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tome 1, Chapitre 3 « Disparaitre » tome 1, Chapitre 3

Siria jeta un regard étonné au jeune homme, visiblement déstabilisée par son expression interdite. Elle échangea un regard perplexe avec le faune qui se tenait à mi-distance des deux.

―Je n’ai pas été assez claire ? lui demanda-t-elle en articulant silencieusement, le jeune homme restant immobile et silencieux.

Le faune haussa les épaules et soupira.

―Si, je crois plutôt qu’il ne comprend pas le coup de l’ange.

Raphaël ne parvenait pas à sortir la moindre pensée cohérente, sa tête bourdonnant d’idées qui s’entrechoquaient. Il avait réussi à donner le change jusque là, mais la réalité de ce qui arrivait était en train de le rattraper, méchamment. La solennité du lieu, l’air grave et fermé de la personne en face de lui, l’impatience du faune… tout se muait en une pression étouffante.

C’est bien une fée, ça??

Et dehors, c’est un monde… différent…

Imaginaire ou parallèle ?

Et cette histoire d’ange qui revient.

Et de fédération féerique. Ça a l’air d’être super grave, et j’ai un truc à faire, non ?

Je comprends plus, je sais plus...

Sa gorge se serrait et ses poumons semblaient être pris dans un étau, à mesure que ses émotions s’enfonçaient dans un gouffre noir, la panique le faisant trébucher toujours un peu plus bas.

J’ai l’impression qu’un énorme poids repose sur mes épaules, et je suis incapable d’être à la hauteur… J’ai toujours été incapable d’être à la hauteur de toute façon…

Les larmes commençaient à monter, asséchées aussitôt par un sentiment de colère, qui se mua en désespoir en l’espace d’une seconde. Mais le seul signe visible de son tourment était son poing droit serré, ses mots s’obstinant à tourner en boucle dans sa tête au lieu de sortir.

Pendant qu’il sombrait dans sa tempête intérieure, le faune et Siria continuaient à échanger à voix basse, celle-ci s’étant levée pour se rapprocher du faune.

― Pourtant, je ne vois pas ce qu’il y a d’incompréhensible, s’étonna Siria.

― Vous savez, avec les humains…

― Angus, ce n’est pas n’importe quel être humain….

― Ouais, il est bien plus pénible que les autres !

Le barrage qui ne tenait pas à grand-chose s’effondra lorsque Raphaël perçut leur messes-basse, le mélange de peur, de colère et de dégoût de lui-même le faisant grincer des dents.

Alors c’est ainsi…Tout ça pour ça… Ça valait le coup de me faire quitter mon monde et le peu de gens pour qui j’ai de l’importance pour me prendre ça dans la gueule….

―Disparaître…. Je veux…., murmura le jeune homme.

Siria sentit un frisson lui parcourir l’échine, un pouvoir inconnu agitant l’atmosphère jusque là paisible de la pièce. Un vent glacé semblait parcourir l’air et entourer Raphaël, toujours immobile et dont le visage commençait doucement à se relever.

Elle courut vers lui, hurlant son nom, et lorsque leur yeux rentrèrent en contact, ce qu’elle y lut la percuta en plein cœur.

Elle avait failli. Failli au plus essentiel devoir d’une souveraine.

L’hospitalité. La bienveillance. L’humanité.

Et les prunelles émeraudes remplies des nuages noirs du désespoir qui venaient de disparaître dans un souffle seraient à jamais le signe de son échec.

Elle s’effondra là où se tenait le jeune homme 5 secondes plus tôt, Angus accourant à ses côtés.

― Mais bon sang ! Jusqu’au bout il nous fera suer ce gosse !

Siria secoua la tête.

―C’est de notre faute… Si nous avions été à sa place, n’aurai-t-on pas voulu être rassurés…. ?

Angus soupira. Il fallait bien reconnaître qu’elle marquait un point. Il n’était pas un ange de patience, mais il n’avait pas non plus fait beaucoup d’effort.

― Du coup, on fait quoi ?

― On attend…. Il ne maîtrise pas ses pouvoirs, mais si il a le cœur de nous donner une nouvelle chance, il saura nous rejoindre.

L’odeur d’écorce et d’humus le sortit de sa torpeur, mais il refusa d’ouvrir les yeux. Depuis toujours, la forêt avait ce pouvoir apaisant sur lui, et il était hors de question qu’il remette un pied dans la réalité pourrie qui était la sienne.

Il se lova davantage contre ce qui était sûrement le tronc d’un arbre centenaire, laissant sa peau sentir la texture rugueuse du bois et son nez profiter des senteurs telluriques.

