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tome 1, Chapitre 3 « Sentinelle » tome 1, Chapitre 3

La porte en métal grinça lourdement, le bruit se réverbérant dans l’étroit couloir avec fracas. Il grimaça après avoir appuyé sur l’interrupteur, la blancheur du néon amplifiée par la blancheur des murs.

Il soupira de lassitude et s’installa devant le mur d’écrans… Décidément, Paul avait une dent contre lui depuis l’autre soir, pour le cantonner à la surveillance des rues du XIème arrondissement.

Il secoua la tête avec un sourire ironique… La dent qu’avait Paul contre lui remontait à bien plus longtemps que cela, depuis son entrée dans l’organisation au minimum. Il était certain que ce dernier lui reprochait de simplement exister, et il avait du mal à lui en vouloir, tant il se reprochait la même chose parfois.

Quelque chose vibra dans la poche de son jean, et il remercia intérieurement la personne qui avait eu la bonne idée de lui envoyer un message : entamer une nuit complète de surveillance sur ce genre de pensées lugubres n’était définitivement pas une bonne idée.

Il sortit son téléphone, un modèle à clapet datant de Mathusalem d’après ses collègues vu qu’il n’avait que la 3G dessus et n’avait pas d’appareil photo intégré digne de ce nom.

Il entendit la voix de son meilleur ami l’appeler le dinosaure à chacun de ses refus de changer : à quoi bon avoir des milliards de fonctionnalités alors que le but premier est juste d’être joignable et de pouvoir joindre les gens ?

Il ouvrit le message en question et sourit : en parlant du loup, c’était justement lui qui le contactait.

Encore de surveillance ?

Il tapa sa réponse sur le clavier.

J’ai du vraiment mettre Paul de travers… Mais bon, j’suis la personne idéale au vu de mes horaires.

Son message fut accueilli par un smiley mort de rire, qui lui arracha un nouveau sourire, suivi de la question qu’il était sûr de voir apparaître sur l’écran.

Tu veux que j’intervienne ?

Il posa le téléphone et se passa la main dans ses mèches ébènes d’un geste qui trahissait son agitation.

C’était typique de Lou de vouloir mettre son grain de sel pour le protéger ou corriger ce qu’il estimait être injuste. Il était à la fois reconnaissant envers son ami pour ses constantes preuves d’affection, mais tout aussi inquiet qu’il ne prenne pas sa propre situation en compte.

Il oubliait trop facilement qu’il était le chef de cette organisation, et qu’en tant que tel, il ne pouvait pas se permettre de faire du favoritisme.

Il laissa ses doigts errer sur le clavier, hésitant sur sa réponse. A force de lui répéter qu’il n’avait pas besoin de lui malgré l’attitude hostile de certains de leur camarades de combat, il craignait de le blesser, ou de le laisser croire qu’il n’avait pas confiance en lui.

C’est dans ces situations là qu’il regrettait presque l’isolement dans lequel il avait évolué jusqu’à ce que sa route croise Lou et les Sentinelles. C’était bien plus simple avant dans un certain sens : il n’avait personne à qui parler, à blesser, et aucun doute ou aucune peur à ce sujet.

Lui, seul, avec sa valise remplie à craquer d’idées noires, juste parce qu’il a eu la bonne idée de naître…

Il se décida à taper son message, simple et efficace.

Merci, mais ça lui passera.

Une fois le message envoyé, il hésita à nouveau avant de rajouter ces lignes :

Par contre, je veux bien qu’on se fasse une ptite session d’anime à l’occas’ !

La réponse ne se fit pas attendre, consistant en un pouce en l’air suivi d’une myriade de smileys.

Il posa son portable sur le bureau et redirigea son attention vers les écrans : il était l’avant-garde, le quartier étant quadrillé de caméras de surveillance mais aussi de runes, prêtes à s’activer au moindre signe d’utilisation de magie. Le moindre individu suspect, le moindre doute, et son devoir était d’avertir l’équipe chargée de patrouiller.

Il ne put réprimer un soupir las : ses capacités seraient bien plus utiles sur le terrain. A quoi bon être capable d’identifier un vampire à des kilomètres à la ronde si c’est pour rester enfermer dans cette salle ?

Mais il savait qu’il serait de la revue pour quelques nuits encore : Paul ne digérait pas qu’il soit rentré en contact avec elle, et lui faisait payer en le mettant au placard.

