Pressentant que les heures à venir ne seraient pas productives, s’il restait les bras croisés, Jessy s’empressa de se rhabiller pour rattraper Eliah avant que malheur arrive. Non, ce n’était pas qu’elle fréquentait un homme qu’il le préoccupait, mais, bel et bien ces faits divers qui touchait leur ville de plein fouet, et le fait qu’elle puisse être une cible.
Descendant les escaliers en trombe, il rebroussa chemin, réalisant qu’il avait oublié de fermer à clef. Chose faite, il se dépêcha de quitter les lieux, sautant les dernières marches pour atterrir sur les pavés, longer le couloir et sortir dans la rue.
Prenant directement le chemin de gauche, il perçut sa silhouette non loin du carrefour. Sprintant, il la rattrapa de peu avant qu’elle ne… tombe. Il la rattrapa de justesse. Une voix familière cria le prénom d’Eliah.
À la grande surprise générale, Eziel était là. Le teint blême, ils les dévisageaient, le regard, hasardeux et perplexe de les voir ensemble. Le plus surprenant, c’est qu’il était accompagné de deux inconnus.
– Cette odeur, c’est la même que j’ai perçue au café, déclara la femme – en braquant ses yeux clairs sur Jessy
– Ce n’est pas son odeur par contre… Et elle n’est pourtant pas possédée par un péché, murmura l'autre qui s’approchait d’Eliah.
Jessy reconnut la femme. Enfin, il l’avait seulement croisée, plus tôt, dans le café : les cheveux décolorés et un perméable jaune ciré, ça ne courait pas toutes les rues. Que dire de son – ou sa – camarade… mais le plus déconcertant dans cette histoire était leurs mots… que baragouinaient-ils ?
Quelques heures plus tôt…
Dans ces rues étroites, une personne portant un ciré imperméable marchait à vive allure. Aussi bien la pluie, que ces d'êtres humains aussi insipides, elle maudissait tout sur son passage. Elle s'arrêta à l'angle de la rue, remettant en place les quelques mèches de cheveux polaires sous sa capuche, lisant par la même occasion le nom des panneaux - or avec ce déluge, impossible de décrypter quoi que ce soit. S'assurant que personne ne regardait dans sa direction, elle en profita pour fermer ses yeux bleus un instant. Les paupières de nouveau ouvertes, l'éclat de ses pupilles brillait, lui permettant enfin de repérer le point de rendez-vous. Elle désactiva instantanément sa vision éthérée et se dirigea aussitôt vers la devanture verte qui avait pour inscription « Stormcoffee ».
À l'intérieur, l'individu retira sa capuche, dévoilant une longue chevelure blonde polaire, sublimement ondulée - se remettant subitement en place pour parfaire son visage angélique. Du haut de son mètre soixante-quatorze, s'avançant encore de quelques pas, elle se fit percuter par un type lambda aux cheveux coloré, portant des lunettes sur son nez épaté. Le visage du jeune homme se raidit un instant, tantôt réfractaire, tantôt suspicieux, amortissant la situation et finit par s'excuser - et vice-versa.
Or, contrairement à elle, le gars ne s'attarda pas et s'évapora aussi vite qu'il était apparu dans son champ de vision, laissant une odeur particulière pour la femme, légèrement troublée par celle-ci.
Revenant à ses moutons, la grande blonde balaya du regard la salle et grommela, ne voyant toujours pas son acolyte.
Peu habituée à fréquenter ce genre d'endroit, enfin... N'ayant plus les mêmes coutumes qu'auparavant, elle se massa la tempe, se remémorant de la démarche à suivre dans ce genre d'endroit. Elle balada de nouveau son regard dans la salle, observant attentivement des gens patienter dans un serre-file et se plaça directement derrière eux. Ô, que cela ne lui avait absolument pas manqué... Profitant de cette file d'attente, interminable à ses yeux, elle consulta la carte des menus accrochée au mur derrière le comptoir. « Mon dieu » souffla-t-elle dépitée. Ces bipèdes, dépourvus de personnalité, étaient prêts à boire un café à un prix exorbitant... Elle grogna. Elle aussi allait devoir dépenser une certaine somme juste pour cet entretien. Elle bougonna de nouveau, repensant que son collègue n'était toujours pas là. Consultant sa montre, elle réalisa avec amertume qu'elle était arrivée un poil en avance.
