Raphaël s’effondra sur l’herbe du terrain d’entraînement, le bruit métallique de son épée accompagnant le mouvement trouvant peu d’écho au milieu du tumulte ambiant.
Il était debout depuis l’aube, et n’en était qu’au milieu de sa journée… Mais il se sentirait sûrement mieux avec un bon repas !
Siria l’avait prévenu qu’il avait les yeux plus gros que le ventre en le voyant lui expliquer son projet, mais il se sentait tellement mieux en faisant quelque chose, et il avait tellement à apprendre !
Entraînement physique avant le petit-déjeuner, leçon de lecture et d’écriture ensuite, maniement des armes en fin de matinée, et il consacrait son après-midi à la magie pour maîtriser ses pouvoirs.
C’était le plus essentiel pour lui : il s’était encore retrouvé malgré lui en train de planer dans les jardins après s’être enthousiasmé d’avoir réussi à comprendre un point de grammaire lors de la relecture de ses notes. Il ne s’était même pas senti s’élever dans les airs, et c’est le rire rauque d’Angus qui venait le chercher pour partir en quête de nouveaux vêtements qui l’avait tiré de sa joie, remplacée instantanément par une vague de panique... qui lui fit perdre le contrôle et se ramasser en beauté, la tête la première dans un buisson.
Siria et son précepteur, un elfe à qui il donnait la quarantaine et à l’air sévère, lui avait expliqué dès leur première leçon que ses pouvoirs dépendaient énormément de ses émotions, d’où les manifestations à l’arrache de ces derniers. Les pièces du puzzle s’assemblaient enfin, et il se souvint avoir pleuré de soulagement en entendant l’explication.
C’était normal. Tout était normal.
Encore plus maintenant qu’il savait comment fonctionnait la magie, après une semaine de cours intensifs.
Il mâchait pensivement et avala la dernière bouchée de son déjeuner, un espèce de kebab végétarien dont le pain extrêmement moelleux l’avait immédiatement conquis : il mangeait ce bamlas à toutes les sauces, sucré ou salé, matin, midi et soir, et aujourd’hui ne faisait pas exception.
Se tapotant le ventre d’aise, Raphaël se replongea dans ses pensées, tournées une fois de plus vers ce qu’il avait appris sur la magie.
Il s’était plutôt attendu à des formules, des rituels. Ou à des baguettes magiques, ou à un artefact !
Que dalle… C’est une histoire avant tout d’affinité élémentaire, déterminée par le peuple dont on vient. Les nains avec le feu ou la terre, les fées avec l’air, la terre ou l’eau, tout comme les elfes.
Un truc classique, mais qui ne répondait pas à sa principale question : pourquoi lui, simple humain, avait-il des pouvoirs ?
Le soir-même de sa première journée de cours, Siria l’avait invité à s’asseoir par terre dans la salle qu’ils occupaient pour ses leçons et à attendre quelques minutes. Il s’exécuta, et guetta son retour avec une impatience manifeste.
Lorsqu’elle était réapparue avec une simple boîte en bois, il n’avait pas pu s’empêcher de hausser les sourcils, le scepticisme clair sur son visage. Siria lui avait souri d’un air malicieux, et intimé de fermer les yeux. Un léger raffut avait brisé le silence de la pièce, et quand il put enfin rouvrir les yeux, c’était pour découvrir un gros cristal de roche posé sur un tapis noir, brodé de mots étranges.
- Un rituel ?
- Si on veut. D’après les archives, les rares humains qui sont arrivés à Aevalien avaient tous des pouvoirs, sans que l’on sache pourquoi. Cependant, il y a une centaine d’années, les mages-chercheurs ont trouvé la réponse.
Fini les doutes, Raphaël s’était accroché au moindre mot qui sortait de la bouche de son amie, qui, après avoir vérifié qu’elle avait bien son attention, avait poursuivi son récit.