Le ton furieux qu’il avait employé en lui faisant la morale sur le fait de s’être révélé à elle à son retour à la base, la pluie de reproches qu’il avait essuyé sur le fait qu’il l’avait mise en danger en utilisant ses pouvoirs, qu’il mettait l’intégralité de leur plan et la survie de l’organisation en péril…

A la longue, il avait appris à bloquer une partie de l’hostilité, à laisser glisser cela sur lui comme la pluie sur un imperméable. Mais ce soir là, il n’avait pas réussi à garder son calme. Après avoir enduré une demie-heure de brimades verbales sans broncher, il se décida à lui clouer le bec à avec le seul et unique argument qui lui venait en tête, prononçant les mots avec calme et détachement.

« -Donc j’aurais mieux fait de la laisser mourir, c’est bien ce que tu dis? »

Cela avait arrêté net la vague de colère de son interlocuteur, qui n’avait su quoi répondre. Sa mort aurait des conséquences désastreuses, encore plus si son sang venait à être absorbé par un vampire. C’est d’ailleurs pour ça que leur organisation avait été montée, pour la protéger à son insu.

D’ailleurs, la voilà qui rentrait, probablement d’une séance de sport au vu du sac qu’elle trimballait. Elle semblait s’être suffisamment remise de ses blessures pour retourner travailler au bout d’une semaine d’après les rapports qu’il avait lu, et aucun incident n’avait été à déplorer depuis.

Son regard se trouva malgré lui attaché à sa silhouette alors qu’elle tapait le code d’entrée de sa résidence, à mesure que leur dernière rencontre lui revenait en tête. Une sensation désagréable naquit dans sa gorge, un grattement qu'il ne reconnaissait que trop bien.

Il se haïssait plus que jamais, le souvenir de cette soirée encore vivace dans sa tête et alimentant la soif. Paul avait raison: elle n’était pas totalement en sécurité avec lui, pas quand tout chez elle exerçait un magnétisme primaire.

Comme il avait béni le ciel qu’elle ne fut pas blessée au point de saigner ce soir là… Mais malgré ça, la chaleur de sa peau et son odeur avaient rendu l’ascension jusqu’à son appartement difficile, le poussant dans tous ses ultimes retranchements pour ne pas se transformer en ce qu’il avait toujours refusé d’être.

Céder à la soif, c’était céder à la bête tapie au fond de lui.

C’était trahir tout ce pour quoi il avait lutté depuis 28 années sur cette fichue terre.

C’était donner raison à ce connard.

Son esprit commença à surchauffer de rage, et la soif s’intensifia à mesure que tout ce qu’il s’évertuait à enterrer refaisait surface, corps flottants qui revenaient inlassablement sur la berge qu’il se démenait à garder vierge.

«-Putain ! »

Le feu dans sa gorge devenait insupportable, ses doigts enserrant son cou dans une vaine tentative de refroidir le tout. Ses pupilles ambrées dilatées à l’extrême, il balayait du regard frénétiquement la pièce: il y avait bien quelque chose qui pourrait…

Ses yeux retombèrent sur les caméras de surveillance, et sur la masse bouclée de cheveux voletant au gré de la brise automnale laissant apparaître un carré de peau…

Il se jeta à terre, plié en deux et gesticulant de douleur: hors de question, hors de question, jamais…

«-JAMAIS ! »

Haletant, le cœur battant à toute vitesse au point qu’il l’entendait résonner dans ses oreilles, il se traîna péniblement jusqu’à la console : Lou. Son téléphone. Quelqu’un.

Si il était sûr que ça pouvait calmer la crise, il se serait mordu lui-même. Mais cela ne marchait plus aussi efficacement qu’avant…

Tous ses accès de soif défilèrent dans sa tête alors qu’il se vidait peu à peu de son énergie : a priori, il en avait eu très peu par rapport à la normale, mais chacun d’entre eux avaient laissé une cicatrice, tangible ou non.

La première avait eu lieu à l’âge de douze ans, et il en gardait encore la trace sur le dos de sa main où deux petites cicatrices marquaient l’emplacement de ses canines plus grandes que la moyenne. Sa famille d’accueil avait paniqué et alerté les services de l’enfance, et il avait dû suivre une thérapie où il s’était retrouvé à mentir tout du long. Après tout, qui le croirait ? Mais la sensation d’euphorie qui avait parcouru son corps alors que son propre sang roulait le long de sa gorge hantait son inconscient à chaque rechute depuis lors...