La queue se réduisait petit à petit. Le temps qu'elle arrive jusqu'au barista, elle observa le petit groupe d'individus devant elle. Des parents - espérant avoir un instant de répit - avaient emmené leur marmot surexcité... Avant eux, des pimbêches gloussaient, toujours indécises sur le choix des desserts, cherchant la plus jolie part de pâtisserie à pouvoir partager sur les réseaux sociaux. Jetant un coup d'œil sur sa droite, où le reste de la clientèle déjà servie, buvait leur café - seule ou accompagné. Malheureusement, son regard glacial se posa sur la table du fond, où un tas d'immondices - transpirant la testostérone - se marrait comme des idiots.
Vint son tour. Pas besoin de tergiverser, un ristretto l'aiderait à supporter cette affreuse journée, espérant que son confrère arrive à temps...
— Le prénom ? quémanda l'employé du café.
— Agathe, répondit-elle.
Agathe… Le prénom que ses supérieurs lui avaient assigné après l’avoir recueillie. Elle ne comprenait pas forcément pourquoi, on l’avait désigné - elle - pour acquérir cette identité et pas une autre, encore incapable de saisir toutes les subtilités de ses pouvoirs. Toutefois, elle ressentait un énorme fardeau pesé sur ses épaules, angoisser à l’idée de ne pas réussir dans sa quête.
À son niveau, il était encore normal qu’elle garde quelques émotions humaines, surtout après avoir absorbé son premier péché - du moment qu’elle maîtrisait partiellement son appétit, la hiérarchie leur faisait assez confiance pour rester vertueuse.
Installée depuis quelques minutes, seulement, Agathe ne laissait guère de temps aux aiguilles de bouger d'un iota, consultant constamment sa montre. Au même instant, où elle leva les yeux vers la porte automatique, un être humain entra - la forçant à ronchonner. Combien de temps allait-elle encore attendre ici ?
Quelques secondes, plus tard, un nouveau visiteur fit son apparition - et pas n'importe lequel. « Le pompon ! » Pesta-t-elle en silence. « Depuis quand envoyait-on la bleusaille pour ce genre d'affaires ? »
Elle décortiqua son collègue. Cet idiot à la tignasse d'un vert pâle - et habituellement bouclée - était trempé de la tête au pied, accentuant son air androgyne. Ce même idiot s'évertuait à s'essuyer le visage avec ses manches imbibés d'eau... Le doux visage de la femme se rembrunit quand le bambin se rapprocha d'elle, réussissant à percevoir les couinements de ses chaussures à chaque fois que l'une d'elles atterrissait sur le carrelage.
— Pourquoi toi ? râla-t-elle.
— Agathe salua le jeune homme - se grattant la joue et évitant de croiser le regard de sa collègue.
— Où est Béryl ?
— Béryl à un empêchement, murmura-t-il.
Bien qu’elle conçût que l’organisation priorisait certaines affaires et qu’aucun des subalternes ne pouvait contester l’ordre de leur patron, elle éprouvait une réelle colère à leur encontre. Il lui fallait encore du temps pour assimiler ce second péché…
— Qu'il y a-t-il de plus important à faire pour qu'il m'envoie un conscrit ?
— Je ne sais pas... répondit-il - un air désolé.
Agathe souffla - ne dissimulant pas sa frustration. D'un simple geste, elle ordonna à la bleusaille de s'assoir, le temps qu'elle passe commande.
Pauvre Jade… il n’y est pour rien, pensa-t-elle.
Dans la file d'attente, elle dégaina aussitôt son smartphone pour aller sur l'application de messagerie et incendier son acolyte. Chose faite, elle leva le nez pour faire face à l'individu arrivé précédemment. Plus grand qu'elle, elle se mit sur la pointe des pieds pour voir par-dessus son épaule. Personne... Agathe se racla la gorge, mais l'humain ne semblait pas l'avoir entendu. Les empotés dans son genre avaient le don de la faire sortir de ses gonds, mais elle se contenta d'émettre à nouveau son - bien plus prononcé, tapotant de son index, l'épaule de ce dernier.
— Excusez-moi, c'est pour aujourd'hui ou pour demain ?
L'idiot. Le visage, tantôt réfractaire, devint aussitôt confus - réalisant probablement qu'il s'était perdu dans le fil de ses pensées. « Comment peut-on être aussi indécis pour un simple café ? » marmonna-t-elle tout bas, mais assez fort pour qu'il entende.
Agathe revint avec deux gobelets.
— Je t'ai pris un chai latte, Jacquie, dit-elle sèchement.
