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« − Holly, j’ai entendu des pleurs, pas toi ?

− Non. Gwen il n’y a personne. »

Je suis certaine pourtant de l’avoir entendu. Il faut que j’aille voir, car je connais ces pleurs. Enfin je crois, ils agitent un souvenir enfoui. Je ne veux pas me rappeler. Avant tout, j’ai besoin d’être sûr de ce que j’ai entendu!

Cette sortie me rend nerveuse, déjà parce que l’urbex est illégal et qu’il va falloir que j’affronte une très grande peur. Évidemment, je ne peux pas révéler où nous sommes. J’ai accepté d’accompagner Holly, car c’est elle, personne d’autre n’aurait pu réaliser ce tour de force. Puisque nous sommes devant un hôpital abandonné, je ne devrais pas entendre de pleurs encore moins ceux-là. Mes expériences passées dans ces lieux ne sont pas réjouissantes et elle génère un stress intense chez moi. Pourtant, une petite part de moi veut progresser. Alors j’ai suivi Holly jusqu’ici.

Nous sommes face à un complexe de bâtiments dévorés par la végétation, par endroit le toit est effondré. De l’extérieur, ce lieu dégage beaucoup de charme. Cela ne suffit pas pour calmer l’appréhension que je ressens à l’idée de rentrer dans ce vieil hôpital. J’ai les mains moites, le cœur un peu trop agité et mes sens sont tellement aux aguets que je sursaute pour un rien. Et puis, on ne sait jamais ce qui peut traîner dans ces lieux oubliés de tous. Les légendes urbaines regorgent d’histoires sur ce genre de lieux.

Un sursaut me surprend, encore une fois. Cette fois, c’est sûr, je n’ai pas rêvé les lamentations sont réelles. Elles viennent du petit bâtiment excentré qui se situe à quelques mètres de moi.

« − Holly, allons voir là-bas. C’est plus petit, pour commencer c’est suffisant.

Malgré mon stress et appréhension qui me ronge l’esprit, je désigne le local bas, couvert de lierre sans feuilles. Il fait partie du complexe hospitalier sans être un élément principal, donc je pense que le risque de découvertes malaisantes est moins élevé. Mon amie hoche la tête.

« − Commençons, par là si tu veux, ni nous parvenons à y entrer. Je n’entends toujours rien, en allant par là, nous en auront le cœur net. Par contre, interdiction de forcée la porte. Nous sommes peut-être déjà dans l’illégalité, pourtant les explorateurs urbains ne fracturent pas les lieux pour leur visite. Ils se contentent de passer par des chemins détournés si besoin.

J’acquiesce : ce n’est pas moi qui vais forcer une serrure de toute manière, je ne sais pas faire. Arrivées devant la porte, j’hésite. Mon cœur cogne. Holly me serre la main bien fort.

« −Je suis sûr que tu peux y arriver, Gwen ! »

Je souffle un grand coup. Testons cette porte. Ce ne sont probablement que des locaux de rangements de matériel. Nous ne risquons rien, n’est ce pas ? Je pousse la porte qui s’ouvre sans résistance. Les pleurs me percent les tympans.

#

Il m’a fallu quelques minutes pour m’habituer au changement de luminosité. Nous sommes dans un couloir sans fenêtre, dans le noir complet. Mon cœur a pris un rythme frénétique, être dans le noir dans un lieu inconnu, ce n’est vraiment pas ce qui m’enthousiasme le plus. J’ai mis ma lampe frontale en marche et la peur n’a pas tellement reflué. Je guette les pleurs qui, bizarrement, ne résonnent plus à mes oreilles.

Le sol dallé de carrelage est jonché de feuilles mortes et de papiers, je crois. Les murs, à la peinture écaillée, ont l’air de suinter l’humidité. En parcourant le couloir, je me suis rendu compte que le lierre ne s’est pas contenté de l’extérieur. Il mangeait aussi l’intérieur. J’ai même cru reconnaître un rosier dans le fond. La végétation ne tarde pas à reprendre ses droits quand l’humanité cesse d’intervenir.

La première porte, que nous croisons, m’a confirmé que ce bâtiment faisait bien parti de l’hôpital, malheureusement. Les portes battantes étaient partiellement ajourées de verre, à l’époque. Actuellement, il gît par terre en morceau.

« − C’est tout de même dangereux l’urbex, Holly, il y a du verre par terre.

