Si il adorait être en forêt, Raphaël n’était pas pour autant doué pour s’orienter… Et il semblait que ses nouveaux pouvoirs magiques ne faisaient rien contre son piètre sens de l’orientation.
Il estimait à deux heures le temps passé depuis son départ, et cela lui avait semblé une éternité...Peut-être qu’il aurait du retenter l’expérience en visualisant la salle où se trouvait le faune et la fée ? Ça aurait été moins galère…
Il secoua la tête vivement : à quoi bon les bonnes résolutions si c’était pour les jeter au bout de deux heures ? De la volonté, Raphaël, de la volonté, se motiva-t-il intérieurement.
Autant en profiter pour observer de plus près ce nouveau monde, maintenant qu’il avait du temps, et pas de faune aigri pour le presser.
La flore était luxuriante, et il sentait qu’il n’aurait jamais pu voir autant de nuances de verts dans sa vie sans être ici. Il n’osait pas toucher les différentes plantes sans les connaître, mais certaines ressemblaient énormément à celles qu’il pouvait trouver près de chez lui : il lui avait semblé reconnaître une sorte d’ortie, et des orchidées sauvages qui amenaient une touche de couleur parmi cette marée émeraude.
Il entendait plus que voyait les insectes, et le cours d’eau qu’il suivait abritait en son lit des poissons. Il profita d’une pause pour écouter le chant des grenouilles et observer les papillons qui voletaient. Et si il n’était pas aussi inquiet de rejoindre un semblant de civilisation avant la nuit tombée, il serait bien resté là, baignant dans cette ambiance sereine.
Un frémissement derrière lui le fit sursauter, et il distingua un mouvement vif dans les buissons, accompagné d’un grognement rauque.
Il se plaqua derrière le tronc de l’arbre le plus proche de lui, jetant un coup d’œil furtif : il n’avait encore pas rencontré un seul mammifère, et l’idée ne l’enchantait guère de toute façon. Un animal qui se sentait menacé ou dont on perturbait l’environnement n’était en général pas bon signe…
Il aperçu soudain la source des bruits : une créature à la fourrure fauve tachetée de blanc. La bête ressemblait à un renard par sa corpulence, mais la présence de bois sur sa tête semblait indiquer un cervidé. Tapie dans des buissons, les gémissements qu’elle poussait fendaient le cœur de Raphaël autant que cela l’inquiétait : de toute évidence, la créature avait été la proie d’un prédateur, et sa présence ici risquait bien de l’attirer pour qu’il puisse finir le travail…
Il ne parvenait pas à distinguer l’endroit où elle avait été blessée, et était tiraillé entre l’envie d’approcher et la crainte de s’exposer.
Une série de bruissements secoua la quiétude de la forêt, mettant ses sens et ceux de la créature en alerte. Celle-ci repris sa fuite, et Raphaël chercha désespérément la source de la menace. Mais aucune ombre, aucune masse imposante n’entrait dans son chant de vue. Un sifflement aigu fendit l’air, et un rugissement de douleur résonna en même temps qu’un bruit d’impact sourd.
Une flèche…
Raphaël ne savait pas quoi faire, cet objet représentant une source d’espoir et de tristesse à la fois, la pauvre bête agonisant à quelques mètres de lui.
Devait-il se faire connaître ? Les suivre discrètement ?
Des rires joyeux se rapprochaient, accompagnés de sifflements admiratifs. Un groupe de 3 jeunes hommes apparut bientôt dans le champ de vision de Raphaël, le détenteur de l’arc au centre de l’attention. Leur peau avait une teinte cuivrée, et ils étaient tous habillés de tuniques brunes ornées de spirales vertes et bleues, leur cou orné d’une lanière de cuir ornée de pierres colorées. Ce n’est que quelques instants plus tard qu’il se rendit compte qu’ils avaient tous des oreilles semblables à celle d’animaux de différentes formes. Un semblait arborer des oreilles de félin, un autre des oreilles plus proches d’un berger allemand, et le dernier….. Des plumes ?
Il retint son souffle, le doute l’assaillant toujours. Les humains lambdas étaient-ils monnaie courante dans ce monde ? Il tenta de se remémorer les instants passés dans la grande ville, mais il ne lui semblait pas avoir vu quelqu’un qui lui ressemblait… Et puis, ses fringues faisaient tâche : son jean et son sweat-shirt à capuche Zelda juraient face à l’aspect traditionnel de leurs tuniques. Il avait l’impression d’être tombé dans l’univers de Lucky Luke, au milieu d’une tribu d’indiens.
Les trois jeunes ramassaient leur prise, le sourire aux lèvres, tapant l’archer dans le dos pour le féliciter. Raphaël se dit une chose en voyant cette scène : la mort de cet animal ne se ferait pas en vain. Rejetant ses doutes, il attendit qu’une distance raisonnable s’établisse entre lui et les…. Animoreillés pour se mettre en marche, priant intérieurement pour passer inaperçu et atteindre un endroit où il se sentirait au moins un peu en sécurité.
