Luce accueillit la sensation de froid émanant du mur sur lequel elle venait de s’adosser comme une oasis inespérée. Le souffle encore haletant, la peau luisante de sueur, elle se laissa glisser le long de la paroi, cherchant à tâtons la gourde qu’elle sait avoir posée là au début de la session.
Elle déglutit avec difficulté, cherchant encore son souffle et de quoi assouvir sa soif.
Un cri de triomphe intérieur en effleurant le métal, et elle se sentit son corps se détendre et le brouillard de fatigue se dissiper à mesure que le Graal se rapprochait.
« -Je vois que ça bosse dur encore ! Attention à ne pas tourner de l’œil, le mieux est l’ennemi du bien. »
Les yeux fermés, savourant encore sa gorgée d’eau, elle hocha la tête pour toute réponse, laissant le temps à son cœur de redescendre à un rythme à peu près normal.
Luce croisa enfin le regard de son coach et lui sourit.
« - T’inquiètes, ça sera tout pour aujourd’hui… Je commence à cerner ma limite ! », répondit-elle avec un clin d’œil complice.
L’entraîneur, un homme d’une quarantaine d’année aux cheveux noirs piquetés de blanc, lui tendit une main qu’elle saisit, le visage rieur.
« - Tu nous en auras fait voir, à ton arrivée… Une vraie gamine impatiente de courir avant de savoir marcher ! »
Elle rougit aux souvenirs des nombreuses fois où elle s’était poussée au bout du bout au point d’en tomber d’épuisement et de faire venir les pompiers à la salle d’entraînement un jour où sa frustration envers elle-même avait crevé le plafond, oubliant d’en écouter son corps.
Devenir plus forte, devenir plus forte, devenir plus forte.
L’état d’esprit qu’elle avait eu durant cette session était marqué au fer rouge dans son âme : c’était probablement le moment où elle avait touché le fond. Juste après l’agression, elle avait mis sous le tapis la peur et pris les choses en mains : retourner à une vie quasiment normale le plus vite possible, s’inscrire à des cours d’auto-défense et passer des heures sur Internet pour essayer de trouver de quoi étayer ses hypothèses.
A cette époque, malgré son expérience à faire bonne figure depuis toute petite, elle luttait à chaque seconde contre un ouragan intérieur.
Le pire, c’était au travail : répondre gentiment aux propos emplis de pitié de ses collègues mettait chaque cellule de son corps à l’épreuve. Ils voulaient bien faire, elle le savait. Mais lui rappeler sans cesse son statut de victime la plongeait dans une rage qu’elle tenait en laisse difficilement.
Sans compter les messes basses quand elle sortait d’une pièce ou entrait dans la cafétéria, qui ne faisaient qu’alimenter le brasier.
C’est comme ça qu’elle en était rapidement venue à manger à son bureau, le calme de l’open-space déserté l’aidant à tenir son cap pour la journée.
Étrangement, elle obtint le soutien dans la forme qu’elle voulait de son Némésis personnel: son supérieur, Paul.
Il n’avait strictement rien changé à son attitude envers elle, à l’exception d’une phrase prononcée lors d’un entretien le lendemain de son retour. Après avoir fait le tour des dossiers en cours et lui avoir attribué une nouvelle lecture de manuscrit, il avait marqué une pause alors qu’elle s’apprêtait à se lever pour s’atteler à la tâche.
« -Luce ? »
Le ton presque gêné l’avait mise mal à l’aise, au point de ne pas savoir quoi dire : elle s’était contenté d’un « Mhh ? », oscillant entre anticiper la prochaine pique et une surprise qu’elle n’imaginait que mauvaise.
« -Content de vous retrouver. Vraiment. »
Elle avait relevé les yeux et l’intensité du regard de son interlocuteur l’avait fait rougir, les yeux azurs de ce dernier ayant pris le teinte d’un ciel d’orage pendant un instant.
Elle allait dire « De même » mais elle fut coupée dans son élan par le sourire narquois qui naissait sur le visage de Paul.
« - Ceci dit, il serait temps de vous y remettre, vu le temps que vous prenez pour vous mettre au travail... »
Elle s’était levée avec lenteur, ses yeux verts lui lançant des dagues avant de lui lancer son sourire le plus faux possible, accompagné d’un sarcastique « A vos ordres, chef !» en claquant la porte du bureau.
