Après l'altercation de la veille, la tension était palpable.
Un profond besoin de prendre l'air se faisait sentir du côté d'Eliah, frustrée d'avoir cédé pour stopper tout conflit avec son frère.
Piochant avec soin les fringues rangées dans son placard, elle opta pour un petit débardeur noir, caché subtilement sous un large pull, laissant entrevoir une épaule, et assez grand pour dissimuler une partie de ses cuisses, donnant l'impression de posséder de longues et fines jambes. D'ailleurs, celles-ci étaient cachées dans un skinny en simili cuir, aidant à sublimer ses formes. Forme qu'elle n'appréciait guère, mais qu'elle finissait par accepter avec le temps : le sport ? Pourquoi pas. Manger équilibré ? Que nenni. La gourmandise était un péché dont elle ne pouvait s'y soustraire.
Scrutant son visage de plus près, elle entrevoyait toutes ses petites imperfections.
Pas terrible, mais encore masquable, se disait-elle.
Se posant devant la coiffeuse, elle termina de laver son visage avant de procéder au maquillage. Elle aimait se pouponner, sans trop d'excès- bien que ses préférences se portaient sur un style sombre, sans donner l'impression d'être gothique. Cela dit, elle admirait ces personnes qui prenaient le temps de parfaire leur style sans omettre aucun détail – chacun ses passions. À vrai dire, elle ne savait pas comment mettre en valeur ses yeux, vairons et c'était le plus simple, puis elle appréciait bien le look, n'était-ce pas l'essentiel ?
Une fois le camouflage terminé, Eliah se dirigea vers la porte d'entrée et enfila son écharpe, mis une paire de bottines noire, à tout petit talon et se couvrit enfin les épaules avec un manteau pour affronter le froid de l'hiver. Elle récupéra son sac à dos et sortit enfin de son trou à rat.
Les pieds foulant l'extérieur, les rues tanguaient imperceptiblement, mais suffisamment aux yeux d'Eliah pour que sa main d'agrippe à la rambarde des escaliers. L'impression d'atterrir dans un Nouveau Monde l'accapara. Ne se démoralisant pas pour autant, ce sentiment saugrenu se dissipa à mesure qu'elle marchait.
Décidée à flâner dans le centre-ville, elle emprunta les transports en commun. Trouvant une place assise dans le bus, elle pianota sur son smartphone, lisant les derniers messages de son groupe.
Pendant qu'elle répondait aux messages, elle se demandait ce qu'elle allait pouvoir bien faire, n'ayant absolument pas prévu de sortir, mais avait préféré fuir son frère. À peine venait-il de rentrer, qu'ils se disputaient : événement rarissime au sein de leur fratrie. Puis ça ne lui ressemblait pas de se soumettre sous la pression, elle était la plus têtue et la plus impulsive des deux. Posant son front contre la vitre, elle se disait que la fatigue devait probablement y être pour quelque chose, il n'y avait pas d'autres explications possibles.
Le temps de faire le tour des réseaux sociaux, elle ne tarda pas à arriver à destination. Elle se leva de son siège et patienta devant la première porte de sortie. Une fois à l'arrêt, les pieds sur terre, elle eut le tournis, mais continua à avancer quelques mètres avant de s'arrêter pour se masser la tempe.
Après des nettoyages intempestifs, les agents avaient abandonné de décrasser la surface des poubelles. Pour pallier ce problème, la ville avait fait appel à des artistes-tagueurs pour décorer certains murs et conteneurs, dispensant la racaille des bacs à sable à salir ces œuvres d'art. Bacchus, quelques grappes de raisins et un domaine quelconque s'illustraient sur la surface bétonnée des vide-ordures.
Levant les yeux, pour élargir son champ de vision, elle contempla rapidement l'ancienne nef. Son frère irait probablement se réfugier ici. Pour éviter le risque de le croiser, elle pivota à droite, marchant encore sur le pavé en granit, avant de fouler le sol revêtant une couche de béton bouchardé, annonçant enfin son entrée dans le centre-ville.
