que faiblement par une lampe à huile.
Une plus forte chaleur se fit sentir. Elle irradiait de l’œuf dont la croûte externe, pétrifiée, s’était craquelée en morceaux qui se délitaient.
Le traducteur s’enfuit précipitamment en chipant la boite de Moisnel. Les trois hommes restant scrutaient cette étrange manifestation d’un objet, qui, dans leur esprit était mort il y a des millions d’années. Rapidement, toute la partie supérieur de l’œuf s’effondra et laissa place à une sous-couche métallique qui devait se situer depuis le début sous la partie fossile.
La chaleur devenait insoutenable, dehors la foudre claquait à tout rompre.
La coquille métallique se mit à rougir intensément puis à fondre comme du métal en fusion. L’œuf s’ouvrit alors, laissant apercevoir une petite tête pleine d’écailles qui crachait du feu par la bouche, faisant fondre le reste de sa coquille.
Malgré la surprise, les automatismes du professeur Moisnel se mirent en marche et il détailla mentalement le petit être : il se tenait sur ses deux pattes arrières, à la manière des Théropodes ; son museau était de forme triangulaire et légèrement prolongé, comme un varan ; ses yeux jaunes, soutenus par des arcades orbitaires proéminentes, étaient dotées de pupilles verticales noires ; une crête osseuse serpentait le long de sa colonne vertébrale et se prolongeait jusqu’au bout d’une longue queue ; finalement, les éléments les plus extraordinaires étaient les deux excroissances osseuses, articulées au niveau des vertèbres dorsales hautes, pourvus d’un voile de peau et qui s’apparentaient à des ailes.
L’orage s’était alors calmé.
Les trois hommes regardèrent l’animal finir de s’extraire de son cocon et observer son environnement en lançant de petits gémissements.
Moisnel récupéra ensuite un morceau de viande séché et quelques feuilles de séquoia qu’il préleva à l’extérieur. Il présenta les deux éléments au reptile ailé. Celui ci renifla puis se jeta sur la viande séchée qu’il déchira avec ses petites dents.
Au bout d’un moment Charles pris la parole.
— Professeur, je venais vous dire… qu’avec les autres, nous avons continué les fouilles cette nuit. Nous… en avons trouvé d’autres…
Moisnel et Nian Zhen se tournèrent vers lui et posèrent la question en même temps.
— Combien d’autres ?
— Des dizaines !
Profondément sous Terre, de nombreux gémissements se firent entendre, auxquels répondit un rugissement rauque. Une rencontre que l’on imaginait jusqu’alors impossible s’était produite pour la seconde fois.
Ce soir là, l’insolence de Moisnel cessa, à jamais.
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