- Il y a très longtemps, Aevalien était un monde où vivaient des créatures mystiques aujourd’hui disparues. Mais sans qu’on le sache, elles ont continué à veiller sur nous.
- Qui sont ces créatures ? avait demandé Raphaël en remuant sur place.
- Des anges... des anges gardiens maintenant. Et d'après les archives, les rares humains à avoir atterri ici tenaient leurs pouvoirs d'un ange gardien.
- Du coup, je.…
- C'est ce qu'on va vérifier de suite ! avait-elle dit en lui prenant les mains et en les plaçant sur le cristal.
Elle lui avait fait poser les paumes sur la surface lisse et translucide de la pierre, en faisant bien attention de ne pas le toucher elle-même. La seule chose que Raphaël avait eu à faire était de se concentrer, comme lors de ses leçons, et d'imaginer qu'il projetait son énergie dans le cristal.
Les yeux fermés et rempli de confiance face à cet exercice de plus en plus familier, il avait imaginé un flux lumineux se répandre dans son corps et se focaliser sur ses mains.
Siria, les yeux fixés sur le cristal, à l'affût du moindre changement avait observé rapidement la pierre changer de couleur et se marbrer d'un vert clair piqueté de mauve.
-Raphaël, tu peux ouvrir les yeux. On a la réponse.
Aussitôt dit, aussitôt fait : les prunelles vertes pleine de curiosité s’étaient rivées sur le cristal désormais coloré.
- Alors, alors ? Comment ça s'interprète ?
- Décidément, tu ne fais rien comme tout le monde ! Tu as deux anges gardiens, dont un qui est considéré comme un des plus puissants ; l’archange élémentaire de l’air, qui possède la lumière guérisseuse.
Raphaël avait ouvert la bouche de surprise, avant de sautiller sur place d’excitation.
- Sérieux ?? La classe ! Il s’appelle comment ?
Les coins de la bouche de Siria s’étaient relevés en un sourire un peu moqueur.
- Raphaël.
Le jeune homme avait éclaté de rire, son corps se renversant en arrière sur le tapis recouvrant le plancher de la salle d’étude.
- Nan, c’est pas vrai…, hoquetait-t-il entre deux secousses d’hilarité.
- Je ne pense pas que ce soit un hasard. Les noms renferment un pouvoir aussi, ici. Je ne serais pas étonnée que ton prénom t’aie attiré les bonnes grâces de l’archange Raphaël.
- En tout cas, je comprends mieux pourquoi j’ai tendance à m’éclipser comme une bourrasque. Dis, tu crois qu’il va me pousser des ailes ?
Siria lui avait asséné gentiment une tape sur le genou en le traitant d’idiot, résistant difficilement à l’envie de rire elle aussi.
- Et le deuxième, alors ? C’est rare comme situation, d’en avoir deux ?
- C’est rare oui. Encore plus que le fait de recevoir la bénédiction d’un ange gardien quand on n’est pas humain.
- Tu en connais ?
Siria avait posé les mains sur le cristal à son tour, et ce dernier prit immédiatement une teinte rouge nuancée d’orange.
- Woah ! Toi aussi ?
- Il est rare pour les fées d’avoir une affinité élémentaire avec le feu… A part si l’archange Mickaël s’en mêle. Et pour répondre à ta question, le deuxième ange est l’ange refuge, gardien des songes. Il s’appelle Hahaiah.
- Il est plus chaud à prononcer celui-là… Autant, Raphaël, je vois le lien, mais là, à part que je suis toujours dans la lune, je ne comprends pas ce que j’ai pu faire pour l’attirer, celui-là.
- Des fois, cela dépend juste du moment où tu es né, du jour, de l’heure. On n’a pas encore de vraie réponse à ce sujet, et de toute façon, les recherches sont un peu en suspens au vu de la situation actuelle.
- Du coup, si c’est l’ange des rêves…
- Oui, c’est comme ça que tu es arrivé ici…. Tu vois...