Une heure plus tard, il remarqua enfin que le nombre d’arbres diminuait, indiquant qu’il se rapprochait d’une clairière, ou mieux, d’un potentiel village. Il se sentait épuisé après tant de concentration, le moindre pas lui ayant demandé une vigilance accrue pour ne pas se faire repérer. Il avait a priori réussi, les trois hommes-bêtes parlant et riant avec animation. La forêt continuait à s’éclaircir, et le léger brouhaha qui lui arrivait aux oreilles déclencha un double sentiment qui le figea sur place, amplifié par le fait que deux des chasseurs faisaient de grands signes de main en montrant le cadavre de la créature.
C’était le meilleur scénario qui se déroulait : un village, assez grand de ce qu’il arrivait à distinguer. Un lieu où il pourrait être en sécurité, où il pourrait peut-être avoir des informations pour rejoindre le QG de la fédération féerique. Il se sentait rassuré, mais une panique commençait à s’installer, les mêmes questions qui l’avaient assailli un peu plus tôt revenant sur le devant de la scène.
Comment allait-il se présenter ? Et si ils étaient hostiles ?
La voix de Lyra interrompit le flot houleux de craintes, tel Jiminy Cricket : arrête de supposer, arrête de ressasser.
Il tapota ses joues, espérant remettre de l’ordre dans ses idées. Et si il observait les lieux d’abord, avant de dramatiser ?
Il se mit en route, bien attentif à rester à l’ombre de la forêt pour se laisser le temps de mener son enquête.
Le village était plus grand qu’il ne le pensait, et il fut surpris de ne pas voir de tipis ou de huttes… Pas fier d’avoir préjugé de tomber dans un village direct sorti d’un western, il présenta des excuses mentales aux habitants, et s’émerveilla peu à peu du dynamisme du lieu. Les maisons étaient construites de manière concentrique autour d’une grande place où trônait une fontaine et une tonnelle fleurie qui surplombait une sorte d’estrade. La place en elle-même était ceinturée d’arbres, et Raphaël pouvait apercevoir des enfants jouer à cache-cache, sous les yeux des adultes qui conversaient assis sur le rebord de la fontaine.
Les maisons lui faisaient penser à celles des villages provençaux, avec leur volets peints de couleurs vives et la blancheur des pierres calcaires sous la lueur du soleil. Certaines maisons en pierre de taille, plus imposantes, se démarquaient dans le paysage : sûrement des bâtiments officiels ou la résidence de personnages importants, songea-t-il.
Les rues étaient animées, et il retrouva même le groupe de jeunes gens assis à une sorte de taverne, célébrant leur prise.
Il continuait à se dire qu’il s’était trompé sur le compte de ce peuple : la plupart des habitants ne ressemblaient pas à des indigènes tatoués… Les femmes semblaient porter essentiellement des robes aux couleurs unies resserrées à la taille, au col carré et souvent recouvertes de tabliers ou de châles. Il aperçut à nouveau des motifs floraux ou géométriques brodés sur les manches ou le col, mais le tout restait discret. Il retrouva la même combinaison tunique-pantalon surtout chez les hommes, mais avec bien moins d’extravagance dans les couleurs et les motifs.
Ahlala, l’adolescence et le besoin de se faire voir…
Ses doutes se confirmaient par contre : pas la trace d’un humain classique dans les environs… Des humains à oreilles d’animaux, des fées et des espèces de lutins composaient l’essentiel de la population de ce grand village : son ventre se tordit à l’idée de se faire voir, mais il ne voyait aucune autre solution viable pour rejoindre son objectif.
Le ciel commençait à prendre une teinte orangée, adoucissant l’atmosphère ambiante à mesure que les rues animées se vidaient lentement, les fenêtres encore entrouvertes des maisons laissant échapper des effluves de feu de bois et de plats mijotés.
Le grondement de son estomac rappela à Raphaël que son dernier repas remontait à près de vingt-quatre heures, et le yo-yo émotionnel qu’il avait vécu depuis s’en retrouvait amplifié, un picotement naissant au coin de ses yeux en même temps qu’un nœud au niveau du plexus solaire.
Tu vas pas laisser tomber maintenant, se dit-il en sortant de son refuge buissonneux.
Il rabattit sa capuche sur sa tête, et refit mentalement le chemin qu’il avait repéré pour atteindre ce qu’il supposait être la maison du chef.
Après avoir inspiré un grand coup, il se lança dans les ruelles, en essayant à la fois de paraître le plus naturel et le plus discret possible… Ce qui lui parut bien vite totalement débile et infaisable.
Et de toute façon, vu le monde dans les rues, il s’était encore pris la tête pour rien. D’ailleurs, cela lui laissait une drôle d’impression, ce passage d’un village fourmillant de vie à un lieu déserté sitôt le crépuscule venu…
Tournant à droite au croisement, il se retrouva dans ce qui devait être l’artère principale, où encore une demie-heure plus tôt, les étals débordaient de fruits et légumes et les gens discutaient avec animation. Profitant du calme presque lourd, il continua jusqu’à la plus grande des demeures du village, légèrement isolée des autres. Il sentit une pointe de soulagement en apercevant une espèce de plaque apposée à côté de la porte, qui faisait très « officiel ».
