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tome 1, Chapitre 4 « Surcharge » tome 1, Chapitre 4

Lyra venait de se resservir de la glace pour la quatrième fois depuis deux heures, et était en train de réduire l’espérance de vie du tapis qui ornait le sol de sa chambre en faisant les cent pas.

Elle mettait également sa jeune peau à rude épreuve en fronçant plus que de raison ses sourcils, et en serrant fermement sa mâchoire.

Bref, Lyra était en colère, et comme bien souvent, la source en était Raphaël, qu’elle attendait depuis trois heures maintenant.

Bon, une heure de retard avec lui, cela arrivait régulièrement, et en général, il prévenait. C’était de toute façon toujours la même chose : il ne s’était pas réveillé parce qu’il avait lu ou joué une bonne partie de la nuit, ou il n’avait pas vu l’heure passer parce que trop captivé par sa partie.

Mais qu’il ignore tous ses appels, sur le fixe et le portable, et qu’il la fasse poireauter autant, c’était une première. Elle pouvait tirer un trait sur leur séance de cinéma du samedi, mais elle était bien décidée à lui dire le fond de sa pensée.

Elle se saisit de son sac bariolé, y enfourna son téléphone, son portefeuille ainsi qu'une petite bouteille d’eau et descendit les escaliers d’un pas lourd.

De toute façon, sa mère était au travail et ne rentrerait pas avant 20h, alors autant qu’elle évacue sa colère d’une manière ou d’une autre... Et là, elle se sentait l'âme d'un éléphant dans un magasin de porcelaine.

Elle griffonna à la hâte un mot sur le frigo pour la prévenir de sa sortie en plus du SMS envoyé cinq minutes plus tôt, soucieuse de ne pas générer un stress inutile, et sortit de la maison après avoir enfilé ses baskets.

Le temps était dégagé, et le soleil rendait la façade blanche du petit pavillon un peu trop éblouissante à son goût, la faisant plisser des yeux lorsqu'elle jeta un œil pour vérifier que toutes les fenêtres étaient bien fermées.

Un dernier coup d’œil à leur petit jardin pour être sûre… Elle allait sûrement se faire un peu d’argent de poche prochainement en tondant la pelouse, songea-t-elle en regardant la hauteur de l’herbe.

Ses yeux passèrent sur la vieille balançoire, ses lèvres esquissant un léger sourire qui ne se reflétait pas dans ses prunelles. Elle détourna vite le regard et s’avança vers le petit abri de jardin pour se saisir de son vélo et de son casque. Une fois équipée, elle vérifia une dernière fois son téléphone avant de franchir le portillon et de le refermer derrière elle.

Si Raphaël la voyait, il aurait sûrement un sourire en coin et la traiterait de flippée de la vie… Mais il n’était pas là, donc elle s’asseyait royalement sur son avis. Elle le savait parfaitement, qu’elle en faisait trop : elle n’avait besoin de personne pour avoir conscience de ses failles et de cette plaie béante que rien ne comblait…

Elle monta sur son vélo et se lança sur la route, les yeux rivés droit devant elle.

Malgré ses efforts pour rediriger ses pensées sur un autre sujet, elle se sentait dériver vers les souvenirs qu’elle avait de son père, installant cette balançoire pour elle, lui apprenant à utiliser un appareil photo et lui racontant tous ses voyages.

Parfois, la vue même de cette maison lui était insupportable, tant sa présence était imprimée dans chaque espace. Et pourtant, elle ne s’imaginait quitter cet endroit pour autant, craignant de trahir sa mémoire.

Tel était le statu quo pourri dans lequel elle vivait depuis six ans, maintenant la façade au mieux parce qu’elle n’était pas la seule à souffrir de cette situation. Sa mère jouait au même jeu qu’elle, mais elle n’osait jamais lui en parler.

Que dirait-elle si Lyra lui disait que parfois, elle préférerait que son père soit mort plutôt que disparu, pour pouvoir faire son deuil et cesser de cultiver cet espoir de le revoir ?

Que dirait-elle si elle lui avouait qu’une part d’elle était impatiente de rentrer à l’université pour s’éloigner d’elle, de ces souvenirs pour tenter de construire quelque chose, n’importe quoi mais quelque chose à elle ?

L’intensité de ses pensées la fit forcer un peu plus sur les pédales, la frustration guidant son être. Comment pouvait-elle être chose ? Autre chose que constamment inquiète, terrorisée à l’idée de perdre quelqu’un ? Qu’est-ce qu’elle y pouvait, hein ?