J’avais fait ma remarque sans baisser ou élevé la voix et pourtant j’ai eu l’impression d’hurler. Je ne suis pas parvenue à maintenir mon aire bravache sur mon visage.

« − Oui méfie-toi. C’est ce qui donne du charme et qui rajoute à l’ambiance me répondit une Holly enthousiaste

− Pour qui aime ça, soufflais-je.

− Je sais Gwen que le frisson ce n’est pas ce que tu aimes. Moi j’adore, ça m’aide à écrire mes livres.

− Pour une autrice, ça parait logique.

− Allez courage, Gwen. Je suis avec toi et si ça fonctionne tu seras soulagée de pouvoir entrer dans un hôpital en toute sérénité. »

Malgré la différence de tailles entre nous, mon amie qui m’arrive à peine à l’épaule, Holly me caresse le dos afin de me réconforter. C’est que j’ai toujours aimé avec elle, elle est un pilier, un soutien indéfectible. J’ai la chance de la compter parmi mes amies de longues dates.

Nous nous connaissons depuis la Première sans nous perdre de vue une seule fois pendant ces vingt-trois ans d’amitié. Holly est une personne chatoyante qui se démène pour ses amis. Et malgré l’amour que je lui porte, mon envie de fuir s’immisce un peu plus dans mon esprit. Je viens de comprendre que, étrangement, ce bâtiment ne contient que des blocs opératoires. Je pensais qu’en visitant ce petit local, je ne verrais pas les endroits les plus intimidant pour moi.

− Gwen, tu veux sortir ? Je comprends que ces lieux te posent problème.

Je suis sur le point d’accepter quand soudain, la porte, au fond du couloir, a bougé, toute seule. Il n’y a pas de courant d’air. Rien. Au même instant que j’ai entendu les pleurs, encore une fois. Je me suis ruée en avant. C’étaient ceux qui hantent mes nuits : les larmes de souffrances de Vicky et les premiers cris d’un nouveau-né.

#

J’ai ouvert la porte sans hésiter, suivi de près par Holly. Nous sommes arrivées dans la pire pièce qui soit: la morgue. Nous avons atterri, dans la morgue. Évidemment, il fallait que mes craintes se réalisent. J’avais consenti à venir, en étant convaincue, que nous ne verrions que des chambres vides et délabrées. Que font ces blocs opératoires, en dehors du corps principal de l’hôpital? Aucun patient ne peut traverser la cour avant opération en passant dehors ! Sur le plan architectural, cette construction n’a pas de sens.

Il n’y a pas de cohérence dans ce lieu. Les murs, à la peinture qui s’écaille en grosse plaque, contraste avec les chromes des portes des frigos mortuaires scintillant de propreté posé sur un sol crevassé et plein de terre. La végétation s’est aussi invitée sur les murs. Les plantes grimpantes serpentent autour des tiroirs chromés. Il faisait plus froid ici. Il me fallut quelques secondes pour comprendre que l’effondrement partiel du plafond explique, sans difficulté, la différence de température. Je scrute les moindres recoins à la recherche d’éléments pouvant expliquer les pleurs entendus quelques secondes plutôt. Mais il n’y a rien. Pourtant, je ne fabule pas. Holly m’observe avec attention, mon trouble ne lui échappe pas :

« − Qui y a-t-il ?

− Tu n’as rien entendu ? J’ai cru entendre pleurer un bébé… »

Le regard très étonné de mon amie s’accroche à moi. Mes propos semblent la tracasser. Au même moment, les pleurs retentissent à nouveau.

« − Tu as entendu ? C’était mon bébé, j’en suis sûr. »

Incrédule, Holly me questionna:

« − Ton bébé ? Quel bébé ?»

Les pleurs augmentent dans mes oreilles. Je suis sûr d’avoir entendu une autre voix, qui m’est inconnue, proférer un « Miam-miam ». Je ne sais pas si les sueurs froides ont commencé en premier ou sont-ce les larmes ? Je me suis effondrée, une boule immensément douloureuse dans la gorge. À genou au milieu de local hospitalier délabré et abandonné, le souvenir m’a frappé de plein fouet. Je sens l’inquiétude d’Holly à mes côtés, seulement j’étais incapable de pouvoir parler. Je crois qu’elle a compris, car elle s’est contenté de me serrer contre elle. J’ai fini par réussir à prendre la parole. Et je lui raconte le premier évènement traumatique, lié aux hôpitaux, que j’ai vécu, dont je ne lui encore jamais parlé. Simplement, parce que j’ai enfoui ce vécu douloureux dans les tréfonds de ma mémoire et qu’évidemment il refait surface , ici et maintenant. Je me lance dans le récit, le souffle court :

