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tome 1, Chapitre 7 « Apparences » tome 1, Chapitre 7

Un léger vent et des gouttes d’eau fraîche s’acharnaient avec douceur sur le corps allongé sur l’herbe.

Des mèches ébène s’étaient mêlées au vert sombre du sol, donnant un tableau étrange dans la lumière blafarde du matin. Un tableau presque inquiétant maintenant que le brouillard alourdissait les couleurs déjà fades du lieu.

Le corps s’étira, lentement, sans se réveiller, dérouillant les articulations et les muscles, comme après une mauvaise nuit remplie de rêves étranges qui s’impriment dans la mémoire de manière fugace, des traces qu'on arrive plus à reconstituer.

Des clapotis résonnaient dans l'atmosphère, comme si un ballet de plongeons se déroulait à deux pas. Ces petits bruits, bien que légers et agréables, finirent par tirer la silhouette de son sommeil, un gémissement teinté de fatigue rejoignant le bruit ambiant. Le crissement de ses mouvements sur l'herbe humide furent bientôt accompagné d'un cri de surprise effrayée.

Devant Lyra s’étendait un immense lac brumeux, un lac à la surface loin d’être lisse : les clapotis qu'elle avait assimilé à un bruit calme et relaxant ressemblaient plus à des bulles étranges remuant la couleur foncée de l'eau, muée par des mouvements étranges et inconnus.

Ses yeux ne savaient plus où se poser, passant de ce lac inquiétant aux arbres décharnés qui le bordait, son regard azur caressant le ciel dans lequel elle ne trouvait aucune trace de bleu ou de lumière. Elle frissonna, autant d’appréhension que de l’humidité dans laquelle elle avait reposée durant un temps indéterminé : son jean et son gilet étaient désagréablement trempés de cette espèce de rosée qui n’avait rien de fraîche.

Elle sentit sa tête tourner : son dernier souvenir, c’était la sensation du lit de Raphaël derrière son dos après avoir raccroché avec sa mère…

Elle avait des flashs assez flous dans lesquels elle distinguait la silhouette dégingandée de son meilleur ami. Elle avait la sensation qu’ils avaient marché ensemble, dans un tourbillon de couleurs vives où un vert vif prédominait. Elle se souvint d’avoir entendu sa voix, et il avait dû lui parler de trucs qui le passionnaient parce qu’elle distinguait encore les intonations surexcitées qu’il prenait quand il venait de finir un anime qu’elle devait AB-SO-LU-MENT voir ou qu’il avait passé un combat réputé extrêmement difficile dans son dernier jeu favori.

Elle avait sûrement dû s’écrouler d’épuisement et dormir profondément, ses pensées tellement préoccupées par l’autre idiot qu’elle en avait rêvé.

Mais ça n’expliquant toujours pas ce qu’elle foutait ici, dans un paysage digne des contes de la crypte ?

Comment elle était arrivée là ?

Et sa mère, elle allait paniquer si elle ne la trouvait pas chez Raph’ !!

Elle se sentit suffoquer, l’odeur entêtante de l’eau croupie et de la végétation pourrissante lui tapissant le palais et la panique s’infiltrant dans ses membres, créant des tremblements qui se superposaient aux frissons. Elle essaya de se lever, mais son corps ne répondait plus au centre de commande.

-Calme…. Calme…

Elle inhala doucement, pour exhaler très lentement, comme si elle soufflait sur une bougie en ne cherchant pas à l’éteindre. Répétant l’exercice, elle se força à fermer les yeux, bloquant une source d’angoisse de son esprit.

Après tout, c’était peut-être juste un rêve. Très réaliste, certes, mais rien qu’un rêve….

Après plusieurs minutes, elle rouvrit les yeux, un très mince filet d’espoir ancré en elle de se retrouver à son point de départ…

Un sanglot étouffé se mêla au cri de frustration qu’elle ne put retenir.