La tape sur l’épaule pleine d’affection qu’elle reçut la tira de ses souvenirs.
«- L’important, c’est que tu t’écoutes, vraiment. On est là pour tout le reste ! »
Elle lui sourit avec gratitude, et reprit une gorgée d’eau.
« - Je sais. »
Elle se saisit de son sweat et se dirigea vers les douches. Sa journée n’était pas terminée après tout.
Lou alluma la dernière bougie et, après une grand inspiration, s’assit sur le sol froid de sa salle d’entraînement. Le silence l’aida à trouver sa respiration et à caler son esprit sur son rythme, et il sentit très vite la transe méditative se manifester en lui. Ses sens se décuplèrent, le froid du sol, le frémissement de l’air, la texture de son jean sous ses doigts… tout prenait une nouvelle ampleur, à l’extérieur comme à l’intérieur. Il sentit l’énergie circuler dans ses circuits magiques, la chaleur familière de son élément de prédilection apportant un réconfort que personne d’autre ne pouvait comprendre. Au moins, il était fonctionnel, lui : au vu de ce que le camp adverse avait l’habitude de faire, il était une des principales cibles après Luce, et il n’était pas à l’abri d’un rituel chelou pour affaiblir sa magie ou altérer ses circuits.
C’est bien ce qu’ils étaient en train de faire pour la ville après tout, et potentiellement la planète.
Il étendit sa conscience à l’intégralité de la capitale pour faire le point sur l’étendue des dégâts.
La quantité d’énergie magique avait encore diminué, mais de manière tellement subtile que la plupart des magiciens ne pouvaient pas s’en apercevoir. Les points de fuites avaient encore changé par rapport à la veille : les circuits concernés étant ceux de la Seine et de la zone autour du bois de Vincennes cette fois-ci.
Ils semblaient ponctionner des éléments à tour de rôle, mais la structure non-élémentaire était affectée aussi.
Il nota mentalement ses observations du jour et ramena progressivement sa conscience à lui-même, en se concentrant sur les sensations de son corps. Son souffle se fit moins profond et plus saccadé, signe de l'effort que cet exercice lui demandait.
« - Putain, je suis rouillé… 5 minutes et je suis déjà HS... » jura-t-il entre deux halètements.
Il ouvrit les yeux, et se saisit de la boisson énergétique qu’il avait posé en prévision à côté de lui. Une faible lumière émanait encore du cercle magique dans lequel il était assis, et il prit le temps de laisser à la boisson le temps d’agir.
Il était crevé. Heureux mais crevé quand même. Sa rencontre avec Luce il y a deux semaines lui avait redonné le coup de pep’s nécessaire pour mener la mission à bien, mais il en avait probablement encore trop fait, emporté dans la tempête de son enthousiasme.
Il entendit la voix sarcastique de Vincent dans son esprit le sermonner : « Fait ce que je dis pas ce que je fais, hein ? » et cela le fit sourire.
Il ne pouvait pas déléguer certaines tâches, comme celle de surveiller l’était des circuits magiques. Mais il était peut-être temps de passer un peu la main sur certaines tâches administratives, ou sur la surveillance de Luce.
Sentant l’énergie courir à nouveau dans ses muscles, il se leva lentement alors que les dernières lueurs du cercle mourraient, et entrepris de s’étirer longuement. Il jeta la canette vide dans la poubelle qui se trouvait à l’autre bout de la pièce en criant un « Dunk ! » de victoire quand elle atterri sans encombre dans la cible, et sortit son téléphone.
Un grand sourire s’étira sur ses lèvres en lisant le message de Vincent.
Elle est arrivée, on t’attend dans ton bureau.
Luce mâchouilla sa poignée de noix de cajou d’un air pensif, ses doigts tapotant le verre de son demi encore frais.
«- Bon, reprenons… Mon sang est spécial. »
Lou acquiesça, la bouche pleine de biscuits apéritifs à la cacahuète.
«- Il y a une lutte secrète entre différents clans pour la conquête du monde et la domination de la race humaine. »
Vincent hocha la tête, en pleine gorgée de sa propre bière.
« - Et deux de ses camps ont formé une alliance qui font que c’est la galère. »
« - Un peu plus que la galère quand même. »
Luce lança un regard faussement noir à Lou.