À cette heure de la journée, peu de monde errait dans le centre, cela lui permettait d'admirer chaque édifice sur son chemin. Notamment celui du Grand Théâtre s'inspirant directement des architectures de l'Antiquité classique.
À côté se trouvait le musée principal.
Longeant la grande rue, Eliah, prise par de nouveau vertige, alla s'assoir quelques instants sur l'un des bancs. Elle se demandait s'il qu'elle n'était pas prisonnière d'un long rêve, sentant encore les lésions bel et bien présentes à la suite de son cauchemar. Enfin, comment aurait-elle pu se griffer ? Elle déglutit péniblement, appréhendant ce phénomène surnaturel, espérant au fond d'elle, qu'elle finirait enfin par se réveiller.
Étudiant plus sérieusement le problème qui l'assaillait, elle chercha enfin une cause plus logique à ses symptômes, déduisant qu'elle subissait les effets secondaires des cachetons.
« C'est bien ma veine » souffla-t-elle, irritée que son corps ne supporte pas ce remède miracle – bien que remède miracles soit un bien grand mot, puisque ses cauchemars n'auront jamais été aussi florissants...
« Peut-être qu'Eziel à raison...» pensa-t-elle, crispée, détestant d'avoir tort. Elle devait aussi admettre qu'elle possédait un côté orgueilleux, aussi mineur soit-il, il pouvait lui faire défaut. Prenant un peu plus sur elle, elle se mit en tête de noter les adresses des psys qu'elle croiserait et verrait par la suite – là, maintenant, elle voulait fureter tranquillement dans les petites boutiques pour oublier ses tracas.
Une chose est sûre, elle pouvait se féliciter de ne pas être un panier percé quand elle voyait tous ces gens se promener avec moult sacs, à des horaires encore peu fréquentés. La consommation – à outrance- était un véritable fléau. Enfin, le pensait-elle vraiment ? Elle se complaisait à se dire qu'elle n'était pas une de ces victimes de la société et pourtant... Il lui arrivait également d'envier ses congénères, songeant à avoir une meilleure situation, pour profiter pleinement de la vie. Elle pourrait, si elle le désirait, mais sa soif d'indépendance avait été bien plus forte ; et il était probable que les aléas de la vie l'aient contraint à arrêter ses études plus tôt que prévu ; mais elle ne le regrettait pas -pour son frère, elle était capable du pire.
D'ailleurs, c'était bientôt leur anniversaire. Que pouvait-elle bien lui offrir ? Elle ne devait pas lésiner sur la question. Pour le coup, ce n'était pas leur guerre froide qui allait l'empêcher de lui offrir un beau cadeau.
Errant dans les rues depuis plusieurs, sans avoir déniché le cadeau parfait, un vent de panique se rependit au niveau de sa poitrine, rongeant succinctement les parois de sa cage thoracique. Une vague de chaud et de froid s'alternait, pendant que l'angoisse fluctuant dans ses veines, pas loin de provoquer un mal de crâne, accélérant ainsi les palpitations de son cœur. Elle pouvait s'évanouir à tout instant –c'est ce qu'elle pressentait avec tous ces symptômes.
Pétrifiée sur place, alors que la vie continuait son cours et sans pouvoir justifier quoi que ce soit, elle savait qu'on l'épiait et que l'individu ne tarderait pas à jaillir des profondeurs. Elle avait cette horrible sensation d'être accablée par une lourde charge sur les épaules et sa poitrine s'écrasait intensément contre ses poumons au point de lui couper sa respiration.
Cette sensation semblait durer une éternité. Songeant à jeter un coup d'œil derrière son épaule, le plus discrètement possible, elle se tourna légèrement, savoir si on l'épiait ou non.