« − C’est arrivé l’année précédente de notre rencontre. Je sortais avec un garçon, pour la première fois. Bien sûr, cela se faisait dans le dos de mes parents. Tout se passait bien, si bien que nous avons rapidement couché ensemble. J’étais convaincue que l’on ne pouvait pas tomber enceinte dès la première fois, et puis nous avions mis un préservatif, si bien que je me suis rendu compte de rien. Il a craqué ou était mal mis, impossible de savoir. Contrairement à beaucoup de femmes, mon premier trimestre est passé inaperçu. J’ai pris de la poitrine mais cela n’avait rien de surprenant à seize ans. »

Je dois faire une pause afin de pouvoir ravaler la nouvelle boule qui obstrue ma gorge.

« − Quand j’ai fini par comprendre que j’étais enceinte, c’est ma mère qui l’a remarqué à vrai dire, le délai d’avortement était quasiment expiré. Je me suis fait traiter de catin par mes parents. Tu ne les as pas connu donc, il faut que tu essayes d’imaginer. Ma mère est une vraie grenouille de bénitier. L’avortement n’était même pas envisageable en pensée, c’est un crime contre Dieu, d’après elle. Peu importe que mon âge. Mes parents ne m’ont jamais demandé mon avis, ni ce que je voulais pour cet enfant. Pour éviter le jugement des autres, ils m’ont retiré de l’école pour la fin de l’année. Bien entendu, ma relation avec ce garçon a été rompue, sans explication, tellement mes parents étaient furieux et honteux de mon état. Il n’a jamais su pour ma grossesse. »

Le regret tinte ma voix aujourd’hui encore. Ce jeune homme ne méritait pas d’être éconduit sans la moindre explication. Je le pense toujours. Les souvenirs sont presque tangibles tellement les images sont claires dans ma tête. La voix tremblante et la poitrine oppressée, je poursuis mon histoire.

«  − Privée de communication et en l’absence de réseaux sociaux, à l’époque, je n’ai pas réussi à lui faire parvenir le moindre mot. Par contre, ma grossesse m’a totalement épanouie. J’ai adoré sentir ce petit être grandir en moi. Au fond de moi, j’ai su que je voulais le garder. J’en ai parlé à ma mère, elle m’a incendié. Devant mon désir réel de rencontrer cet enfant, nous avons négocié. Ma mère m’a tellement menacé de tous les fléaux divins que je suis devenue hyper superstitieuse. Mon aversion pour la religion de ma mère a augmentée. »

Ma voix se fait de plus en plus piteuse à mesure que je raconte cette douleur cuisante que fut mon début d’adolescence. J’ai froid, je tremble. Je voudrais ne pas aller au bout du récit, pourtant les vannes sont ouvertes et je ne peux plus arrêter. Serrée contre Holly, au milieu d’une morgue déserte et décrépite, je continue :

« − Ma mère a fait venir un tas de femmes, pleines de regrets d’avoir eu un enfants trop tôt. J’étais jeune et j’ai nié mon instinct. Si bien que j’ai fini par avoir peur. J’ai arraché à ma famille une émancipation et un logement dans une autre ville pour la fin de mes études en échange de mon accouchement sous X. J’ai accouché à la fin du mois de juillet, ce qui m’a permis de retrouver un corps d’adolescente lambda avant la rentrée, au plus grand plaisir de mes parents. Je n’ai pas vu mon enfant, j’ignore son sexe, je n’ai gardé en mémoire que son premier cri qui m’a donné envie de le prendre dans mes bras et de prendre soin de lui. Si seulement, on ne m’avait pas caché le délai de rétractation, je serais allée le chercher. »

#

Les sanglots me submergent comme si j’avais de nouveau seize ans. Le souvenir, tellement vif de ce cri, me transperce le cœur après toutes ces années. Je regrette cette adoption. Puisqu’elle entraîne trop de souffrance, j’ai oublié. Je sais qu’il ou elle a, aujourd’hui, vingt-cinq ans. Malgré le soutien psychologique dont j’ai bénéficié, cet enfant me hante au plus profond de moi. Évidement ce choix imposé a détruit ma relation avec mes parents. La rupture est totale. Leur seule bonne action a été d’avoir accepté mon émancipation. J’ai longtemps souffert en croisant des mères et leurs petits épanouis sans forcément comprendre pourquoi, car j’ai oublié. Je n’ai jamais pu faire du baby-sitting, les enfants me rendaient hargneuse. Avant Vicky, je repoussais les moindres tentatives d’approche des petits.

