Une sonnerie agaçante agressa ses oreilles, avant que la lumière du soleil n'éblouisse ses yeux à peine ouverts. A tâtons, elle atteignit son réveil, et le balança sans ménagement contre le mur de sa chambre. Mais le son continuait à résonner dans la pièce, la forçant à se lever.
« -Il est résistant le bougre !!!!! » maugréa-t-elle en mettant un pied à terre.
Un déclic sembla s’opérer dans son cerveau quand elle leva les yeux et découvrit l’heure, arborée fièrement par sa pendule Disney…
« -Merde, le téléphone !! »
Elle se rua sur le combiné et décrocha, à bout de souffle et une douleur lancinante sur le côté gauche..
« -Allô ? »
« -Alors, mademoiselle, vos folies nocturnes ont eu raison de votre ponctualité ? »
Elle grimaça au ton mielleux et à la fois grinçant de son supérieur. S’il y avait bien une chose qu’elle aurait voulu éviter, son agression mise à part, c’était bien d’essuyer les sarcasmes de ce mec arrogant et détestable.
« - Considérez-vous qu’une femme qui s’est fait agresser la veille est coupable de folies nocturnes ? » siffla-t-elle entre ses dents.
Le silence lui répondit de l’autre côté du combiné, suivi par un soupir embarrassé.
« -Je… »
« - N’usez pas votre salive, prenez les prochains jours sur mes congés si ça vous chante d’enfoncer le clou. J’ai mes côtes à soigner ! »
Elle raccrocha sans laisser le temps à son interlocuteur de répliquer, d’un geste si sec qu’il déclencha un renouveau de douleur dans tout son corps.
Crispée, les dents serrées, elle se dirigea lentement vers la salle de bains, les paumes sur les lombaires. Elle se contempla dans le miroir, une fois les robinets allumés et déversant une eau particulièrement chaude dans la baignoire.
Son corps tuméfié lui faisait encore plus pitié que d’habitude. Elle retira sa chemise de nuit, et jeta un regard presque dégoûté sur le reflet que la glace renvoyait. Elle n’avait jamais aimé son corps, un peu trop rond, pas assez élancé. Et le voir après un énième échec de sa part n’aidait pas à l’accepter.
Avec un soupir triste, elle se plongea dans l’eau brûlante, espérant après un moment de détente après une nuit difficile, et une journée qui ne s’annonçait pas sous les meilleurs auspices.
Yeux clos, corps détendu, elle se sentit sombrer dans un état de semi-inconscience qui lui apparut comme une oasis inespérée. Elle se sentait légère dans cette atmosphère vaporeuse et relaxante, tandis que son esprit s’enfonçait dans une sensation douce et moelleuse comme le coton.
Un esprit qui dérapa rapidement vers des flashs douloureux de la veille, loin du paradis qu’elle croyait avoir atteint.
Après le départ du mystérieux inconnu, qu’elle avait baptisé pour elle-même Félix en raison de ses yeux qui lui faisait penser à ceux d’un chat, il lui avait fallu réfléchir.
Vite et bien.
Une tâche qui lui parut herculéenne tant son corps la poussait à s’arrêter, tandis que son esprit vibrait de milles questions et possibilités.
Bien sûr qu’elle ne pouvait pas dire la vérité : imaginer la tête des officiers de police lorsqu’elle expliquerait qu’il y avait des chances pour que des humains à la force décuplée se soient battus dans le local à poubelles de son immeuble parce qu’un d’entre eux souhaitait visiblement faire d’elle son casse-dalle lui avait arraché un rire sans éclat.
Son esprit fusait dans tous les sens, enchaînant les hypothèses sur ce qu’ils pouvaient être tous les deux. Parce que pour disparaître en un instant du sixième étage aussi facilement qu’il semblait y être monté, le dit Félix n’était pas normal non plus. …
Elle avait finit par discipliner son imagination pour se concentrer sur l’important : qu’allait-elle dire à son entourage ? Aux forces de l’ordre ? À l’hôpital ? Car elle ne comptait pas rester avec des côtes au mieux fêlées, au pire cassées, éternellement.
Premièrement, elle s’attela à construire un scénario cohérent. Une agression par quelqu’un d’alcoolisé ou sous emprise de substances n’était pas si rare. Il aurait pu la suivre et profiter de l’obscurité pour se faufiler derrière elle.
Après tout, les lampadaires illuminant normalement sa rue étaient une fois de plus en panne….
Les idées se tissaient au fur et à mesure, alors qu’elle imaginait les réactions et mises en doute possibles au fur et à mesure qu’elle déroulait son histoire.
Pour le coup, elle était reconnaissante à l’enfant timide qu’elle était pour avoir développé ses capacités d’observation et sa tendance à l’hyper-vigilance….
Ainsi, la réécriture de sa soirée se réalisait dans sa tête, à toute allure.
Rentrée tard du travail, suivie sans s’en rendre compte, agressée par un homme qu’elle est incapable d’identifier au vu du manque de luminosité, qui tenait des propos incohérents, comme si il était ivre.
Une faible tentative de se débattre, des cris en espérant alerter le gardien dont l’appartement était proche. Un bruit dans la rue et un de ses cris met en fuite son agresseur, qui s’enfuit alors qu’elle rentre péniblement dans le hall pour rejoindre son appartement et appeler les secours, son portable étant déchargé… ce qui représentait un des rares faits avérés de son histoire.
