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Une bourrasque frappa leur visage de plein fouet lorsqu’ils franchirent la sortie. Le calme revenu, Eziel s’attarda sur les arbres aux ramures à moitié dénudés. Les dernières feuilles résistantes aux intempéries gardaient leur couleur automnale, tandis que les autres se ternissaient en se laissant imprégner par la terre humide.

Un élan de nostalgie s’emparait de lui, réalisant qu’il s’approchait de la vingtaine le mois prochain. Que pouvait-il offrir à sa jumelle ? L’époque de l’insouciance étant révolue et ne pouvant lui offrir monts et merveilles, il lui restait à éplucher les annonces pour trouver un job étudiant.

Alors qu’il songeait sérieusement à se reprendre en main, il se remémora des dernières paroles de Jessy. Il observa son ami, qui tentait de se réchauffer les mains, mais de la buée se pointa et s’accrocha sur ses lunettes.

Sentant qu’on le scrutait, le jeune homme qui essuyait ses lunettes fronça les sourcils pressentant un mauvais présage.

Eziel s’exprima :

– Tu en as trop dit. Et pas assez à la fois.

Le concerné persistait à faire disparaitre la condensation – volatilisé depuis longtemps – lui laissant sans doute le temps de trouver une réponse adéquate :

– À en juger par ta réaction, ce n’est pas la première fois.

– Qu’est-ce que ça t’apporte de me dire tout ça ? l’interrogea Eziel – camouflant difficilement son irritation.

– Rien du tout et je ne vois aucun intérêt à te mentir, répliqua Jessy.

Une fois la paire de lunettes remise en place, il ajouta :

– Effectivement, à première vue, c’est pas mes oignons, mais c’est moi qui ai servi ta sœur. Ce n’est pas tant qu’elle prenne des somnifères qui me préoccupe… il marqua une pause.

Une mine soucieuse et étrangement perplexe se dessina sur son visage rectangulaire. Il hésita longuement avant de partager, semble-t-il, sa véritable inquiétude.

– Le médecin qui lui a rendu visite n’a pas très bonne réputation. Certes, ça ne pèse rien dit comme ça, mais… les hypnotiques prescrits sont plutôt controversés dans le milieu médical.

Pendant que Jessy cherchait ses mots, Eziel écoutait et assimilait attentivement les informations, se questionnant sur les véritables attentions de son ami. Il avait la ferme intuition qu’il cherchait à se venger d’Eliah pour une raison qui lui était totalement inconnue. Toutefois, son ami économisait facilement sa salive et ne parlait qu’en cas de force majeure.

– Loin de moi, de vouloir contester ton honnêteté… commença Eziel.

Le vocabulaire employé n’augurait rien de bon, et ça, Jessy le savait très bien.

– Est-ce que tu ne chercherais pas à créer un conflit entre ma sœur et moi ? Non, non, peut-être pas à ce point, se rattrapa Eziel. C’est une histoire de rancune, j’en suis persuadé.

Les épaules de l’intéressé s’affaissaient, désabusé par la nouvelle situation.

– Je savais que c’était une mauvaise idée, dit-il - secouant vivement sa main droite, pour balayer les mauvaises ondes. Laisse tomber Ez’, je n’ai vraiment pas envie de me prendre la tête avec toi et je n’ai même pas la force de me battre.

– Il y a des sujets qu’il ne vaut mieux pas évoquer, répondit sèchement Eziel.

– Il y a surtout quiproquo. Comme d’hab’, tu interprètes à ta sauce.

L’indignation s’afficha instantanément sur la figure du jumeau, il ne protesta pas pour autant, souhaitant éviter toute altercation – surtout dans un lieu public. Il attendrait sagement le moment opportun pour régler ses comptes. Il se contenta donc de lui jeter un regard noir.

Néanmoins, Jessy espérait calmer les esprits :

– Quand tu veux, on en rediscutera. Je suis en vacances à partir de ce week-end et durant quinze jours. Sa tête pivota en direction des portiques. Ils arrivent. Tâchons de passer outre pour aujourd’hui.

La conversation clôturée, Jessy enfouit ses mains dans les poches de sa veste, se redressant convenablement. Eziel se contenta de garder le sourire, mais toujours en reste, il ne pouvait s’empêcher de grincer des dents.