Évidemment, quelle conne !! Ça ne pouvait pas être aussi facile ! Et pourquoi a-t-elle seulement essayé de se convaincre du contraire, alors qu’elle tremblait toujours de froid et luttait contre la nausée à chaque respiration !

Elle sentit son corps perdre toute énergie, alors qu’elle frappait le sol boueux de ses poings noués.

Pourquoi ?

Pourquoi ça tombait toujours sur elle ?

- Mademoiselle ? Mademoiselle !!

Ses yeux hagards se relevèrent d’un coup, ses membres s’enroulant autour d’elle-même. Elle balaya les environs du regard à toute vitesse, incapable de se concentrer réellement sur l’endroit d’où venait la voix.

Elle était foutue, se dit-elle, en échouant encore à faire obéir ses jambes à l’ordre le plus primaire qui soit : fuir.

Elle perçut enfin une silhouette émergeant de l’eau, au bord du lac : un visage assez rond et bonhomme qu’encadraient de longs cheveux noirs, comme les siens.

L’homme semblait immergé dans l’eau, seul son torse nu visible de là où elle était : il lui souriait et la regardait d’un air rassurant.

Sans savoir pourquoi, les mots les plus idiots qu’elle pouvait sortir franchirent la barrière de ses lèvres.

- Vous êtes sûr que c’est une eau suffisamment saine pour vous baigner ?

La personne concernée écarquilla les yeux de surprise pendant quelques secondes avant d’éclater d’un rire franc et clair.

Lyra l’observa, les membres à nouveau détendus, ce bruit familier et rassurant semblant faire s’évaporer la tension qui s’était installée dans chacune de ses cellules.

Elle avait vraiment dit ça ?

Elle sentit une bulle monter en elle, à mesure que le ridicule de ce qu’elle avait dit s’installait.

Paumée dans un endroit lugubre et inconnu, gelée, paralysée par la panique, et elle trouvait le moyen de dire une telle ânerie à la première créature capable potentiellement de l’aider ?

Un sourire gêné se dessina peu à peu, se muant en un rictus alors qu’elle se mit à ricaner, le son mêlant soulagement, frayeur et dérision.

Leurs deux rires résonnèrent à travers le paysage désolé, et Lyra sentit sa peur refluer peu à peu. Au moins, elle n’était plus seule, aussi étrange que pouvait être sa nouvelle connaissance…

- Le sourire vous va bien mieux au teint, mademoiselle.

La voix grave de son interlocuteur brisa la vague de ses pensées, et, ses membres répondant enfin à sa volonté, elle entreprit de se rapprocher de la rive.

- Lyra, je m’appelle Lyra. De là d’où je viens, Mademoiselle n’est plus utilisé que par les personnes âgées, et vous n’avez pas l’air de rentrer dans cette case, dit-elle d’un ton léger, qui masquait moyennement les restes d’anxiété à mesure qu’elle le voyait plus clairement.

Cet… individu semblait rester à la surface sans s’accrocher à quoique ce soit… puisque ses mains étaient elles aussi sous l’eau…

- Vous... vous êtes quoi au juste ? rajouta-t-elle alors qu’elle avait enfin atteint sa destination et qu’elle s’agenouillait devant lui.

Il esquissa un sourire malicieux: ouf, elle ne l’avait pas offusqué…

- Il semblerait que vous n’ayez pas révisé vos leçons sur les contes et légendes, Lyra. Je suis un triton.

Lyra plissa les yeux, se remémorant le vaste catalogue de livres qu’elle avait lu sur le sujet… c’est-à-dire aucun. Le fana de fantasy, c’était Raphaël : elle ne détestait pas le genre, mais elle préférait largement les romains policiers. Elle lui avait d’ailleurs fait une sacrée fleur en acceptant de bosser sur ce sujet pour leur option…

A force de se répéter le nom, elle eu un flash et frappa son poing droit dans la paume de sa main, un grand sourire aux lèvres.