Toute à mes réflexions, je n’ai pas vu que Holly pleure à chaudes larmes. Autant que moi finalement. Je sens naître un mal de crâne, trop de larmes. Je me déshydrate. Je ne veux pas penser à mon autre expérience à l’hôpital.

« − Désolée, Gwen. Je ne mettais rendu compte de rien à l’époque même si j’ai senti que tu étais profondément triste, par moment. »

Machinalement je caresse la tête de mon amie, posée sur mon épaule.

« − Le changement de lycée m’a fait un bien fou et surtout notre rencontre. Tu as recoloré ma vie et permis de retrouver le sourire et surtout rire à nouveau. Merci mille fois pour ton soutien indéfectible, Holly. Je t’aime tellement. »

L’éclat soudain d’une voix connue de nous deux nous fit hurler de surprise aussi bien que de peur. Vicky m’appelle à l’aide. Je me relève, avançant dans la pièce. Sa voix semble venir d’un des caissons fermés. Un instant, j’ai le fol espoir de la retrouver. En vie. C’est alors que j’entends ricaner. Une voix haut perchée saupoudrée d’un grain de folie :

« − Les jolis fantômes malheureux. Miam, miam ! »

Holly et moi nous nous sommes regardées. Il n’y a personne dans la pièce et pourtant, nous avons, toutes les deux, entendu ces paroles dérangeantes. L’esprit pragmatique de mon amie ne tarde à réagir :

« − Il y a quelqu’un ? Montrez-vous ! Vous nous avez bien eues ! Ha ha !

− La petite femme me pense humain. Mais, pas du tout. »

La voix pouffe. Ma panique grimpe d’un cran sur l’échelle de ma terreur. Il est certain que nous ne sommes plus seules. Nous sommes en présence d’un être surnaturel. Depuis les premiers pleurs, je veux tenir ce bébé contre moi, connaître sa vie, son vécu, lui demander pardon. Je n’arrive pas à repousser ce désir inassouvissable. La voix, à chaque mot semble creuser un peu plus dans le puits de mes regrets. Je réfléchis à toute vitesse pour tenter de deviner à quoi ou à qui mous avons affaire. La superstition est tout ce qui me reste de la religion inculquée par mes parents, je me renseigne beaucoup sur les entités en tout genre et surtout les moyens de s’en protéger.

« − Quel autre fantôme t’accompagne, grande dame ? Je sens qu’un festin m’attend. »

Je gémis en comprenant ce qui se dissimule dans les ombres.

« − Holly, il faut partir tout de suite. Nous sommes en danger.

− Mais qu’est-ce que tu racontes, quelqu’un nous fait une mauvaise blague. Nous allons partir et il ne va rien se passer.

− Pauvre Vicky qui a tant souffert. Le malheur des malades, condamnés à des agonies sans fin, sont mes gourmandises favorites » réplique d’un ton doucereux la voix.

#

Le visage d’Holly s’assombrit. Elle ne supporte pas l’idée que l’on porte atteinte à la mémoire de Vicky. Elle était l’une des meilleures amies d’Holly et elle restera l’amour de ma vie. Sa disparition nous a toute deux très fortement bouleversées.

Quelques années plus tard, après mon avortement et des années de célibat, je suis tombée sous le charme de Vicky. Elle m’a offert les plus belles années de ma vie et nous aurions dû finir notre vie ensemble. Juste avant qu’elle ne tombe malade, nous avions évoqué l’envie d’avoir un bébé, qui ne me serait pas enlevé. Nous avions entamé le parcours préliminaires de la PMA quand les examens ont révélé une anomalie. Et là, tout est allé très vite : la chirurgie a révélé un problème bien plus étendu. Je passe sur les détails médicaux. Vicky s’est battue, et pour moi, elle ne pouvait que s’en sortir, puisque le diagnostic annoncé plus quatre-vingts pourcents de chance de guérison. Mais elle n’a pas eu le droit à ce scénario. Ses derniers mois de vie ont été de la torture malgré l’aide médicale. Je suis, évidemment, restée auprès d’elle jusqu’au bout. Holly aussi nous a beaucoup soutenu. Elle me laissait pleurer dans ses bras à chaque fois que je n’étais pas à proximité de Vicky.