Une colère sourde surgit quand son esprit dériva sur les détails potentiels sur lesquels elle serait interrogée. Elle serait blâmée pour l’heure tardive, peut-être pour sa tenue, bien que rien de tout ça ne justifiait ce qu’elle avait vécu. La vue de son manteau préféré déchiré au niveau des épaules et embaumant les ordures ménagères la désolait… jusqu’à ce qu’elle attire son attention sur des détails supplémentaires.
Localisation des bleus et blessures, état des autres vêtements, elle disséqua chaque élément, vérifiant la plausibilité de son canevas.
Les seules choses qui lui semblaient authentiques dans son histoire quand elle appela le 17 étaient sa main tremblante et la douleur lancinante qui parcourait son corps…
Elle grimaça en se saisissant de le bouteille de shampooing, les flashs des différents examens médicaux remontant cette fois-ci à la surface. Suite à l’appel aux forces de l’ordre, le Samu avait été alerté pour la transporter à l’hôpital pour constater les blessures. Comme elle l’avait supposé, côtes fêlées suite à la projection contre le mur, de nombreux hématomes et un état de choc diagnostiqué au vu des tremblements qu’elle ne parvenait à contenir, et des montées de larme surprises qui secouaient ses côtes déjà meurtries.
Elle s’était demandée pourquoi elle avait réagi comme cela en rentrant chez elle, documents en main, déposition préalable faite à la gendarmerie. Sans grande surprise, ils lui avait annoncé qu’il n’y avait pas grand-chose à faire au vu de l’absence de témoin oculaires. Se faire raccompagner si elle sortait tard, prévenir le voisinage et des patrouilles de leur part pendant quelques temps résumaient l’essentiel de ses deux heures passées au poste.
Ce n’est que maintenant, alors que l’eau de son bain baissait doucement en température et que les reliquats de la mousse de son shampoing se dissolvaient lentement dedans qu’elle avait la réponse au fait qu’elle n’avait pas eu besoin de feindre l’état de choc: créer cette histoire avait été le dérivatif parfait pour son esprit pour éviter de voir la vérité en face.
Elle avait bel et bien failli mourir. Et personne ne le saurait jamais, parce que personne ne croirait une histoire comme la sienne.
Au final, elle n’avait toujours aucune piste du pourquoi. Son agresseur l’attendait visiblement, avait préparé son coup, et donc la connaissait et la visait pour une raison bien particulière.
Son argent ? Elle leva les yeux au plafond à l’idée avec un rictus, le seul objet de valeur à ses yeux étant la paire de boucle d’oreille en ambre héritée de sa grand-mère. Un téléphone daté, un sac à main bohème, pas de voiture… Bref, rien qui puisse attirer la convoitise.
Son corps ? Un éclat de rire qui se mua en sanglot fut la réponse à sa question. Elle savait que la beauté physique n’avait rien à voir avec la capacité à attirer les pervers et autres détraqués, et que même si l’image qu’elle avait d’elle-même était tout sauf flatteuse, cela ne repousserait pas quelqu’un qui avait décidé d’user de la violence pour obtenir ce qu’il voulait.
Et elle ne pouvait pas s’empêcher de se dire que c’était peut-être pour ça qu’on s’était attaqué à elle, parce qu’elle était faible, moche et donc une cible facile.
La nausée lui prit, qu’elle contra en immergeant sa tête complètement dans l’eau, ses larmes se mêlant à l’eau tiédasse.
Elle était peut-être là, la solution.
Se noyer dans ce bain pour laver le crime que représentait à ses yeux son existence.
Ses pensées la terrorisait, mais elle n’avait plus la force, ne voyait plus de sens. La promesse faite à Félix lui revint en tête, mais à quoi bon ?
Elle avait besoin de comprendre, et il lui avait clairement signifié que…
Il ne lui avait rien signifié en fait. Juste d’oublier et de vivre. Mais une pensée commençait à s’ancrer définitivement en elle.
Ce n’était pas un hasard.
Cette soirée.
Cette rencontre.
Elle avait la certitude d’avoir frôlé du doigt quelque chose d’interdit, et qu’on ne la laissera pas reprendre sa vie aussi facilement, contrairement au souhait de son sauveur.
Et étrangement, cela lui enleva toute envie d’en finir, et attisa une flamme inconnue d’elle-même.
L’envie de faire face à ce qui semblait être le défi le plus fou.
Vivre enfin au lieu de survivre, et découvrir dans quelle toile d’araignée elle se retrouvait prise.
Elle émergea d’un coup de l’eau, éclaboussant au passage Lumo qui détala une fois de plus sans demander son reste.
Elle se mit à éclater d’un rire franc cette fois, une énergie nouvelle semblant parcourir ses veines.
Elle sortit du bain devenu froid et se planta devant son miroir, une lueur de fierté dans ses prunelles vertes.
Ses bleus, ses côtes fêlées, ses cicatrices, ses rondeurs, ses fêlures...elles les porteraient comme des trophées désormais, des preuves qu’elle est bel et bien en vie.
«-Désolée Félix…. Je ne vais définitivement pas pouvoir oublier… Mais je vais apprendre à me tenir debout et à me défendre, quoiqu’il arrive…. »
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