- Mais oui, vous êtes une sirène-mâle en gros !

Elle sentit le visage de la créature se crisper en un sourire forcé, et se rendit compte de sa bourde.

- Oh… euh…. Je suis vraiment nulle sur tout ce qui est créatures magiques, désolée, vraiment, je…, balbutia-t-elle en ne sachant plus où mettre les yeux.

- Ce n’est pas grave Lyra… Nous sommes cousins, il est donc normal qu’on nous confonde, mais nous avons notre fierté de mâle donc faites attention la prochaine fois !

Elle hocha la tête, étudiant de nouveau le visage du triton : à bien y regarder, la texture de sa peau semblait rugueuse, comme couverte d’écailles.

- J’en déduis que vous ne connaissez pas cet endroit…, affirma-t-il sans détourner le regard.

- Non, je… je crois que quelque chose m’a transporté ici. Ça ne ressemble en rien à mon monde, ajouta-t-elle dans un murmure.

Si la glace avait été brisée, sa situation n’avait pas changé pour autant : perdue et seule humaine dans un monde inconnu et clairement habité par des créatures spéciales. Le semblant de normalité venait de s’évaporer, l’incertitude voilant l’azur de ses yeux.

Le triton recula avec un sourire doux, agita sa queue avec grâce sous l’eau pour faire un tour sur lui-même, les bras étendus et désignant ce qui les entourait.

- Alors, bienvenue au plus grand lac d’Aevalien ! C’est la résidence de nombreuses créatures aquatiques, et malgré l’ambiance un peu pesante aujourd’hui, je vous promets que l’eau est pure et le paysage bien plus agréable d’ordinaire, parole de triton !

L’air théâtral de la créature lui fit hausser les épaules de dépit alors qu’un sourire sans joie s’esquissait sur ses lèvres.

- C’est bien ma veine, de débarquer le mauvais jour…

- Rien ne vous empêche de r…., commença-t-il avant de pousser un cri de surprise étouffé.

Une silhouette féminine avait soudain surgi de l’eau avec grâce, éclaboussant au passage son interlocuteur qui recracha avec mauvaise humeur l’eau qu’il avait avalé malgré lui.

- J’espère que ce malotru ne vous a pas importuné, ma chère, susurra la nouvelle venue d’une voix douce et satinée. Ses longues mèches cuivrées ondulaient tout le long de son corps, cachant avec peine la générosité de ses courbes. Son visage fin aux pommettes saillantes respirait le charme et l’élégance, ses yeux verts pétillants de malice et d’intelligence. Lyra se sentit immédiatement l’envie d’entendre davantage les accents mélodieux de sa voix.

- N...non, balbutia-t-elle, son corps penchant imperceptiblement vers l’avant.

Le triton observait la scène, son irritation palpable malgré le sourire de façade qu’il conservait. Il s’avança et s’éclaircit la gorge.

- Chère cousine, je…

La tentative d’évincer l’intruse se solda par un échec cuisant lorsqu’elle l’interrompit d’un simple regard, ses lèvres esquissant un sourire doux piqué de fiel.

Réduit au silence, le triton nagea à reculons, les épaules affaissées par la défaite et le regard rempli d’une haine apeurée.

La sirène l’ignora et redirigea son regard vers la jeune fille, dont les yeux semblaient incapables de la quitter. Insensible à la scène qui venait de se dérouler sous son nez, Lyra n’avait pas perçu l’hostilité emplir l’air, ni la lueur de victoire briller au fond des prunelles de la créature.

- Décidément, les hommes n’ont aucun tact… Nous ne serons plus dérangées…

Le visage toujours aussi charmeur et accueillant, la sirène se déplaça avec grâce, longeant la berge, observant avec amusement les yeux de sa proie chercher son visage comme un chiot esseulé.