- Hey, Raphaël ! Le maître d’armes voudrait te voir avant tes leçons de l’après-midi !
La voix d’un de ses compagnons d’entraînement, Calico, le sortit de sa rêverie.
- Il avait l’air énervé ? demanda le jeune homme en grimaçant. L’exercice physique n’était pas son fort, et ça se sentait dans les joutes d’entraînement… Il avait constamment l’impression de décevoir l’instructeur.
Le chat se saisit le menton d’un air pensif.
-Non, il ne m’a pas semblé en colère ou quoique ce soit. Mais je n’en sais pas plus.
Raphaël l’invita à s’installer sur la souche sur laquelle il s’était assis, et son collègue s’y hissa. Calico était un être à part, et lui faisait terriblement penser au Chat Botté : debout sur ses pattes arrière, drapé dans un manteau bleu foncé qui faisait ressortir son poil mordoré et ses pupilles azur, il était malgré sa petite taille un des escrimeurs les plus agiles du contingent… et un des rares à avoir accepté un total débutant tel que Raphaël comme partenaire d’entraînement.
- Tu avais encore l’air perdu dans ton monde.
- Disons que j’ai beaucoup de choses à apprendre et peu de temps.
Calico lui tapota la main amicalement.
- Une chose à la fois, fifou. T’épuiser ne mènera à rien de bon.
Raphaël sourit à la mention du surnom que son camarade lui avait choisi après l’avoir entendu de Raphaël lui-même. Il surprenait Siria à reprendre certaines de ses expressions, et cela lui faisait plaisir de sentir sa place se créer peu à peu dans ce monde inconnu.
Le jeune homme ébouriffa la couronne de fourrure entre les oreilles de Calico, qui siffla d’agacement.
- Rooh, je vais devoir me recoiffer encore une fois !
- Tu es adorable quoiqu’il arrive, Calico.
- Je ne veux pas être adorable, je veux être redoutable…., râla le chat en croisant les pattes sur sa poitrine.
- Ce n’est pas incompatible… Il faut savoir faire feu de tout bois et utiliser toutes les cordes de ton arc ! dit Raphaël en se levant. Je ferais mieux d’y aller si je veux avoir le temps de passer voir l’instructeur.
- Bon courage et essaie de te reposer un peu demain !
Raphaël lui fit signe de la main en se mettant en route. Demain sera un autre jour : il fallait déjà finir celui là.
Ses yeux s’écarquillèrent violemment, le nœud logé dans sa poitrine rendant son souffle erratique. Son esprit mit plusieurs secondes à vérifier ce qui avait bien pu se passer pour qu’il se retrouve dans cet état, le corps moite et les membres tremblants se rajoutant à la liste de ses constations.
Ses paupières papillonnèrent à plusieurs reprises, et son cerveau se rebrancha d’un coup : il fait nuit, il est dans sa chambre.
C’était un cauchemar. Rien de plus.
Il déglutit, le feu de sa gorge semblant se réveiller avec le geste et rajoutant un élément de plus à son inconfort.
Les yeux dans le vague, errant de nœuds en rainures sur le bois des planches du plafond, il se força à être à l’écoute de son corps pour oublier d’écouter ses pensées.
Parce que contrairement à d’habitude, ça passait pas. Le malaise restait imprimé dans son esprit et il n’arrivait pas à s’en libérer.
D’habitude, il avait ses livres, la console, la musique, bref une kyrielle de trucs qui pouvaient l’aider à passer à autre chose. Tout du moins, il savait qu’il avait une solution, quelque chose qui pouvait lui occuper l’esprit.
Mais dans ce palais, que pouvait-il faire ?
Pratiquer sa magie ? Clairement, vu l’instabilité de ses pouvoirs, c’était la pire chose à faire sans être accompagné.
Lire ? Pour ça, il faudrait qu’il connaisse la langue locale…. Et ce n’est pas après une semaine d’apprentissage qu’il pouvait prétendre la maîtriser.
