Assis sur un tapis vert et frais, il s’efforçait de garder son calme, et d’observer tant bien que mal le paysage qui l’entourait.
Il était sous un énorme arbre aux branches tarabiscotées, qui accueillaient de grandes feuilles avec des reflets irisés. Une rivière coulait tout près, murmurant sa chanson au fil des méandres qu’elle dessinait. Le lit de la rivière semblait se rétrécir à mesure qu’elle se rapprochait de la forêt qui s’étendait à quelques centaines de mètres de là.
Raphaël secouait la tête, cherchant un point de repère quelconque… mais seules des centaines de nuances de vert répondirent à sa silencieuse enquête, faisant monter son angoisse en flèche.
― Là, c’est vraiment grave… Faut que je me réveille et vite !
Refermant les yeux, la respiration erratique, il se pinça le dos de sa main, d’abord doucement, puis de plus en plus fort.
Je vais ouvrir les yeux, retrouver ma chambre en bordel, la console allumée, mes bouquins, ma mère, Lyra…
Il poursuivit furieusement sa série de pincées, s’attaquant désormais à ses joues.
Je vais les retrouver, je vais les retrouver !!!
A force d’auto persuasion, il réussit à trouver le courage d’ouvrir un œil, puis l’autre…
Pour se trouver nez à nez avec une étrange créature.
Il se leva d’un bond, sa tête heurtant une des branches de l’arbre.
― AIE !! Mais c’est quoi ce truc !?
― Ce truc comme tu dis, c’est un faune. Un faune qui n’aime pas trop les garçons malpolis.
Raphaël se laissa retomber à terre, sa tête appuyée contre le tronc de l’arbre. Encore légèrement sonné, il laissa son regard dériver vers la créature.
Un drôle de nez, une peau brune, des pattes animales, velues, des petites cornes, et un regard malicieux. Un soupir lourd, proche d’un sanglot, s’échappa de ses lèvres quand la dite créature s’approcha lentement.
― Ça y est… C’est fichu… Je suis devenu définitivement dingue…
Ce fut au tour du faune de soupirer, cette fois-ci d’agacement face au mélodrame qui se déroulait sous ses yeux. Il tendit néanmoins sa main au jeune homme pour l’aider à se relever.
― Mais non, imbécile ! Elle t’a amené ici, vociféra-t-il entre ses dents, sa main toujours dans le vide, son sabot droit tapotant impatiemment l’herbe.
Raphaël secoua sa tête, les sourcils froncés. Rien ne faisait sens, et l’attitude du faune ne l’aidait pas à redescendre en tension.
― Qui elle ? demanda-t-il alors que l’impatience du faune devenait de plus en plus palpable.
― Ben Siria ! Elle t’avait prévenu, non ? Je suis chargé de t’amener à elle, et sache que ça ne me fait pas particulièrement plaisir…
― Désolé de ne pas avoir réussi à être d’humeur guillerette en étant propulsé dans un autre monde…, siffla Raphaël, les bras désormais croisés et ses prunelles vertes jetant un regard noir à la main tendue devant lui.
Il voulait bien admettre qu’il avait manqué de tact, mais il n’était pas le seul à ne pas faire preuve de considération.
Le faune baissa sa main en claquant la langue d’irritation.
― Écoute, je ne vais pas te forcer. Le destin de mon pays est en jeu, donc si tu ne veux pas me suivre, soit.
Raphaël sentit la panique l’envahir d’un coup à la vue de la créature s’éloigner doucement. La seule personne qui semblait savoir quelque chose sur ce qui pouvait lui arriver à des kilomètres à la ronde était en train de le laisser là… et il était en train de se braquer pour une question d’ego !
Il se releva précipitamment, se heurtant de nouveau la tête sur cette satanée branche, et se hâta de réduire la distance qui le séparait de son seul repère dans cette immensité émeraude.
Le faune esquissa un sourire en entendant le raffut qui troublait le calme de la forêt.
Les enfants sont tous les mêmes, pensa-t-il en se retournant pour attendre le jeune homme.
Alors qu’ils s’enfonçaient toujours plus profondément dans la forêt, l’impatience du faune était de nouveau mise à rude épreuve.