*****

⎮𝒜𝓊 𝓅𝒶𝓁𝒶𝒾𝓈 𝒹ℯ 𝓁𝒶 𝒢ℴ𝓊𝓇𝓂𝒶𝓃𝒹𝒾𝓈ℯ⎮

Cela faisait des mois que Jehanne attendait l’ouverture du salon spécialisé, aussi bien dans le thé, que dans le café et aujourd’hui, elle avait enfin l’occasion d’y goûter avec ses amies. Aoi avait accepté sans une once d’hésitation quand elle eut appris qu’ils servaient également des pâtisseries et viennoiseries faites maison. Eliah et Héléna, n’étant pas de grandes amatrices, avaient accepté sans grandes convictions.

Devant la devanture à l’aspect bucolique et victorienne, Jehanne ne fit pas prier et entra la première, suivit de près par Aoi. Héléna et Léandre emboitèrent le pas. Eliah gardait la porte ouverte, le temps que les deux derniers arrivent. Lorsqu’Eziel eut franchi la porte, Eliah lança un regard suspicieux envers Jessy, notant que ces deux là étaient restés muets tout le long du chemin.

Toutefois, Jessy n’y prêta pas attention et pénétra aussitôt dans le bâtiment sans l’attendre.

Un jour, elle souhaiterait lui parler droit dans les yeux et lui dire ce qu’elle a sur le cœur, mais ils n’ont jamais eu d’autre moment pour se côtoyer en tête à tête. Dieu seul sait qu’il était compliqué de le voir pour x raisons. Toutefois, Eliah ne saurait dire réellement ce qu’elle éprouvait à son égard – se demandant si ce n’était pas son égo qui en avait pris un coup pour avoir été rejeté de la sorte. En attendant, lorsqu’elle fut à l’intérieur, elle rêvassa devant la décoration.

Un soupçon de fantaisie se baladait subtilement dans la boutique. Des billes colorées remplaçaient le pistil de certaines fleurs. D'autres fleurs semblaient pousser sur les champignons. Des insectes tels que des abeilles et papillons - en métal - étaient accrochés aux plantes. Impossible de mettre un nom sur les autres créatures qui décoraient l'intérieur.

Les étoiles pleins les yeux, Eliah scrutait de plus près l'une des décorations disposées à gauche de l'entrée. Elle recula pour admirer l'ensemble et heurta quelqu'un. Elle percevait une odeur de jasmin. Cela devait provenir du thé qui s'était déversé un peu partout, tachant au passage la chemise du serveur. Eliah se décala sur le côté, trébuchant sur un objet invisible. Heureusement qu'Eziel était là pour la sauver in extremis avant qu'elle ne provoque le chaos dans ce lieu paisible.

« Ne vous inquiétez pas, j'ai des affaires de rechanges » dit le serveur, un sourire aux lèvres pour cacher son irritation. Son expression changea brusquement en croisant le regard de la criminelle.

Quant à Eliah, elle était déjà hypnotisée par ces deux émeraudes, reconnaissant l'homme. Contrairement à l'autre soir, ses cheveux étaient légèrement plaqués en arrière. Elle n’y avait point fait attention la dernière fois, mais ce dernier possédait un piercing au niveau de l’arête supérieure du nez et des faux écarteurs sur chaque oreille. À force de l’observer, elle oublia le monde qui l’entourait.

De peur qu'elle avale une mouche et ne s'étouffe, son jumeau plaça un doigt sous le menton d'Eliah, s’excusant pour le désordre. Il était probable qu’il voit sa sœur pour la première fois dans cet état. Digne d’un début de scénario de romance, or la réalité était tout autre.

Le serveur ne s'attarda pas sur l'incident et commença à balayer la salle du regard pour trouver une table adéquate à la bande.

Les neurones peinant à se reconnecter, Eliah se laissait entrainer par son jumeau jusqu’au fond de la salle et finit par s’assoir près de la fenêtre.

— Enfin ! s'extasia Jehanne devant la carte des menus.

— Un endroit charmant, sourit Héléna. Pour une fois, qu'on arrive à se caler un jour... J'suis hyper contente d'être avec vous !

Les autres filles acquiescèrent puis imitèrent les garçons qui regardèrent la carte des boissons chaudes.

— D'ailleurs vous passez bientôt vos examens à la fac, non ? demande Héléna.

Eliah, Jessy et elle étaient les seuls membres à être entrés dans la vie active, pour diverses raisons - les autres poursuivant leurs études.

— M'en parle pas.... Vivement que je termine les études. Entre ça et le petit job en épicerie chez mes parents, j'ai rarement du temps devant moi, se lamenta Aoi.