- Pauvre humaine… Livrée à elle-même, prête à tomber dans les griffes de cet horrible triton… Nul sait quels outrages il aurait pu faire subir à ce corps délicat…

Lyra bougeait au gré de la voix, se déplaçant à quatre pattes sur le rivage en faisant des allers-retours, la tête dodelinant de gauche à droite.

Elle avait sommeil, terriblement sommeil, et le flot de paroles murmurées la berçait, apaisant ses doutes et ses peurs en lui décrivant pourtant les pires horreurs.

- Il y a fort à parier qu’il vous aurait déchiquetée sans ménagement, en commençant par arracher le cœur de votre poitrine… Quelle barbarie ! Et quelle chance que je puisse intervenir !

L’étrange danse que menait les deux femmes arriva à sa fin lorsque la sirène s’arrêta net et se colla contre la rive herbeuse, les mains tendues vers Lyra.

- Ne craignez rien, je vous protégerais….

La jeune fille quasi-inconsciente tendit à son tour son bras droit, ses genoux trempés par l’humidité de la végétation mais avançant inlassablement vers cette voix si chaude. C’était bien de la lumière, n’est-ce pas ? Elle allait bien vers un lieu sûr ?

Ses yeux vidés de conscience tressautèrent soudain, réagissant en rythme aux clapotis incessants de l’eau agitée par la frénésie avec laquelle la sirène remuait sa queue.

Ce petit bruit forma une vague qui picota d’abord son esprit engourdi. Le va-et-vient de l’eau semblait s’incarner en elle, résonnant dans ses cellules et réveillant chaque fibre.

Gagnant en puissance, elle sentit une force semblable à une source jaillir, alors que les mains froides de la sirène se refermaient sur son cou, prêtes à l’attirer dans les profondeurs sombres du lac.

Le rictus triomphant qui était apparu sur les lèvres charnues de la créature à la perspective de son repas se transforma en grimace alors qu’une onde d’énergie la frappait de plein fouet, tordant ses bras dans un craquement sinistre.

Un double cri fendit l’air, de douleur furieuse et de surprise, alors que Lyra bascula en arrière, le souffle court. Une force inconnue l’entourait, formant des cercles concentriques autour d’elle semblables à des vagues dont elle était le centre.

Les yeux hagards, elle croisa le regard de la tentatrice, dont la beauté semblait avoir disparu derrière la haine qui déformait son visage. Lyra remarqua soudain les dents acérées que laissait apparaître sa bouche ouverte de douleur, la peau écailleuse et les branchies qui striaient son cou, les doigts semblables à des griffes qui s’étaient tordus sous la force de l’impact…

Son corps obéissait enfin à ses ordres, son esprit clair comme de l’eau d’une source : elle bondit à toute allure, ignorant les cris haineux de la créature qui la maudissait à gorge déployée, et se mit à courir de toutes ses forces vers la forêt, la brume épaisse engloutissant sa silhouette gracile.

Suivant l’afflux d’adrénaline, Lyra laissa ses jambes la guider, ses poumons brûlant sous l’effort.

Elle avait envie de rire.

De pleurer.

De hurler.

De se terrer dans un coin et de ne plus jamais sortir.

Son corps entier était semblable à un arc, tendu par le stress et la peur, prêt à décocher à la moindre secousse.

Le bruit de l’eau semblait la suivre, alors elle accéléra, la peur servant de combustible à ses muscles douloureux. Au bout de plusieurs minutes, même ce carburant ne suffisait plus à tenir l’effort, et elle s’effondra sur le sol herbeux, sa tête frôlant le tronc noueux d’un arbre qu’elle n’avait pas vu entre la brume et les larmes.

Hoquetant et suffoquant, elle n’arrivait même pas à libérer les sanglots qui s’entrechoquaient dans sa poitrine, son corps glacé parcouru de frissons.

Et à part risquer de mourir, qu’était-elle censée faire maintenant ?


Texte publié par Mimisao, 22 octobre 2022 à 22h47
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