Raphaël s’arrêtait toutes les deux minutes, s’extasiant sur une fleur à la forme inhabituelle, un arbre portant des fruits multicolores, ou courant après une quelconque créature qu’il avait cru apercevoir. La panique qu’il avait ressenti à peine une heure plus tôt semblait s’être évaporée au fil de ses pas, cédant la place à une curiosité débordante….
Chose qui avait en général le don d’énerver ceux qui n’étaient pas habitués à ce trait de caractère du jeune homme, et donc qui avait le don d’exaspérer le faune.
Celui-ci ruminait son agacement, courant après Raphaël, le rappelant à l’ordre inlassablement.
Jusqu’au moment où…
― TU VAS ARRETER OUIII ????
Le faune explosa littéralement, pendant que le jeune garçon contemplait un insecte à la carapace dorée, en murmurant des “ incroyables ” à tout bout de champ.
― J’aimerais que tu me suives gentiment, et que tu arrêtes de nous ralentir ! Il s’agit que quelque chose d’important, de capital même ! Alors je te prie d’arrêter de stopper notre route tout le temps, tu pourras faire tes explorations autant que tu veux mais PLUS TARD !!
― D’accord, d’accord ! C’est bon calme toi… Si tu débarquais dans un autre monde, tu réagirais comment toi ?
― Je n’en sais rien, vu qu’il y a très peu de chances que ça arrive…
Raphaël hausse les sourcils de surprise.
― Ben pourquoi ? Si je l’ai fait, y’a sûrement plein de monde qui peut le faire, non ?
Le faune se pinça l’arrête du nez… Il sentait qu’il allait devoir encore perdre de précieuses minutes pour faire bouger ce gugusse, et il sentait son énergie s’évaporer par chaque brin de sa fourrure.
Il s’assit sur une souche maculée de mousse et soupira. Une pause ne lui fera peut-être pas de mal non plus...
Raphaël s’assit en silence dans l’herbe, les yeux rivés sur son compagnon de route. Le faune sentit l’exaspération reculer: ainsi cet agité était aussi capable de concentration et de politesse….
― Et bien, ce n’est pas aussi simple que ça...Pour venir dans un autre monde, il faut que l’on t’appelle, ce qui demande une certaine quantité de pouvoir magique. Et on ne peut pas changer de monde sans une raison valable, un enjeu fort et important.
Raphaël buvait ses paroles, son cerveau rempli d’images de rituels et de lumières dansantes, ses oreilles bourdonnant d’incantations mystérieuses.
Le faune le pointa soudainement du doigt, faisant sortir le jeune homme de sa transe fantaisiste.
― Sauf pour un personne… toi.
― Moi ? Pourquoi ?
― Je ne connais pas les détails, je sais juste que tu es la seule personne ayant le pouvoir de s’affranchir de ces règles, et la personne qui t’a appelée m’a chargée de t’amener sain et sauf à elle.
Raphaël resta bouche bée à cette révélation, qui faisait refluer ce sentiment qu’il avait depuis un moment, celui d’être un poisson hors de l’eau, perdu dans la masse arborée de ce nouveau monde. Il n’était pas là par hasard, au final. Il y avait un sens à tout ça, après tout.
Le faune sentit l’apaisement gagner le jeune homme, et se demanda si il n’avait pas été un peu dur. Comme il l’avait suggéré tout à l’heure, il venait d’être propulsé dans un monde inconnu, arraché aux siens…
Il étendit à nouveau sa main, sans signe d’agacement, et Raphaël la prit cette fois-ci, une drôle de confiance naissant en lui.
-― Nous ne sommes plus très loin de toute façon. Tu auras bientôt plus de réponses.
Le jeune homme hocha la tête et le suivit, la tête pleine d’hypothèses. Le trajet fut en effet court aux yeux de Raphaël, mais il ne savait dire combien de temps il avait réellement duré. Ils se tenaient à présent devant une cascade, et il entendit son compagnon mi-homme mi-animal prononcer un mot étrange.
Quelques secondes plus tard, la cascade s’ouvrit, dévoilant un étroit sentier surplombé par des glycines entrelacées à du chèvrefeuille.