« - Je simplifie pour pas paniquer comme un poulet sans tête, jeune homme… Donc si tu veux encore que je vienne vous rendre visite, ménage-moi un peu s’il te plaît ! »
Le visage de Lou prit immédiatement un air contrit, ses yeux bleus s’arrondissant de panique et sa bouche prenant une moue qui se voulait attendrissante.
Un rire étouffé résonna à la droite de la jeune femme : Vincent reposa son verre brusquement, et se couvrit la bouche pour éviter d’inonder le bureau de Lou d’une vague de bière tiédasse.
Ce dernier se reprit rapidement avant d’ajouter, un sourire narquois aux lèvres.
« - Si on m’avait dit que je verrai un jour une telle expression sur le visage du prodige de notre génération… Luce, tu as officiellement dompté Lou !
Cette dernière haussa les sourcils d’un air pensif, ses lèvres s’étirant en un sourire malicieux, alors que Lou tapait sur la table, un air faussement offusqué sur son visage.
« - Alors, là, tu rêves mec !! Avec qui elle va discuter des trucs chelous qui risquent de lui arriver si elle vient plus ? C’est uniquement à son bien que je pense, c’est mon job en tant que chef !! Business is business !»
Ses lèvres charnues se plissèrent en une moue boudeuse cette fois-ci, alors qu’il reprenait rageusement une poignée de biscuits pour les mâcher en détournant le visage.
Une vague d’inquiétude passa sur le visage de Luce : avait-elle été trop loin ?
Il est vrai que depuis leur première rencontre, elle s’était étrangement de suite sentie à l’aise avec Lou : ils partageaient le même sens du sarcasme, et quelque chose chez lui le rendait juste simplement chaleureux.
Luce s’était rendue compte avec toute cette histoire qu’elle n’avait que très peu de personnes sur qui compter. Noyée dans son travail, dans sa routine, dans ses chaînes, elle n’avait jamais vu le temps ou l’utilité de créer des liens.
Le premier coup de semonce a eu lieu à l’hôpital, où on lui a demandé le numéro d’une personne à contacter en cas d’urgence. Son premier réflexe avait été de donner celui de ses parents, mais les deux vivaient à plus de trois heures de route… et leur relation était tellement étrange qu’elle doutait qu’ils s’inquiètent de quoique ce soit s'il lui arrivait quelque chose. Elle avait fini par donner le numéro de la collègue dont elle était la plus proche, mais l’arrière-goût amer que lui laissait cette révélation était resté.
Le fait de côtoyer des gens à la salle d’entraînement l’avait peu à peu fait disparaître, mais là-bas encore, elle avait gardé une espèce de masque et ne parlait pas de l’agression. C’était le lieu pour sortir d’elle-même et de sa condition, bien qu’elle y ait trouvé des personnes avant vu au-delà de la façade. Elle commençait juste à se faire à l’idée qu’ils soient des amis potentiels, merci les séances de psy !
Mais cela ne changeait pas le fait qu’une partie de sa vie allait rester planquée dans un coin de sa tête, tournant en rond façon hamster sans qu’elle puisse y faire quelque chose.
C’est peut-être pour ça qu’elle ne s’était pas enfuie en courant en revoyant Vincent ce soir là.
Qu’elle avait senti ce soulagement quand ils lui avaient avoué cash ce dans quoi elle était impliquée bien malgré elle.
Elle n’était plus seule avec ce boulet de peurs et de doutes.
Les apéros/debriefings étaient devenus une sorte de rituel dès qu’elle en éprouvait le besoin, et autant dire qu’elle avait passé plusieurs soirées au QG des Sentinelles depuis quinze jours.
L’idée de perdre ces moments lui déclencha une bouffée d’angoisse.
Elle jeta un regard en coin à Vincent, qui se retenait difficilement de rire, malgré l’absence de risque d’arrosage cette fois-ci.
Ce dernier dirigea ses prunelles ambre vers la jeune femme, et il se sentit confus face à sa détresse. Un autre coup d’œil à Lou, toujours à bouder, lui déclencha l’effet Eurêka.