— C'est Jade, répondit-il faiblement.
Elle tendit le récipient en plastique à son collègue, qui hocha la tête en guise de remerciement. Il avait déjà sorti sa tablette, muni d'un stylet, prêt à prendre des notes.
Assise, les coudes sur la table, Agathe entrelaça les doigts de ses mains pour poser son menton, examinant dans les moindres détails le visage de son collègue. Il n'avait pas changé en cinq ans. D'apparence juvénile, Jade avait atteint la majorité depuis belle lurette. Ses yeux de biche, légèrement maquillés et des lèvres charnues, lui conféraient un air féminin des plus charmants. Ajouté à ça, son côté naïf, il ne pouvait attirer que la sympathie. C'était la première fois que l'un des membres de l'organisation n'avait pas été autant impacté par la transformation...
Le « gamin » fuyait son regard scrutateur, se concentrant au mieux sur sa tâche - même s'il aurait préféré qu'un autre de ses collègues s'occupe de cette affaire. Une fois le dossier ouvert, il résuma la situation :
— Même si le procédé diffère, le choix des victimes est minutieusement bien choisi. Toutes ont au moins consulté une fois un psy et se sont vu délivrer une ordonnance avec pour seul médicament : du Tilliazépine. Ce médicament loue les vertus du tilleul, mais occultes d'utiliser sans modération la molécule qu'on retrouve aisément dans tous les somnifères. Krys a mis Ambre…
Le simple fait d’évoquer Ambre rendait Agathe encore plus irascible.
– Et Rubis sur le coup, il soupçonne qu'ils aient glissé un troisième « ingrédient », souligna Jade - avec ses doigts.
— Hmm, j'espère pour toi qu'il y a un rapport avec ma mission.
— Justement. On n’émet aucun doute que le Nouveau Chef Suprême soit dans le coup, mais on soupçonne également que les autres parties dont l'Alliance prépare quelque chose de leur côté et qu'une partie d'entre elles, agissent indépendamment de leur chef et justement profitent de ces failles pour gagner en puissance avant une nouvelle débâcle.
— Je vois, murmura Agathe - la main devant la bouche, visiblement préoccupée. Krys a envoyé d'autres de nos confrères et consœurs ?
— Oui. Pendant qu'Ambre et Rubis travaillent dans l'ombre, Céleste et moi sommes envoyés sur le terrain, d'où ma présence.
— Et où Céleste ? s'enquit la dame.
— Pour gagner du temps, elle mène l’enquête et m’envoie les informations que je ne note au compte-goutte, répondit le garçon en levant la tablette.
— Toujours égal à elle-même. Enfin... Pour ma part, reprit Agathe, j'ai déjà supprimé la moitié des lieux, que j'ai pu visiter où il n'y avait pas lieu de s'inquiéter. Des anciens à la retraite pour la plupart. Mais je dois admettre que je suis dans une impasse. Cette ville grouille encore de plusieurs énergies toutes aussi instables les unes que les autres. Impossible de trouver le portail.
Si Jade souhaitait répondre, il se ravisa après avoir entendu le son d'une notification. Vérifiant son écran, il observa Agathe, inquiet, et lui annonça :
— Céleste vient de trouver le portail… et il y a Abigaël.
— Abigaël ?
— Oui, cette Abigaël.
Tant pis pour le café… les deux acolytes partirent en direction du nouveau point de rendez-vous.
Au pied du bâtiment, ils reniflaient à nouveau l’énergie émanant de la vieille Nef. Encore ce matin, elle n’était pas perceptible. À son humble niveau, Agathe pouvait repérer les portails même dormants, mais là… soit, il existait une brèche, datant de milliers d’années, et un puissant démon avait apposé un sceau dessus, permettant de le dissimuler même aux yeux des anges ; soit, l’un d'eux, déjà dans le monde des humains, a réussi à en ouvrir un.
Aucune personne louche ne semblait se poindre à l’horizon. Toutefois, ils ne tarderaient pas à se manifester, car le portail gagnait étrangement en puissance. Les deux acolytes se hâtèrent de rentrer et de rejoindre Céleste, dans la salle des archives, située au sous-sol, retrouvant à ses côtés Abigaël – accompagnés de deux de ses associés.