― C’est… superbe…, murmura Raphaël, un peu étourdi par l'afflux intenses d'odeurs et de couleurs.
Le court chemin menait à une petite clairière illuminée par un trou de soleil dans les feuilles, foisonnante de vie et d’animation.
Les arbres étaient parsemés de maisons suspendues et fleuries abondamment, aux couleurs pastel.
Au milieu de ces immeubles improvisés, un arbre aux feuilles d’argent se dressait près d’une fontaine ornée de fines sculptures, tandis que tout autour de la place se trouvaient de nombreux étalages aux couleurs tapageuses.
Et la vie qui circulait était à l’image de cet espace : grouillante, diverse, mais harmonieuse.
La population était composée d’une majorité d’êtres gracieux, parés d’ailes translucides et opalines, seulement distinguables à la plus douce lumière.
Des fées ? Des elfes ??
Ça et là gambadaient des faunes, semblables à son compagnon de voyage, des leprechauns aux costumes extravagants et colorés, des nains en armures, à la longue barbe brune…
Une déferlante qui tournait la tête au jeune garçon, une fois de plus tenté de se pincer sans ménagement.
― Tu t’extasieras plus tard, des gens importants et tes réponses nous attendent.
Ils traversèrent la place animée, sous le regard intrigué des créatures féeriques, qui se rassemblaient par petits groupes, murmurant à voix basse. Raphaël s’efforça de ne pas y prêter attention, même si la panique refaisait surface par à coup en croisant le regard de ces êtres inconnus…
Mais après tout, se dit-il, ils devaient ressentir la même chose que lui… C’est donc en faisant de son mieux pour rester détendu et conserver une expression ouverte qu’il circula au milieu de la foule, sous le regard compatissant du faune.
Ils finirent par arriver devant un édifice un peu à l’écart, incrusté dans un sublime arbre à l’écorce blanche aux reflets argentés. L’élégance simple du bâtiment et la présence de gardes poussa Raphaël à en conclure que c'était un lieu officiel et important, alors qu'il scrutait les moindres détails de la façade..
― Je ne suis pas fâché d’arriver ! s'exclama son guide en faisant craquer ses épaules.
― Et on est arrivés où ?
― Devant le palais de la fédération féerique, sous la direction de la reine Titania et du roi Obéron.
― La fédération féerique ??
― Une des nombreuses choses à intégrer, petit humain…
Il poussa la porte sculptée et gravée d’inscriptions illisibles, mais qui respiraient la solennité.
Raphaël sentit un frisson le parcourir, un des ceux qui annoncent qu’on ne pourra pas revenir en arrière, un frisson de peur mêlée d’excitation. Retrouvant le contrôle de son corps, il franchit à son tour le seuil, débouchant dans une grande salle creusée dans le bois, ornée de fleurs immaculées.
Il ne savait plus où mettre ses yeux.
Le mobilier était finement ciselé dans le bois lui-même, et orné de délicates sculptures végétales. Tout respirait l’harmonie avec la nature et la délicatesse.
Le faune lui indiqua d’attendre dans la pièce et revint quelques minutes après, le laissant à son exploration.
― Siria est prête à te recevoir. Suis-moi, et ne touche à rien, s’il te plaît !
Raphaël obéit de bonne grâce, s’engouffrant dans une sublime pièce tapissée de lierre et de lis blancs. Au milieu de la pièce, sur une chaise semblant surgir du sol, était assise une des plus belles créatures qui lui avait été donnée de voir en 16 ans d’existence.
De longs cheveux roux aux reflets d’or, retenus par une couronne de fleurs aux couleurs chaudes. Une peau blanche, lisse et pure. Des yeux d’un vert pailleté de soleil. Une grâce naturelle, soulignée par des vêtements simples, mais élégants: un bustier de velours blanc, accompagné d’une jupe couleur mousse, brodée délicatement de feuilles de chèvrefeuille.
Et une paire d’ailes brillantes, irisées, que Raphaël ne perçut pas tout de suite, mais qui semblaient remplir la pièce de lumière par leur seule présence.
― Je t’attendais, protégé de l’ange des Songes…
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