Son sentiment d’impuissance lui serra le cœur et amplifia sa tétanie. Depuis son retour dans la capitale il y a une semaine, il n’avait pas eu le temps de penser à quoique ce soit, surfant sur la vague de positif qu’il ressentait depuis la discussion avec Siria.
Il se sentait gonflé à bloc, prêt à dévorer le monde, et ses journées le laissait rincé et épuisé, et son sommeil n’avait jamais été aussi lourd, à son grand bonheur.
Jusqu’à ce foutu cauchemar.
Jusqu’à ce que son angoisse la plus profonde choisisse le moment où il en avait le moins besoin pour ressurgir.
Il se sentit suffoquer face aux circonvolutions de son esprit qui allaient forcément le mener vers un chemin qu’il redoutait d’emprunter, mais dont il ne pouvait s’empêcher d’approcher.
Il n’arrivait même pas à pleurer, ni à bouger, spectateur silencieux de sa descente dans cette masse noire qui régnait malgré ses efforts pour rester hors de l’eau.
Que dirait Siria, que dirait Lyra si elles le voyaient dans cet état ? Probablement ce qui tournait en boucle en lui et lui déchirait la poitrine.
Tu ne vaux rien.
On a pas besoin d’un loser comme toi.
Dégage.
Crève.
Les mots semblèrent apparaître sur le plafond, couvrant la teinte chaleureuse du bois de noir, sinuant sur les planches au rythme des veines du bois, s’enroulant autour des nœuds.
Il tenta de fermer les yeux, d’inspirer profondément et d’expirer tout doucement, comme s’il soufflait sur une bougie en faisant en sorte de ne pas l’éteindre.
Mais le sifflement perfide de ses pensées tambourinait à ses oreilles, et il rouvrit les yeux à la hâte, et se plaqua contre la tête de lit en tremblant, les yeux scrutant le signe du moindre reptile. Une espèce de serpent de mots venait de refaire son apparition sur le mur en face de lui, la même rengaine tourbillonnant sur la blancheur de la pierre, comme prêt à bondir sur lui.
Il était encerclé, en cage avec ses pires peurs, recroquevillé sur son lit comme si il jouait à une partie de chat perché qu’il savait perdue d’avance.
Un dernier coup d’œil droit devant lui confirma son sort : le mot « crève » dansait devant lui, l’écart entre le « è » et le « v » formant une espèce de gueule sifflante, le reste du corps calligraphié tendu et prêt à l’attaque.
Le dos trempé de sueur, il referma les yeux, priant pour que ça s’arrête, pour un peu de paix pour reprendre ses esprits, pour ressentir autre chose que l’angoisse assourdissante.
Roulé en boule au sol, la respiration toujours aussi erratique, il mit plusieurs minutes à se rendre compte du changement de décor. La dureté du bois dans son dos fut remplacé par le moelleux de l’herbe, et l’ambiance suffocante de la chambre par l’air frais de la nuit.
Le frisson qui le parcouru acheva de le persuader qu’il était bien vivant, mais où avait-il encore atterri?
Il ouvrit un œil, et poussa un soupir de soulagement: il reconnut immédiatement la fontaine des jardins du palais, où il avait pris l’habitude de se poser entre deux leçons.
Il étendit les jambes lentement, puis se redressa, observant les alentours, ses sens toujours secoués par ce qu’il venait de vivre.
Il n’y avait pas vraiment un serpent composé de ses pires pensées dans sa chambre,hein ?
C’était juste le fruit de la plus affreuse crise d’angoisse qu’il s’était tapé depuis sa naissance, hein?
Il laissa échapper un ricanement sans joie, et se rendit compte de la présence d’une nouvelle source d’humidité sur son corps.
Les larmes avaient enfin fini par se libérer, et le rire nerveux se transforma doucement en sanglots muets, ses jambes de nouveau remontées contre son torse alors que sa tête reposait sur ses genoux.