Il n’était pas difficile de les différencier. Comme ses collègues, Céleste possédait un visage des plus angéliques, bien que… plus adulte, plus mature. La couleur de ses cheveux était un savant mélange de blanc et de bleu céruléen. Et ses yeux ! Ils étaient d’une clarté… À l’époque, elle ne passait pas inaperçue, mais aujourd’hui l’espèce humaine pouvait penser, que cette femme se « cosplay » ou avait des goûts extravagants…
Abigaël était le parfait opposé : cheveux noirs, détachés, yeux sombre, un maquillage charbonneux, cigarette en bouche… ses partenaires et elles portaient leur espèce d’accoutrement noir, semblable à des mercenaires.
Il faisait effroyablement froid… Agathe s’avança vers eux :
– Et bien, ça pour une surprise ! Que fait la Dissidence ici ? s’exclama Agathe – se rapprochant de la rambarde afin de jeter un coup d’œil à l’étage du dessous.
Une boule de lumière émanait du second sous-sol, plus éclatante qu’à l’accoutumée, toutefois l’ouverture n’était pas aussi béante, le portail semblait être en stase.
La concernée ne dit rien, se contenant de croiser les bras. Céleste prit la parole :
– Nos chers amis ci-présents veulent nous mâcher le boulot.
– Oh vraiment ? demanda Agathe – d’un air faussement innocent.
– Vous devriez être content. Ce n’est pas tous les jours que nous prenons parti quand il y a conflit, souffla Abigaël – observant le portail. Comme je disais à cette très chère Céleste, certains de nos collègues ont vu, enfin flairés des changements peu anodins, aussi bien dans le monde des humains, que dans le nôtre…
Céleste commença à partir pour emprunter les escaliers qui donnaient accès à l’étage du bas.
– Oui, enfin ce n’est pas nouveau ça, s’agaça Agathe.
– Oui, sinon pourquoi les Anges, enverraient-ils leurs sous-fifres faire le sale boulot, rétorqua l’autre. Enfin, là n’est pas la question. Depuis le temps qu’il convoitait le trône, le Chef-Suprême a dû s’ennuyer au bout de plusieurs siècles et cherche probablement à assoir sa domination au-delà du Pandémonium. Il a déjà commencé à attaquer des petites bourgades. Sans succès.
– Euh excusez-moi, intervint Jade – trépignant sur place, mais qu’attendez-vous pour fermer le portail ?
– Excellente question petit ! s’exclame Abigaël – nous aimerions bien, mais quelque chose empêche la fermeture. Au moment où nous cherchions la cause, Céleste est apparu, et quelques minutes après, vous voilà.
- Vous êtes là depuis combien de temps ? l’interrogea Agathe.
– Même pas une heure, répondit la démone.
– C’est étrange… murmura-t-elle.
– Je ne te le fais pas dire. D’habitude, on arrive à fermer les portails de l’autre côté, or celui-ci impossible.
– C’est même anormal. D’habitude, un portail dormant n’émet que très peu de lumière ; sinon il est tout simplement ouvert, incandescent.
Agathe ponctua solennellement :
– Aucune chaleur. Aucune odeur de soufre.
Elle se tourna, le regard un peu perdu, avant que ses yeux n'arpentent les cloisons.
– Bon, s’impatienta Abigaël, allez aider la dame en bas, j’ai beaucoup à dire à la dame du dessus.
Les hommes s’exécutèrent sans moufter.
– Maintenant que vous le dites, je ne me rappelle pas d’avoir lu telles anomalies dans les cours d’histoire, s’immisça de nouveau Jade. Je devrais poser la question à Céleste.
– Attends ! somma Agathe.
Une oreille attentive, décelant le moindre bruit aux alentours, elle se rapprocha de Jade – lui tendant quelque chose… d’invisible. Voyant la main vide, Jade resta circonspect, mais Agathe continua son cinéma :
– Nous ne sommes pas seuls. Je viens seulement de percevoir sa présence. Abigaël également. Nous allons nous occuper de son cas, chuchota-t-elle – avant de clamer haut et fort, tu fais bien, si tu pouvais lui donner ça au passage, s’il te plaît !
Elle attrapa les épaules de Jade, et l’accompagna jusqu’aux escaliers, puis elle s'orienta en direction d’Abigaël, qui inclina la tête comprenant où elle voulait en venir. Elles se séparèrent pour capturer le malheureux qui les espionnait.
Comme au bon vieux temps, pensait Agathe quand elle faisait équipe avec Abigaël - autrefois susnommée Kimberly quand elle dépendait encore de l’organisation…
Alors qu’Agathe longeait les premières étagères, prospectant laconiquement les tranches de livres, un grondement résonna dans tout le sous-sol...
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