Une silhouette fondue dans la foule, ne bougeant pas d'un iota, regardait dans sa direction. Il n'avait rien d'humain et le plus terrifiant dans cette histoire, c'est que personne - à part elle - ne semblait le voir. À mi-chemin entre squelette et créature inconnus, le monstre lui souriait – heureux d'avoir que sa proie ait pris conscience de sa présence.
Après analyse, Eliah percuta, lui donnant la certitude qu'elle rêvait. Sinon comment expliquer qu'elle pouvait la voir, elle : cette créature aux grandes cornes ; des pupilles rouge et noir esquissant une spirale, prêts à absorber son âme ; sa tête allongée se confondant à celui d'un squelette et celui d'un démon ; une petite ouverture au niveau de la bouche, maladroitement cousue ; relié par des filtres, similaires à ceux des casques à gaz et des fils reliés à l'arrière de son crâne jusqu'au haut de son dos ; grand ; de larges épaulettes pointues, forgées dans de l'acier ; un buste squelette...
Pas besoin de le détailler plus. C'était la même créature démoniaque qui ne cessait de la poursuivre dans ces cauchemars.
L'idée que le monstre interagisse en plein jour, dans son monde et qu'elle était pleinement éveillée, l'épouvantait.
Tel un lapin, elle détala, poussant les quelques piétons sur son passage.
Pourquoi? POURQUOI ? Se demanda-t-elle, en son for intérieur – continuant de cavaler dans les rues du centre-ville.
Sportive du dimanche, elle s'essouffla très rapidement, ralentissant le rythme, forcé à marcher – si ce n'est qu'elle finissait par tituber. Ses jambes s'engourdissaient au fur et à mesure et ses paupières s'avéraient affreusement lourdes. Elle peinait à se déplacer et sa vision devenait de plus en plus floue.
Eliah sombra soudainement dans l'obscurité la plus totale.
Les ténèbres se volatilisèrent, permettant à Eliah de retrouver sa vision. Quelque peu groggy, Eliah se trouvait assise à même le sol et au dos au mur. Percevant une voix, sans en déceler une seule bribe de ses mots, elle remarqua que très tardivement la présence d'un individu abaissé à son niveau.
Les yeux rivés sur ces chaussures en cuir, il lui fallut un grand temps d'adaptation pour réaliser ce qui venait de lui arriver.
À peine leva-t-elle la tête, que deux billes similaires aux émeraudes se plantèrent dans les siens. Une lueur d'inquiétude se diffusait à l'intérieur avant de disparaître de la surface. Sur le haut de l'arête de son nez se trouvait un piercing, permettant à Eliah, de reconnaître en un clin d'œil le beau ténébreux rencontré au bar, puis au salon de thé.
Celui-ci réitéra sa question : « Tout va bien ? »
Cette voix rauque, qui s'infiltrait dans les oreilles d'Eliah, ne manqua pas de faire palpiter les membres de son corps, ses joues se teintèrent. Elle se laissa volontairement envoûter par son charme naturel. Le cœur continuait de s'emballer, engageant une décharge électrique parcourant ses veines, lorsque l'homme déposa le dos de sa main sur son front.
Subjuguée par sa beauté, elle contempla l'individu marmonnant dans sa barbe, qui jetait un coup d'œil derrière son épaule - le regard fixé sur deux sacs en plastique au bord du trottoir. Elle jurait d'avoir entendu de sa bouche que les humains possédaient une constitution fragile ; quelle étrange façon de s'exprimer, mais elle n'était sûre de rien et elle se contentait de rester la plus impassible. Jamais un inconnu n'aura su faire chavirer son cœur aussi vite.
La déception prit place, marquée en gros sur le front d'Eliah, au moment où son sauveur retira sa main pour aller récupérer ses affaires. Il fouilla dans un des sacs et en sortie une bouteille d'eau, dévissa son bouchon et la lui tendit. Acceptant son aide sans rechigner, elle commença à boire quelques gorgées pendant que ce dernier prit son smartphone et tapotait sur celui-ci.