Il tendit la main vers l’avant-bras de Luce pour la rassurer, et le contact la tira de sa boucle perverse. Elle fronça les sourcils en une interrogation silencieuse, et il haussa les épaules d’un air blasé, mais l’ombre d’un sourire passa sur ses lèvres. Il retira sa main, et se leva pour reprendre une bière dans le mini-frigo qui se trouvait derrière Lou, habituellement préposé à la distribution.
Il jeta un regard amusé à son ami alors qu’il retournait à sa place, et asséna ce qui mettrait fin à sa bouderie ridicule dans un chuchotement bien audible.
« -Avec tes bêtises tu vas faire pleurer Luce, tu sais. »
Vincent se rassit avec nonchalance, un petit sourire aux lèvres en décapsulant sa boisson. Le raclement brusque de la chaise en face de lui et le couinement plaintif qui émanait de son ami faillit lui arracher un sourire triomphant qu’il parvint à contenir, alors que Lou commençait sa litanie d’excuses sous l’air médusé de Luce.
« - Je déconnais, hein, enfin pas sur le fait que je fais ça pour te protéger, hein, parce que tu es mon amie avant tout, comme ma sœur presque, et j’espère que tu me fais confiance, je suis pas vexé en vrai, ni en colère, et.... et le truc du business, c'est... »
Les yeux de Luce voguaient de Vincent à Lou, ce dernier luttant visiblement contre l’envie de se lever et de la prendre dans ses bras alors que l’autre luttait contre l’envie de se fendre la poire.
Sentant les dernières vapeurs d’angoisse s’envoler, elle se leva et contourna la table sans un mot pour se planter devant le mage, les bras grands ouverts et toute trace de crainte envolée.
Lou ne se fit pas attendre et bondit de sa chaise, encerclant maladroitement de ses bras la jeune femme qui tapotait tout aussi maladroitement son dos, sa tête plantée dans son poitrail.
Après quelques secondes qui semblaient une éternité, Luce releva la tête pour observer le visage de Lou, et y trouver un sourire soulagé qu’elle sentit se créer sur son propre visage.
Une large main ébouriffa sa crinière châtain avec chaleur, et elle se sentit comme définitivement ancrée après une vie à la dérive.
Avant que des larmes de soulagement ne la submerge, la voix grave de Vincent brisa le silence.
« - On n’avait pas des choses à expliquer ? »
Lou se retourna vers le dhampire et lui tira la langue.
« - Et à cause de qui on a failli se fâcher, hein ? »
Luce renchérit avec un faux air contrarié.
« - Si quelqu’un n’avait pas eu la bonne idée de balancer une pique assassine, on en serait pas là... »
« - Je n’ai fait que dire la vérité, pas ma faute si vous avez l’art et la manière de vous prendre la tête tous les deux... »
Lou s’apprêtait visiblement à rétorquer une insulte de son cru, avant de se figer. Luce sentit ses mains agripper légèrement à son pull, avant qu’il s’écarte lentement d’elle.
Elle comprit vite à l’échange silencieux que les deux hommes venaient d’avoir que quelque chose clochait.
« - Les leylines ? » demanda Vincent en sachant déjà la réponse.
Lou hocha la tête alors qu’il s’avançait vers le porte-manteau.
« - Tu dois y aller, vraiment ? » demanda Luce d’une voix qu’elle ne se reconnaissait pas elle-même.
Lou lui sourit en enfilant son trench-coat élimé.
« - Ils sont en train de foutre le bordel dans les circuits magiques, alors ouais, faut bien que quelqu’un aille leur botter le cul ! »
Luce fronça les sourcils : c’était justement ce qu’il devait lui expliquer aujourd’hui… Elle était grosso modo au courant de ce qu’il se passait, et du pourquoi du comment de son implication, mais beaucoup de choses lui échappaient encore.
Et elle voulait savoir. Tout. Dans les moindres détails.
D’où les apéros à répétition.
Comprendre c’était s’ancrer dans cette nouvelle réalité, et peut-être, mieux s’en protéger. Et mieux les protéger aussi.
Parce que l’idée que le monde, leur monde pouvait tomber aux mains des vampires juste à cause de son sang, c’était costaud à digérer.
Elle observa Lou terminer de se préparer à sortir tout en parlant à voix basse à Vincent, qu’elle n’avait même pas vu se rapprocher de son ami.
Le mage leva les yeux vers elle et lui décocha un sourire amusé, lui faisant signe de détendre les plis de son front. Elle tira la langue, contrôlant tant bien que mal l’émotion qui grimpait dans sa gorge.