Le paysage champêtre défilait sous ses yeux sans qu’elle le voit à mesure qu’elle se rapprochait de sa destination, les vergers bourgeonnant et emplissant l’air d’un parfum doux.

La petite départementale sur laquelle elle roulait était ombragée et calme pour un samedi après-midi, et habituellement, elle aurait apprécié la ballade…Mais quelque chose tournait en rond en elle, remuant tout ce qu’elle s’efforçait de cacher au quotidien.

Elle devait faire quelque chose contre ça…

Quelque chose.

N’importe quoi…

Accélérant davantage, elle se mit en danseuse sur son VTT et se mit à crier à pleins poumons, une forme de rage parcourant ses membres. Ses muscles tiraient à force de rouler à ce rythme effréné, le nœud dans sa poitrine lui donnant l’impression de ne pas réussir à respirer.

Et pourtant, elle arrivait à hurler sa colère et son impuissance à la face de cette route déserte, comme elle n’avait jamais hurlé. Elle sentait qu’elle aurait pu continuer ainsi indéfiniment, les larmes roulant une à une sur ses joues, atterrissant sur la bride de son casque.

Un sentiment de gêne surgit à l’idée du spectacle qu’elle pourrait représenter si des voitures passaient par là, et elle s’excusa à la faune environnante pour le dérangement…

Et merde, pour une fois, peu importe les autres, s’indigna-t-elle en reprenant son souffle.

Les tremblements des ses muscles la ramenèrent à la raison, sa gorge desséchée la faisant grimacer de douleur. Elle signifia sa volonté de tourner en tendant sa main droite et s’engagea sur un chemin familier, puisque emprunté des milliers des fois depuis sa rencontrer avec Raphaël. Une dernière poussée sur les pédales, et elle s’arrêta proche de la rivière dans laquelle ils se baignaient tous les étés. Son vélo posé contre le tronc d’un arbre, elle se laissa tomber au sol et sortit sa bouteille, engloutissant la moitié du contenu.

Elle se sentait épuisée. Remuer cet amas de souvenirs douloureux l’avait drainée de son énergie et, elle devait l’avouer, mis un coup dans une estime de soi déjà bien entamée.

La Lyra que tout le monde voyait était une élève sérieuse, une adolescente responsable soucieuse du bien-être de tous, qui ne faisait pas vraiment de vague. Et pourtant, elle portait cette colère en elle, cachée au plus profond d’elle-même, cette envie de tout envoyer balader et de faire péter en mille morceaux cette façade.

Des fois, elle ne savait plus qui elle était. Peut-être qu’elle ne l’avait jamais su.

Un tambour tapait dans sa tête, son cœur envoyant encore du sang à toute vitesse dans son organisme suite à sa course effrénée. Elle ferma les yeux et s’allongea dans l’herbe, ses oreilles tendues sur le bruit du cours d’eau pour essayer de redescendre en tension. Au bout de quelques minutes, elle sentit son pouls se ralentir et sa température redescendre.

Son esprit n’était pas forcément plus calme, et ses doutes et ses questions continuaient à tourner en arrière-plan, elle le sentait. Et ça l’énervait. Et elle ne pouvait rien y faire.

Lâche l’affaire, Lyra… Ça a pété, et pas sur quelqu’un, c’est cool… Y’a sûrement des choses à faire, mais là, c’est pas le plus important…

Elle remua ses jambes, grimaçant en sentant la tension musculaire.

Et pis, t’as pas trop le jus pour y réfléchir comme il faut.

Elle se releva pour finir sa bouteille, et se rallongea pendant quelques minutes pour recharger son énergie encore un peu, et achever de calmer ses émotions.

Elle remonta sur son VTT et poursuivi sa route tranquillement durant quelques minutes, et pénétra dans le lotissement où vivait son meilleur ami.

Raphaël avait intérêt à avoir une bonne excuse pour l’avoir fait se déplacer, se dit-elle.

Bon, elle devait reconnaître que le voyage jusque chez lui avait été un bon défouloir : ça valait bien de le pourrir un peu moins que prévu !

Elle s’arrêta enfin devant un petit pavillon dont la façade était en partie recouverte par du lierre. Sortant son trousseau de clé, elle ouvrit le portillon et rangea son vélo contre le muret. Décidément, suggérer d’avoir un double des clés avait été une bonne idée : elle ne regrettait pas d’avoir insisté l’été dernier lorsque la mère de Raphaël avait annoncé qu’elle partait pour un déplacement professionnel. Il n’avait que seize ans, et n’était pas le plus dégourdi quand il s’agissait de prendre soin de lui-même. Il avait râlé qu’il n’avait pas besoin d’une baby-sitter, mais il avait été bien content quand il s’était retrouvé enfermé dehors parce que cet idiot avait oublié ses clés dans son casier au lycée….