Son esprit s’évada des années en arrière, lors des promenades interminables qu’il faisait avec son grand-père dans les bois, en compagnie des chiens de la famille.

Les vacances chez Pépé Albert et Mémé Odette avaient toujours été ses préférées : il mangeait toujours de supers trucs, vadrouillait à l’envie avec son grand-père, regardait des dessins animés à longueur de journée et couvrait ses grands-parents de dessins ou leur racontait toutes les histoires qui lui passaient par la tête, sans crainte d’être jugé ou grondé.

Oh, il connaissait les limites, il en avait fait les frais… Mais toujours parce qu’il leur avait fait peur, et non parce qu’ils étaient en colère. Et chaque remontrance était suivie d’une explication : il était un enfant, mais pas infantilisé.

Comme la fois où il n’avait pas écouté les avertissements de Pépé lors d’une partie de pêche, et qu’il avait été sorti de l’eau illico presto par le col de son T-Shirt quand il avait glissé dans l’étang. Ils en rigolaient désormais, mais depuis, il faisait tout son possible pour ne pas inquiéter inutilement son grand-père...

Cela faisait un moment qu’il n’avait pas pu aller les voir, le travail de sa mère étant très prenant. Il lui avait pourtant dit qu’il était assez grand pour prendre le train tout seul, mais elle refusait toujours de le laisser partir. Elle pouvait le laisser parfois une semaine seul quand elle était en déplacement par contre, ça ne posait pas problème, songea-t-il alors qu’il se retournait pour trouver une meilleure position.

Il soupira intérieurement : c’était un peu facile de tout remettre sur sa mère. Depuis 2 ou 3 ans, il devait aussi admettre que l’idée de passer ses vacances devant sa console ou à traîner avec Lyra lui plaisait plus que d’aller voir ses grands-parents…

Il continua à gigoter pour s’installer mieux et continuer sa sieste, une de ses jambes glissant dans le vide.…

Dans le vide ?

Ses yeux s’ouvrirent instantanément : il était bien contre le tronc d’un arbre, mais à plus de 15 mètres du sol, perché sur une des branches les plus épaisses.

Il poussa un cri et s’accrocha de toutes ses forces au tronc. Comment avait-il atterri ici ? Comment allait-il descendre ? Comment allait-il retourner là-bas ?

Il referma les yeux, se forçant à réguler son souffle. Il y avait forcément une solution, non ?

La seule solution, c’est de te replonger dans ce qui t’a mené là…

Il se serait bien passé de cette petite voix qui ne savait rien faire à part le contrarier…. Au final, il était plutôt bien sur cet arbre, non ? L’air était frais, et la vue agréable….

Il soupira et se mit une gifle.

― Arrête tes conneries Raph… Qu’est-ce que Pépé dirait en te voyant fuir la queue entre les pattes…

Faire ce qu’il y a à faire, hein ? Allez...

Il se repositionna de manière stable sur la large branche, adossé fermement au tronc, et referma les yeux, cette fois pour se concentrer sur les évènements qui ont suivi sa rencontre avec Siria.

La sensation d’un poids écrasant surgit immédiatement dans sa poitrine, le faisant hoqueter. La pression et lui ont toujours fait deux, et il ne savait pas fonctionner avec : cela le paralysait, comme l’idée qu’un jour, il devrait lui aussi trouver un travail, prendre ses responsabilités, devenir un adulte de plus.

Il avait bien compris qu’il n’était pas là par hasard, et la situation semblait urgente et grave si il pouvait faire confiance à ce qu’il avait perçu et du faune et de la fée dans les quelques minutes où ils s’étaient trouvés dans la même pièce.

Il inspira profondément avant de murmurer pour lui-même.

― Alors t’as paniqué… Comme d’hab…

La seule personne qui arrivait à voir derrière ses bravades et son sarcasme n’était pas là pour le guider et le remettre en place, et elle ne lui avait jamais autant manqué qu’à cet instant.

Parfois, elle lui donnait l’impression de mieux le connaître que lui-même, de saisir ses fêlures avant même qu’elles ne se manifestent dans son esprit. Au final, Raphaël se sentait continuellement tout petit, une minuscule poussière dans les rouages d’un univers qui l’écrasait et lui rappelait chaque jour qu’il n’avait pas sa place… sauf quand Lyra était à ses côtés. Que lui aurai-t-elle dit pour le sortir du trou béant dans lequel il s’était laissé glissé ?

― Arrête de t’enfermer dans de la merde et fais ce qui te semble le mieux…

Il laissa échapper un petit rire au souvenir de cette phrase qu’elle avait dû lui répéter des milliers de fois depuis leur rencontre.