Ils allaient mettre leur vie en danger, eux et toutes les Sentinelles qu’elle ne connaissait pas encore, et son impuissance lui écrasa la poitrine.
Lou ouvrit la porte et Luce se força à sourire alors qu’il faisait un fist-bump à Vincent…
« - Tu… tu vas pas avec lui ? »
Ils se retournèrent vers elle et Vincent haussa les épaules.
« - C’est pas faute de vouloir, mais je connais déjà sa réponse. »
« - C’est un taf pour un mage, lui il est bon à tataner les vampires. »
Les deux hommes échangèrent un regard et Lou se retourna de nouveau vers la sortie.
« - On t’attend pour finir l’apéro, hein… Tarde pas, ça va refroidir ! », lança Luce, les poings resserrés à l’intérieur des manches trop longues de son pull.
« - Okidoki !! » répondit Lou en les saluant de la main sans se retourner.
L’écho que la porte fit en se refermant résonna en elle d’une manière lugubre. Elle était clouée sur place, tiraillée entre confiance et doute, triturant la pauvre laine entre ses doigts.
Le regard ambré de Vincent resta un instant sur la porte avant de s’en détourner.
Bien sûr qu’il aurait préféré l’accompagner… Il ne pouvait rien faire pour tout ce qui est magie, mais Lou n’était pas à l’abri d’un comité d’accueil incluant des vampires. Ils le savaient aussi bien l’un que l’autre.
Et ils savaient aussi que c’était la diversion parfaite pour mener une attaque sur Luce.
Maintenant, la plus grosse difficulté allait être de distraire la demoiselle… Et Vincent se sentait soudain bien dépossédé de ses moyens sans Lou pour le sortir de sa coquille naturelle.
Sans même l’observer, il pouvait sentir la tension jaillir de l’endroit où elle se tenait : il prit une inspiration, et jetant ses propres doutes et sa peur, il se dirigea à pas feutrés vers la jeune femme et saisit une de ses mains à travers son pull.
« - On va ranger les bières au frais, d’accord ? »
Luce hocha la tête, et suivit le mouvement : tenir ses mains occupées tenait son esprit occupé, et en peu de temps, la table était en partie rangée du chaos habituel, avec leurs deux verres et un paquet de chips ouvert seuls rescapés.
Sans être apaisée, Luce se sentait plus calme, et brisa le silence presque confortable tout en servant un verre d’eau.
« -Vincent ? »
« -Hmm ? »
« - Tu sais ce que c’est, les leylines ? »
Vincent marqua une pause pour rassembler ses pensées. Il commençait à connaître la bestiole : Luce ne lâchait jamais vraiment l’affaire. Et il s’était promis de ne pas lui cacher le maximum de choses possible.
« - Je maîtrise pas la magie, mais Lou m’a appris quelques connaissances de base. Je vais essayer de t’expliquer mais bon… Je suis plus au point sur les vampires. »
Luce esquissa un sourire.
« -T’inquiètes, tu seras cuisiné sur ce sujet en temps et en heure. »
Vincent soupira de soulagement intérieurement, tout en grimaçant à l’extérieur. Si elle commençait à balancer des piques, c’est que ça allait mieux.
« - De ce que j’ai compris, les leylines sont des circuits, comme des routes magiques. L’énergie circule à travers le monde entier et c’est ce qui fait tenir la planète en fait. »
« - Comme des fondations ? »
« -Oui, quelque chose du genre. En fait, on a la structure géologique de la planète, mais aussi une structure magique en parallèle. Très peu de personnes le savent d’ailleurs, mais elles vont de pair. Et si une des deux facettes est endommagée, ça affecte l’autre. »
« - Le réchauffement climatique agit sur l’énergie magique ? »
Vincent hocha la tête.
« -Ouaip, c’est subtil, mais ça renforce la magie liée au feu par exemple. Par contre, et c’est ce qui inquiète Lou, les conséquences d’un dérèglement magique sont bien plus graves. »
« - Du style ? »
Luce était absorbée par la conversation, et cela encourageait Vincent à continuer. Au pire, Lou se ferait un devoir de rattraper ses erreurs lors d’un prochain apéro. Et avoir quelqu’un d’aussi curieux le changeait de la défiance habituelle.