Pourvu qu’il ne se soit pas trompé…
Il porta une main hésitante au heurtoir, et reprit une grande inspiration avant de frapper. Les secondes lui semblaient être des heures, et alors qu’il se demandait si il devait à nouveau se faire connaître, la lourde porte en bois s’ouvrit, le baignant dans une lumière chaude et presque éblouissante.
Ses prunelles vertes s’écarquillèrent de surprise en observant son interlocuteur : devant lui se trouvait un homme plutôt âgé, à en juger les rides qui ornaient le coin de ses yeux et de sa bouche, mais qui semblait robuste. Il faisait facilement deux têtes de plus que Raphaël, et la largeur de ses épaules lui donnait une présence imposante. Ses oreilles étaient tigrées, et auraient pu lui donner un air féroce sans la lueur douce brillant dans ses yeux marrons.
La confusion laissa peu à peu place à un mélange de soulagement et de gêne, le jeune homme ne sachant pas comment démarrer la conversation.
- Bo...bonsoir, je…. Désolé de vous déranger, mais…., balbutia Raphaël, ses yeux vissés sur ses doigts qui se tordaient les uns les autres.
La porte s’ouvrit un peu plus grand, alors que la silhouette s’écartait, lui mentionnant silencieusement de rentrer.
Raphaël baissa la tête et s’exécuta sans un bruit, sentant la tension qui l’animait s’évanouir à mesure que la chaleur du feu de cheminée envahissait ses membres.
Il suivit le propriétaire des lieux alors qu’il le guidait dans la pièce principale, lui indiquant d’un coup de tête un des fauteuils.
Le jeune homme se laissa tomber dedans, un long soupir tremblotant s’échappant de ses lèvres : il avait l’impression que ses épaules pesaient une tonne et que ses batteries étaient à plat.
Il leva des yeux hagards quand une femme aux oreilles de lynx déposa un verre et un pichet d’eau fraîche sur la table basse qui se trouvait devant lui. Elle lui sourit avec douceur et l’encouragea du regard à se servir, ce qu’il fit avec une lenteur déconcertante, ses muscles criant de crispation.
La fraîcheur de l’eau lui fit presque mal, tant il avait négligé ce besoin primaire, mais la sensation de l’eau glissant dans sa gorge lui fit un bien fou. Ce n’est qu’en reposant le verre qu’il sentit une trace humide sur son visage.
Le couple habitant la maison s’était assis en face de lui, toujours sans un mot, le couvant du regard alors que les larmes continuaient à rouler sur ses joues, sans un sanglot.
L’homme n’avait plus cet aspect imposant, alors qu’il avançait un mouchoir brodé à Raphaël, qui s’en saisit lentement, les yeux brillant de larmes et de gratitude.
Après quelques minutes, ce dernier sortit de sa transe, la chaleur qui irradiait de l’âtre et des deux personnes assises en face de lui achevant de chasser ses doutes.
Une voix grave mais chaleureuse brisa enfin le silence.
- Bienvenue au village des Mikeno. Je suis Riastel, le chef de cette communauté, et voici Karula, mon épouse.
Cette dernière lui fit un sourire en baissant la tête avec élégance.
- Enchanté… Je m’appelle Raphaël, et je… je ne suis pas d’ici...
Riastel sourit légèrement en haussant les yeux avec espièglerie à l’évidence que venait de sortir son invité.
- Rassure-toi, il ne t’arrivera rien dans ce village. Les humains sont les bienvenus sur le territoire de la fédération, et nous ne faisons pas exception.
Un « ouf » de soulagement retentit dans la pièce en même temps qu’un grognement, faisant rire Karula et rougir le pauvre Raphaël qui ne savait plus où se mettre. Décidément, il cochait toutes les cases de l’impolitesse depuis son entrée.
- Je crois qu’il est temps de se mettre à table ! dit-elle en se levant, son mari lui emboîtant le pas.
- Tu es notre invité pour autant de temps que tu le voudras Raphaël… Mais j’ai le sentiment que tu es pressé d’accomplir quelque chose.
Le jeune homme se leva à son tour, les joues encore légèrement rosies de gène, mais le regard clair et dénué de nuages.
- Merci pour votre accueil, mais je dois rejoindre le siège de la fédération le plus tôt possible… Mais je ne serais pas contre en savoir plus sur votre univers !
Riastel hocha la tête, le mouvement de ses oreilles marquant son approbation : les humains étaient frêles, vivaient moins longtemps qu’eux, et n’avaient pas l’air de savoir faire grand-chose de leurs dix doigts, mais il savait reconnaître du potentiel quand il en voyait. Et visiblement, ce petit bout d’homme ne manquait ni de courage ni d’envie d’apprendre.
- Vous pourrez discuter de tout ça en mangeant, la soupe est en train de refroidir, cria Karula depuis l’autre bout de la pièce alors qu’elle déposait une troisième assiette sur la table.
- Pardon… hum…. merci ! s’écria Raphaël en se dépêchant de rejoindre la table.
Le rire franc du chef des Mikeno acheva pour de bon de briser le glace, alors qu’il prenait place à son tour : le repas promettait d’être amusant.
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