Au final, ce n’était qu’une question de temps avant que ça pète : c’était juste plus facile de faire l’autruche et de se dire que ça passera, comme tout.
Sans dérivatifs, sans Lyra, il n’avait plus rien pour tenir ce marasme au pas. Et ça revenait lui mordre le fessier sans concession.
Il aurait donné n’importe quoi pour voir son amie à ce moment-même, et maudissait son pouvoir qui visiblement l’avait transporté dans un lieu qu’il estimait sûr, mais pas auprès de sa personne-pilier. Le poids de sa solitude lui sembla impossible à tenir, et les larmes redoublèrent alors que l’eau de la fontaine continuait à s’écouler non loin de là.
Osciller entre idées noires et paroles motivantes l’épuisait. Il se laissa juste aller, couler, laisser les émotions rouler le long de sa peau comme une cascade. Ça faisait deux fontaines pour le prix d’une dans le jardin!
Naturellement, il fredonna un air, sa voix sortant en un filet entrecoupé de sanglot.
A défaut d’écouter de la musique pour apaiser son cœur, autant la créer. Et puis, à part les plantes, il ne dérangerait pas grand monde !
Doucement, l'aube revient quand même*
Même pâle, le jour se lève encore*
Allez, inspire Raphaël, ça va aller. Un jour à la fois, un pas à la fois.
Étonné, on reprend le corps à corps*
Continue, le soleil se lève encore *
Tu n’es pas seul. Tu vas y arriver.
Le reste des paroles sortait avec plus de force à mesure que son esprit se décantait et ses larmes séchaient sur ses joues. C’était une des chansons que sa mère écoutait à chaque coup de mou, et à force, il l’avait adopté aussi, les mélodies familières emplissant l’espace qu’elle laissait vide au gré de ses horaires de folie. Et elles apportaient ce réconfort qu’il n’osait pas lui demander lorsqu’elle était là.
Il se fit la note mentale de demander un autre journal à Siria pour évacuer les choses au fur et à mesure. Calico avait raison : exploser en plein vol n’allait qu’empirer la situation, et il éprouva un profond regret, celui de ne pas avoir essayé d’affronter ses peurs plus tôt.
Il entendit aussitôt la voix de Lyra dans sa tête lui répliquer que cela ne sert à rien de regretter de n’avoir pas fait quelque chose qu’il n’était pas prêt à faire, parce qu’il n’était justement pas prêt. Il s’entendit lui répondre qu’elle pouvait aussi s’appliquer son conseil et arrêter de se forcer à faire la forte. La joute verbale qui se déroulait dans sa tête ressemblait à toutes ces conversations qu’ils avaient partagé ces soirs de solitude où les ombres se font plus grandes qu’elles ne sont vraiment.
Les parallèles qu’étaient leurs vies avaient la même couleur, celle du sentiment de n’être pas assez, ou d’être de trop. Depuis leur enfance, c’est ce qui les réunissait, et ils étaient devenus le mur sur lequel l’autre venait se reposer ou déverser sa colère, le miroir en face duquel on se dit que tout finira par s’arranger, le frère ou la sœur qui console, remet les idées en place et fait oublier tout.
Sauf que cela ne pouvait pas continuer éternellement, et il prenait cette réalité dans la face de plein fouet. Ils approchaient du moment où une distance allait forcément s’installer : il n’accepterait jamais qu’elle choisisse la même université juste pour rester avec lui, et elle ne lui pardonnerait jamais de renier ses rêves pour elle.
Et les voilà séparés par un univers parallèle entier, parce qu’il a le pouvoir de voyager à travers les rêves. Il fallait se faire une raison et regarder les choses en face.
- Raphaël ?
- Haaaa ! s’écria-t-il en sursautant, la tête tournant de tous les côtés.
- Du calme, c’est juste moi !
Les yeux du jeune homme se posèrent enfin sur la crinière écarlate familière, et il retomba avec douceur sur le sol, après une énième lévitation incontrôlée.