Elle soupira et retenta une dernière fois de l’appeler sur son portable, pour avoir le même résultat que la douzaine de fois précédentes.

- J’te jure, si je choppe un ulcère, tu vas payer mes frais médicaux pour le reste de ta vie…., maugréa-t-elle en enfonçant la clé dans la porte.

Les lumières étaient éteintes, et visiblement, il n’avait pas daigné faire la vaisselle de la veille. La poubelle méritait aussi d’être sortie, et après un coup d’oeil à la pièce à vivre, elle commença à faire la liste des choses qu’elle allait lui faire faire quand elle lui aurait mis la main dessus….

- Raph’ !! Sors de ton trou !! cria-t-elle, avec pour seule réponse le silence.

A tous les coups, il s’était endormi après avoir geeké toute la nuit….

Son âme d’éléphant dans un magasin de porcelaine ressurgit alors qu’elle grimpait deux à deux les marches de l’escalier, la lourdeur de ses pas résonnant dans la maison vide. Elle tendit l’oreille en passant devant la salle de bain, au cas où il était sous la douche : toujours rien.

Cela devenait oppressant, son angoisse devenant difficile à gérer à mesure que le nombre de possibilités de le retrouver s’amenuisait. Qu’est-ce qu’il foutait, bon sang ?

Elle arriva enfin devant sa chambre, porte fermée. C’était le dernier endroit où il pouvait se trouver, téléphone éteint. Elle prit une grande inspiration et ouvrit d’un coup, pour se retrouver face à face avec la console allumée sur un RPG dont elle avait oublié le nom, la manette jonchée sur le sol. La couette portait la trace de sa silhouette, ses baskets en vrac près de sa table de nuit.

Il était donc bien ici, sans y être ?

- Reste calme, Lyra… Reste calme…

Elle l’appela à nouveau, ouvrit chaque porte de la maison, passa le petit jardin (qui au passage ressemblait plus à une jungle qu’autre chose) au peigne fin.

Rien.

Si il était sorti, c’était pieds nus, puisque les deux seules paires de chaussures qu’il possédait étaient là. Et il fallait se rendre à l’évidence, aucune fichue trace même infime de son meilleur ami. Elle sentit la boule d’angoisse revenir, toute logique s’évaporant de son cerveau, figée devant l’écran fixe de la télé. Il était en mauvaise posture sur ce combat, pensa-t-elle, son soigneur était mort et le boss avait encore la moitié de sa vie….

Mais à quoi elle pensait, là ? Il fallait appeler la police, prévenir quelqu’un, faire quelque chose !

Elle sortit son téléphone pour appeler sa mère par réflexe.

Au bout de cinq sonneries, elle poussa un soupir de soulagement en entendant la voix familière.

- M’man, Raph’ a disparu, la maison est vide, qu’est-ce que je fais, qui je…

- Lyra, inspire un grand coup…

La jeune fille prit une seconde pour s’exécuter, et relâcha sa respiration au moment où sa mère lui indiqua.

- Maintenant, reprends depuis le début, s’il te plaît. Que se passe-t-il ?

Lyra lui raconta l’essentiel, son esprit plus paisible à mesure que ça mère l’encourageait avec douceur.

- Tu as réessayé de le rappeler ?

Son regard se posa sur le lit, où le vieux Nokia reposait.

- Son téléphone est ici, ça sert à rien.

- Écoute, appelle sa mère pour la prévenir, et reste sur place au cas où il revienne. Je vais voir pour sortir plus tôt du boulot et je te rejoins. On fera le tour du quartier si besoin.

Lyra hocha la tête, et raccrocha après avoir demandé pardon à sa mère pour le dérangement. Elle chercha le numéro de la mère de Raphaël et laissa un message lui demandant de la rappeler au plus vite.

Sa tête tourna d’un coup. Elle n’avait plus de jus et s’affala sur le sol, son dos contre le lit. Sa tête bascula en arrière, le regard fixé sur le plafond blanc. Elle n’était pas toute seule, ils allaient le retrouver. Tout allait s’arranger, hein ? Ses yeux se fermèrent à mesure que la panique s’évanouissait, remplacée par un sentiment intense d’épuisement.


Texte publié par Mimisao, 19 août 2022 à 23h42
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