La manière dont ses yeux verts brillaient d’intérêt plutôt que de larmes refoulées ou de dédain…
Il avait presque envie de tout lui raconter sur lui sans attendre qu’elle le cuisine.
Mais… Non, ce n’était pas la bonne chose à faire, quoiqu’il arrive.
Il se racla la gorge, et se saisit d’une poignée de chips, plus pour gagner du temps et une contenance que par réelle faim.
« - Du style catastrophes naturelles violentes, épidémie… Ça aggrave aussi les dérèglements environnementaux, comme un cercle vicieux. Une sécheresse joue sur les niveaux magiques du feu et de l’eau, ce qui aggrave la sécheresse de manière plus violente. »
« - C’est un sacré casse-tête… C’est un perpétuel jeu d’équilibriste ! »
« - Exactement. Et les mages sont chargés de surveiller ça… A moins qu’ils décident de trahir leur serment. »
« - Un serment ? Comme celui d’Hippocrate ? »
« - Lou pourra mieux t’en parler mais en gros, les mages sont rares sur la planète. Ils sont souvent issus de lignées anciennes, un peu comme des nobles, et ils ont une éducation très stricte. Et arrivés à l’âge adulte, ils doivent prêter serment pour avoir le droit d’utiliser leur magie en dehors de leur lieu d’étude. »
« - Mais certains le font pas. »
Les épaules du dhampire s’affaissèrent légèrement alors que son visage pris une expression résignée.
« - Et beaucoup se sont alliés aux vampires, donc... »
« - C’est doublement la merde… Et Lou doit gérer tout ça.»
Vincent sentit son esprit se perdre en direction du Sacré Coeur, où Lou devait être déjà arrivé. Il avait un mauvais pressentiment, et surtout, il ne pouvait pas ignorer l’état de fatigue de son ami. Il était parti avec une équipe solide, mais…
« - Et qu’est-ce que je peux faire dans tout ça, moi…. »
La phrase à peine murmurée suffit à le faire revenir dans ce bureau et à sa mission : s’assurer que Luce aille bien.
C’était la question qu’il s’attendait à avoir à un moment. Au vu de son caractère, et après ce qu’elle avait vécu, il était certain qu’elle refuserait de rester sur la touche.
« - La première chose, c’est de ne pas te faire capturer par l’ennemi. Les propriétés spéciales de ton sang font que la moindre goutte bue par un vampire le rendrait bien plus puissant. Ils te maintiendront en vie pour faire de toi leur casse-croûte régulier et gagner en force, et se débarrasseront de toi à la première occasion. Et si leur chef se réserve l’intégralité de ton sang, c’est fini : la planète sera pour de bon le jouet des vampires »
Luce frissonna : elle avait beau l’avoir déjà entendu de leur bouche, maintenant que la menace était vraiment à leur porte, les mots de Vincent prenaient une autre résonance. Et elle détestait ce qu’elle impliquait.
« - J’ai pas signé pour ça en naissant, hein... »
Vincent posa ses coudes sur la table et vissa son regard sur elle, le menton posé sur ses mais croisées.
Luce, absorbée par son verre à moitié vide, continua de dérouler ses pensées.
« - Je sais bien que je suis la bombe à retardement, et ça me fait tellement peur… La moindre connerie, la moindre faiblesse… Ça peut coûter tellement cher, et personne peut comprendre…. et j’en ai marre d’être traitée comme une chose fragile, ou inutile. J’ai assez donné toute mon enfance, et j’en peux... »
« - Tu n’es rien de tout ça. »
Luce releva la tête brusquement, les yeux ronds de surprise.
« - Tu n’es pas inutile, faible, ou fragile, sang spécial ou pas. Les gens faibles se renferment dans l’ignorance ou la haine, se lamentent et rejettent la faute sur les autres. T’es pas comme ça. »
La jeune femme ressemblait maintenant à un poisson hors de l’eau avec sa bouche en O.
Elle se reprit vite, la touche rose qui fleurissait sur ses joues seule trace de l’impact des mots de Vincent.
« - Et il y a un autre moyen pour transformer ce maudit sang en aubaine. »
Et il sut à la lumière qui émanait de son visage que c’était la bonne chose à faire.
Lou allait le tuer.
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