Aoi caressait avec délicatesse son petit menton. Ses jolis yeux bridés - qu'admirait tant Eziel - analysèrent scrupuleusement la carte, tapotant de temps à autre sur son portable.

Cela n’échappait à Eliah toujours aux aguets, mais limite blasée par la situation. Combien de temps nierait-il encore les faits ? Elle poussa un léger soupir, suffisamment discret, pour ne pas être remarquée et referma la carte des menus.

À peine releva-t-elle les yeux en direction du comptoir, qu’elle entrevit une ombre s’approcher de leur table. Étrangement, elle se redressa droite comme un i face au serveur. D’une logique implacable, elle trouva que le beau serveur était super grand de là où elle était. Il avait troqué sa chemise blanche, contre une similaire, on pouvait admirer son physique taillé en V, discernant des pectoraux bien dessinés sous cette nouvelle chemise moulante. Se mordillant la lèvre inférieure, Eliah plissa les yeux pour mieux s’imaginer la paire de fesses qu’il possédait. Ce pantalon en cuir…

Trêve de plaisanterie, son jumeau la ramena à la réalité, car le beau ténébreux semblait attendre sa réponse. Ce dernier paraissait quelque peu dérouté, mais ce n’était en aucun cas la faute d’Eliah qui le matait bizarrement. Si la jeune femme avait été plus attentive, elle saurait qu’Aoi avait commandé quasiment toute la carte des desserts. En revanche, Eliah était complètement désarçonnée et bégaya devant le serveur, qui ne manqua pas de faire rire la bande.

Le bel homme quitta la table pour préparer leur commande, permettant à Eliah de jeter un coup d'œil furtif sur cette paire de « fesses d'acier ».

Recevant un coup de coude, elle fut forcée de détourner les yeux et regarda son frère :

– Quoi ?

— Efface-moi ce regard lubrique, c'est gênant, chuchota Eziel.

Eliah se limita une grimace avant de s’immiscer dans la conversation de ses amies.

Au bout d’une quinzaine de minutes - pas plus - le serveur revint avec les dernières commandes. Chacun leur tour, la petite bande, parée à prendre du diabète face à cette montagne de sucrerie au ton pastel, le remercia.

— Merci beaucu...coup, merci beaucoup ! dit Eliah - d'une voix forte - frappant ses poings sur la table. Par chance, cette dernière ne bougea pas d'un iota.

Quelque peu désespérée, elle plongea son regard dans ceux du ténébreux, afin de trouver une quelconque rédemption. Ce dernier se racla la gorge, feintant de n’avoir rien entendu et souhaita au groupe une excellente dégustation, puis s’éloigna de la table pour accueillir de nouveaux clients.

Si Eziel observait avec dépit sa jumelle, Héléna se pencha sur le côté, comme pour vérifier quelque chose.

— C’est pas faux ! dit-elle - en donnant des coups de coude à Eliah. Je vois que madame a toujours bon goût.

Eliah soupira - un air faussement désabusé par tant d’absurdité.

*****

La vaisselle terminée, Eziel secoua vivement les mains puis attrapa le second torchon sur sa droite pour les essuyer. Se retournant, il posa ses lombaires contre le rebord de l'évier. À travers l'encadrement de la pièce, il avait un visuel sur le salon, notamment la télévision – une cinématique de jeu vidéo défilait, avant de lancer l'écran de chargement, laissant à sa sœur le loisir de créer son personnage. Le temps que la demoiselle se décide, le frère balaya la cuisine d'un bref regard, s'assurant que toutes ses tâches étaient terminées. Ses yeux s'attardèrent un moment sur la poubelle, où dépassaient deux anses en papier kraft blanc. Un sourcil arqué par une curiosité qui pointait inévitablement le bout de son nez, il s'approcha de la boîte à ordures pour y sortir le sac et fouiller à l'intérieur, trouvant le ticket de caisse. Il décortiqua la facture : pourquoi diable avait-elle besoin de ce genre de bouquins pour trouver le sommeil ?! Foutaise, pensa le jeune homme.

Il jeta un rapide coup d’œil, mais ne vit rien au fond de la poubelle. Il avait une soudaine envie d’inventorier les produits de la salle de bain. Pire, il ressentait un besoin irrésistible de fouiller la chambre de sa jumelle. Or, il refusait de trahir la confiance de sa sœur. L’unique option qui s’offrait à lui était l’affrontement.

L’heure de l’interrogatoire avait sonné.