Il atteignit enfin le bureau et réussit à agripper le téléphone, ses doigts tremblants ouvrant avec peine le clapet. Il grogna férocement, le son se transformant peu à peu en gémissement de douleur : ses canines semblaient douées d’une vie propre, grandissant à mesure que son cerveau enfiévré déroulait les souvenirs de la pire sensation de soif qu’il avait vécu…

Son pire cauchemar et le plus grand désir de cette moitié qu’il reniait de tout son être.

Dans un accès de lucidité, il appuya sur la touche d’appel d’urgence, la voix de son meilleur ami résonnant après trois sonneries dans l’enceinte de ces quatre murs aseptisés.

« -Vince ? »

« -Lou…. »

Il déglutit, sa salive attisant la brûlure et rendant sa voix encore plus rauque. Entre deux halètements, il arriva à sortir les deux mots qui formaient la bouée de sauvetage de son âme.

« - Co...de…. Rou...»

La ligne coupa immédiatement, et il sentit la furie s’apaiser à mesure qu’il reprenait contrôle de son esprit. Cette fois encore, personne ne serait en danger, personne ne serait blessé, personne…

Les gonds de la porte grincèrent à nouveau quand son ami entra, sa masse hirsute de cheveux roux dépassant de la capuche de son sweat bien trop grand pour sa silhouette de criquet.

« - Livraison express ! Tu aurais pu le dire, que tu avais envie de prendre un apéro avec moi…. »

Vincent roula sur le dos, ses membres encore tremblants et les poumons en feu, mais visiblement plus calme. Il avait envie de lui envoyer une de ces piques habituelles, mais l’énergie lui manquait. Il eu juste la force de lever son majeur en guise de réponse.

Lou se mit à rire, et sortit une poche du sac isotherme : il s’agenouilla aux côtés de son ami et lui releva la tête, portant le liquide rouge et épais à ses lèvres.

« - A la tienne, espèce d’idiot ! J’arrête pas de te dire de prévoir le coup... »

Vincent ignora sa remarque et, malgré lui, savoura la sensation de soulagement que lui procurait le sang qui tapissait sa gorge, grimaçant au goût métallique qui recouvrait ses sens.

Sang de cochon, à vue de nez…

Au bout de trois gorgées, il recula sa bouche de l’embout de la poche et tenta de se redresser.

« - Tu ferais mieux de boire un peu plus, histoire de garder la bête à la niche. »

« - Non…. Ça ira…. »

Lou secoua la tête et claqua sa langue en guise de désapprobation.

« - Quel testard, celui-là ! Je ne pensais pas que les dhampires pouvaient être aussi casse-couille...», ajouta-t-il en rangeant la poche de sang après l’avoir refermée, et en sortant une bière du sac isotherme. Il marmonna en cherchant frénétiquement ses clés, retournant ses poches à plusieurs reprises, lâchant un soupir d’aise en sentant le métal du porte-clés en forme de décapsuleur sous ses doigts.

Le dit dhampire flabellé casse-couille observait le spectacle, l’esprit encore embrouillé par sa crise: sa soif semblait étanchée, mais sa langue s’était transformée en un bout de carton rigide traînant dans une bouche de sable. Et ce goût de cuivre persistant… Son visage semblait chiffonné par un froncement de sourcils permanent, la nausée menaçant de prendre le dessus.

Il sentit alors la fraîcheur légèrement humide du verre contre ses doigts, le regard bleu de Lou l’invitant silencieusement à se saisir de la bière qu’il venait de décapsuler, plein de malice voilé d’inquiétude sincère.

Vincent se sentit revenir à la réalité, le froid de la bouteille qu’il venait de saisir de sa main encore tremblante s’entrechoquant avec la chaleur de l’attention qu’on lui portait. Il sentit ses traits se décrisper peu à peu, le bord de ses lèvres se relevant en un sourire las.

Lou finissait de décapsuler sa propre bouteille, et sortit du sac une boîte de bretzel et un paquet de chips.

« - Apéro ? » lança-t-il avant d’éclater de rire.


Texte publié par Mimisao, 15 octobre 2022 à 21h29
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