Siria stoppa net à la vue des yeux gonflés de son ami et de sa silhouette entourée d’un faible halo lumineux.
Pas besoin d’être un génie pour comprendre ce qu’il s’était passé…
Et pour commencer à paniquer.
La fée avait beau être globalement capable de tenir le rôle de régente depuis que ses parents étaient plongés dans ce coma magique, elle ne savait pas quoi faire face à la détresse d’un de ses proches.
Une armée de diplomates cherchant la petite bête lui faisait moins peur que de s’asseoir à côté de Raphaël et de lui parler, tant la crainte d’accroître son tourment par sa maladresse était forte.
Pourtant, elle inspira profondément, et se força à faire le premier pas sur le gazon rafraîchi par la nuit, puis un second, jusqu’à finalement atterrir avec une grâce naturelle en face de lui, les jambes croisées et le sourire le plus rassurant qu’elle pouvait invoquer sur les lèvres.
Raphaël tilta sa tête de côté, son cerveau sautant d’inquiétudes en questions.
Est-ce que ça se voyait qu’il avait pleuré ? Et qu’est-ce qu’elle faisait à cette heure dans les jardins, toute seule ? Elle était la régente quand même ! Est-ce qu’il avait causé des dégâts lors de sa téléportation ?
Il se força à se concentrer sur les mouvements de la fée, sur les bruits de la nuit, pour éteindre son bruit intérieur.
Lorsqu’elle s’assit en face de lui, il ne put s’empêcher de hausser les sourcils…. Puis de sentir ses lèvres s’étirer lentement, une bulle de rire remontant le long de son torse pour finir par éclater, le faisant basculer en avant, la tête première dans l’herbe et ses mains se tenant les flancs.
Siria resta un moment interdite, avant de plisser les lèvres en une moue dépitée.
Et dire qu’elle avait fait tant d’efforts pour essayer de le réconforter… Et avant même qu’elle ne puisse ouvrir la bouche, le voilà mort de rire après l’avoir dévisagée!
Un soupir agacé plus tard et la voilà prête à se relever, lorsqu’elle sentit une main se poser sur sa cheville, accompagnée d’un halètement hilare.
- Pa… pardon… Déso… lé….
Siria reposa ses fesses sur le gazon, ses yeux trahissant clairement sa pensée.
Raphaël roula sur le dos et fixa un regard contrit sur le visage de la fée qui ne parvenait pas cependant à chasser les traces de son fou rire.
- Ravie d’être source d’hilarité….
- Ton sourire était si crispé qu’on aurait pu penser que tu étais prise d’une crise de cons…
Siria plaqua une de ses mains sur sa bouche à la vitesse de la lumière.
- On a compris l’idée, on a compris l’idée !!!!
Un coup d’œil sur le visage de Raphaël et elle retira sa main aussi vite qu’elle l’avait mise, la gêne rosissant ses pommettes.
Pas le moins dérangé du monde, ce dernier lui adressa un grand sourire dévoilant toutes ses dents avant d’entreprendre de se relever. Il lui tendit la main après une parodie de révérence.
- Il est temps de rejoindre vos quartiers, princesse. Le manque de sommeil va nuire à votre teint.
Siria leva les yeux au ciel d’exaspération. Elle commençait à cerner le bestiau… Et il ne s’en sortirait pas avec une pirouette.
- Et le trop plein va nuire à votre équilibre mental, rétorqua-t-elle en saisissant sa main.
Il la tira à lui, à moitié soulagé qu’elle ne le laisse pas fuir.
- Touché… J’aurai bien besoin d’un nouveau carnet… et d’une oreille amicale.
- Ça doit être dans mes cordes, sourit Siria en calant son pas sur celui de Raphaël, alors qu’il commençait le récit de sa soirée.
* Paroles extraites de la chanson Le jour se lève encore, de Jean Louis Aubert
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