Sauf que là, à part retourner dans cette ville cachée derrière la cascade, il n’avait que très peu d’options… Surtout qu’il n’avait toujours aucune idée de comment il avait atterri là.

Il se replongea dans le souvenir de cet instant, et se concentra sur ses sensations. Il était sûr d’avoir ressenti quelque chose de particulier, une sorte de frisson d’énergie lorsqu’il a demandé à disparaître.

A mesure que son esprit se focalisait sur cette sensation et le fait de descendre, il sentit à nouveau une espèce de décharge électrique chaleureuse l’envelopper: il ouvrit les yeux lentement et observa le sol se rapprocher tranquillement, lui flottant dans l’atmosphère, nimbé d’une lumière douce, slalomant entre les branches et le feuillage touffu de l’arbre sans aucune difficulté.

Son visage se para peu à peu d’un large sourire alors qu’il se préparait à l’atterrissage, l’euphorie de la réussite emplissant son esprit… ce qui accéléra la descente, la lumière s’étant dissipée soudainement. Un cri de surprise retentit alors qu’il termina sa chute deux mètres plus bas sur le sol herbeux, les quatre fers en l’air.

Le choc de la chute passé, heureusement bien amortie par la haute couche de végétation, Raphaël leva les yeux au ciel et se mit à éclater d’un rire clair et à se rouler dans l’herbe.

Un sentiment d’euphorie parcourait ses membres, lui donnant envie de sauter dans tous les sens, de crier à pleins poumons.

De la magie…. Il venait de faire de la magie, bordel ! Descendre en flottant d’un arbre de 15 mètres, nimbé de lumière, c’était quoi, sinon de la magie ?

Et ça expliquait comment il était arrivé en haut de cet arbre après s’être…. Téléporté ? Envolé ? Enfin bref, peu importe les détails sémantiques, il était capable de faire comme la plupart des héros qu’il suivait avec avidité au cours de ses lectures ou de ses aventures vidéoludiques. Combien de fois s’était-il imaginé doté de pouvoirs surnaturels, tantôt œuvrant pour le bien, tantôt se mettant au service des antagonistes ? Il avait même inventé à ses heures perdues des univers entiers avec leurs propres règles et une pléthore de pouvoirs venant des éléments, de l’aura, des démons, des anges…

Il arrêta ses folles roulades, se remémorant une des rares choses que la fée lui avait dit. Une histoire de protégé d’ange des songes…. Donc, ces pouvoirs viendraient de là ?

Il se redressa prestement, l’ivresse de la découverte laissant place à une vague de questions encore sans réponse…. Et il savait très bien ce qu’il devait faire pour les avoir, retourner dans cette ville cachée derrière la cascade et auprès du faune et de la fée.

Il grimaça : sa sortie avait dû être plus que remarquée, et la première impression qu’il avait laissé n’était sûrement pas très positive. Le faune avait déjà été bien agacé par son comportement lorsqu’il l’avait accompagné jusqu’au siège de la fédération féerique, et il n’avait pas échangé un seul mot avec la fée avant de se volatiliser, le regard empli de reproches.

― C’est bien moi ça, l’art de briser la glace…. Bon, j’ai pas des masses d’options dans tous les cas.

Il leva sa main à hauteur de son visage, l’observant attentivement et se concentrant sur le lieu en question pour retenter l’expérience. Mais au bout d’une minute de visualisation mentale, sa main restait terriblement normale, ne scintillait pas, n’émettait pas de lumière… Une bête main d’humain, quoi.

Il fit la moue, déçu de ne pas ressentir cette énergie l’habiter à nouveau. Après tout, se dit-il, ce n’était peut-être pas plus mal, au vu de la chute qu’il venait de faire. Ça manquait de précision ce truc…

Il se releva, et observa avec plus d’attention son environnement : si la magie le lâchait, il avait toujours ses jambes.

Arrête de t’enfermer dans de la merde et fais ce qui te semble le mieux…

Tu vois Lyra, je t’écoute mais je mets du temps à imprimer… Promis, je lâche rien.

Il se concentra pour discerner les traces d’un chemin en observant la densité des arbres, ou le son d’un ruisseau qui pourrait le mener vers un village ou un espace plus dégagé. Il ne connaissait rien de ce monde, mais il en avait un peu moins peur, maintenant qu’il avait un but.

Et peut-être que ses hôtes étaient partis à sa recherche : il espérait vraiment qu’il n’ait pas à parcourir des kilomètres pour trouver un refuge, et commençait à regretter de ne pas avoir cultivé son endurance autant que son imagination...


Texte publié par Mimisao, 22 juillet 2022 à 23h15
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