« − Te souviens-tu de la morgue ? »

La voix du monstre me sort de mes réflexions. L’ectophage est une entité qui mange les fantômes. La légende dit que quiconque le croise ne pourra plus jamais se rappeler des souvenirs heureux qui sont liés à un défunt. Il ancre les pires souvenirs dans notre mémoire, si bien que l’on en vient à ne plus être en paix avec les défunts et qu’ils nous pourrissent notre vie terrestre, un peu comme une vengeance. Un tsunami de panique me submerge. Et tout à coup, je revis bien trop clairement le corps inanimé de la femme que j’aime lors des derniers adieux. Sa chevelure terne, son teint gris et surtout de masque de souffrance sur son visage que la mort n’a pas effacé. Une sueur froide trempe mon dos. Je frissonne, claque des dents. Je dois partir vite. La distance pour quitter ce lieu n’est pas si longue. Allez active-toi, Gwen ! J’essaie de convaincre mon corps de bouger. Sans résultat. Holly intervint.

« − Gwen, partons, tu en as assez fait. Je m’inquiète pour toi ! Mon idée n’est pas si judicieuse. Je suis désolée.

− Elle ne peut pas partir tant elle veut écouter la voix de ses fantômes. Même leurs hurlements. Hi, hi, hi. Et moi, je mange.

Holly se lève de toute sa petite taille. Son visage affiche un air partagé entre colère et crainte.

− Ça va, la leçon est retenue. Nous ne viendrons plus dans les lieux abandonnés. Arrêtez tout de suite de nous torturer. Ces pleurs sonnent bien trop réels.

− Chouette, il y a de quoi manger chez toi aussi ! Quel buffet savoureux ! »

#

Pour ce qui a suivi, impossible de savoir si mon cerveau a fabriqué mon pire cauchemar ou si j’ai vraiment croisé une telle terreur vivante. Car au fond la pièce une silhouette s’est avancée vers nous. Quand elle s’est trouvée dans la lumière blafarde, mon hurlement est resté coincé dans ma gorge. J’ai fermé les yeux. Trop tard ! L’image du cadavre ambulant s’est imprimé sur ma rétine. Un cadavre en putréfaction, tenant debout. Les portions visibles son squelette suintent. Les os semblent humides, voire recouvert d’une fine couche de gelée. Des vêtements en lambeau le couvre partiellement. Le pire pour moi reste la prolifération d’asticots installés en grappe sur certaines parties de son corps : au niveau cœur, sur la joue gauche et dans la cuisse droite. Sur cette dernière, l’agglomérat d’asticots donne l’impression que c’est un bandage mouvant. Impossible d’ignorer ces taches blanches qui grouillent. Je suis incapable de maîtriser mes frissons devant ce spectacle. Ils dévalent mon dos par vague successive. Je n’ai jamais demandé à Holly si elle l’avait vu la même abomination, pas envie d’entendre sa description, ni son éventuelle explication rationnelle.

Je me suis retournée, les yeux toujours fermement clos, pour vomir. De peur et de dégoût. J’ai enfin réussi à me relever. Holly a saisi l’occasion pour prendre ma main afin de m’entraîner vers la sortie. Le rire et les pleurs résonnent encore à mes oreilles. Sortie de la morgue et à quelques pas de la porte, je me suis arrêtée, pas pour regarder derrière moi, mais prise d’un doute. Est ce que je laissais Vicky et mon bébé aux griffes de ce démon ? Est-ce qu’il n’allait pas nous suivre ? Je ne savais pas quoi faire. Holly vient à ma rescousse une fois de plus :

« − Gwen partons. Nous analyserons la situation, une fois rentrer, à l’abri et bien au chaud.

− Mais si part ma faute, elle continue à souffrir par-delà la mort ? Je ne peux pas les laisser seuls. »

Des larmes, encore des larmes malgré ma sensation d’être totalement asséchée.

« − Je souffre aussi de l’absence de Vicky. On va se concocter le rituel que tu veux pour saluer sa mémoire. Je te le promets. Dans l’immédiat, partons. »

Main dans la main, nous avons quitté ce lieu traumatisant. Le retour à la voiture s’est fait au pas de course. Ce rire malsain coincé dans ma tête.

Je n’ai qu’un conseil pour vous : chérissez vos défunts, acceptez aussi les souvenirs douloureux pour tenir l’ectophage, qui rode dans les lieux abandonnés et marqués par les morts douloureuses, à distance.


Texte publié par Cora Elzéar, 11 avril 2022 à 20h35
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