Comprenant qu'il appelait les secours, lorsqu'il colla l'objet à ses oreilles, ni une, ni deux, la jeune femme se releva brusquement, prise d'un nouveau vertige, mais réussit à se saisir de l'objet, appuyant sur le bouton rouge et ramena le téléphone contre sa poitrine – ce qui ne manqua pas de désarçonner son sauveur.
Secouant la tête de gauche à droit, elle se justifia :
— Pas besoin d'appeler qui que ce soit, je vais très bien !
— Faire un malaise en pleine rue, c'est aller bien ? demanda-t-il mitigé.
Notant qu'il la tutoyait, elle tenta de rester le plus neutre possible.
— Juste un moment de fatigue, rien de grave. Puis, on ne fait pas appel au secours seulement si la personne est inconsciente.
— Peut-être... Répondit-il dubitatif - dérivant son regard dans le vide, tout en se massant la nuque. Mais voir quelqu'un courir comme une dératée, au point de bousculer les passants, comme si sa vie en dépendait... c'est un comportement plutôt suspect, donc permet moi de douter.
Eliah se mordit l'intérieur des joues, mais elle n'était pas à court d'arguments.
— J'ai peu dormi et le manque de sommeil me rend nerveuse, répliqua-t-elle.
La tête légèrement inclinée pour mieux l'observer, l'homme demeurait silencieux, comme s'il mesurait et quantifiait ses mots, finissant par murmurer de nouveau : « Les êtres humains sont vraiment bizarres... », avant de tendre sa main.
Étonnée, Eliah le regardait complètement ahurie.
— Pourrais-je récupérer mon téléphone ?
Interloquée, elle serra sa main, puis contempla l'objet en question. Le teint crémeux de la demoiselle se colora d'un rouge pivoine.
— Pardon ! s'écria-t-elle honteuse, lui rendant son bien.
Alors que l'échange se déroulait sans accroc, un bruit tonitruant retentit, hurlant presque de douleur et de façon intempestive.
Si Eliah se paralysait incommoder par la situation, son interlocuteur, au début étonné, esquissa un grand sourire, finissant par lâcher un petit rire étouffé. Elle ne savait pas si c'était la situation ou si c'était l'expression dessiner sur son visage qui la faisait rougir de plus belle.
Rangeant son téléphone dans la poche et essuyant d'un revers de la main les larmes qui lui montait aux yeux. Le ténébreux resta encore un petit moment amusé et contemplatif.
— Tu pourrais peut-être au moins remédier à certains problèmes, se moqua-t-il ouvertement.
Et avant qu'elle ne rétorque, il poursuivit :
— Je devais déposer ça à la boutique, dit-il - en levant son bras pour désigner les deux sachets blancs, et je n'ai pas encore mangé non plus.
Arquant un sourcil, les méninges d'Eliah se mirent en route, incertaine de ces propos : était-ce un sous-entendu ?
— J'ai de quoi nous sustenter là-bas, et pas que du sucre. Loin de moi à l'idée de profiter de ce petit incident pour te draguer, débita-t-il, mais je n'aurais pas à m'inquiéter, encore moins à me triturer le cerveau pendant mon sommeil pour savoir si j'ai bien fait ou non de laisser partir comme si de rien n'était, une fille à deux doigts de s'évanouir en public. Puis, je pourrais prétendre que j'ai fait ma bonne action pour toute la journée.
Rencard ou pas rancard, même si ces interrogations - bien qu'éphémères - se bousculaient, Eliah ne retenu qu'une seule et unique chose. Il l'invitait à manger en tête-à-tête.
Bouillonnant d'excitation, sentant ses lèvres s'étirer naturellement vers ses oreilles, elle mima l'étouffement, se raclant pitoyablement la gorge, espérant jouer les indifférentes :
— Si le karma vous... tu...te tiens tant à cœur, pourquoi pas. Je ne voudrais pas que tu sois perturbé pour le reste de ta vie, nargua-t-elle - un sourire satisfait qu'elle ne pouvait dissimuler.
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