Quinze heures trente.
Le temps de terminer d’enfiler sa vieille paire d’uranium, Jessy fulminait silencieusement. Le doux bruit d’un moteur se glissa dans ses oreilles, avant qu’on ne lui vienne percuter et se frotter à sa jambe. Cette étreinte suffit à l’apaiser, sans compter qu’un deuxième pot de colle quémanda à son tour de l’attention, un poil jaloux de son frère.
Dépité, Jessy câlina les deux boules de poils en grand manque de câlin et finit par se lever. Il vadrouilla rapidement dans la cuisine : la gamelle de croquette et d’eau était pleine. Il restait suffisamment de quoi les sustenter pour un mois. Les chats continuaient de se cramponner à lui, manquant de le faire bousculer. Jessy se contenta de grogner et vérifiait les derniers placards. Il fallait au moins se ravitailler en pâté, sinon certains crieraient famine, malgré la nourriture abondante.
Avant de quitter les lieux, il vérifia contrôla qu’il ne manquait rien d’autre.
Bientôt seize heures.
L'atmosphère calme et hivernale avait laissé place à un torrent de larmes sur toute la ville.
Il détestait la pluie, surtout en cette saison glaciale. Il détestait la ville et les endroits bondés de monde. Il détestait ne rien voir à travers ses lunettes mouillées, qu'il rangea précautionneusement dans son écrin. En somme, il détestait tout ce qui pouvait nuire à sa tranquillité et se haïssait de ne pas avoir anticipé la météo.
Jessy prit une grande inspiration, se préparant psychologiquement à affronter le monde extérieur, maudissant par la même occasion ses amis qui le poussaient à sortir de sa grotte contre son gré. À en croire le SMS d’Eziel, il sous-entendait qu’il y avait urgence.
Contre vents et marées, il devait traverser quelques ruelles et la grande rue du centre-ville pour s'abriter à la bibliothèque, retrouver ses deux amis, toutefois, il était enclin à s'arrêter en chemin pour prendre un café - il méritait au moins bien ça pour sa bonne action du jour : se socialiser.
« Voyons le côté positif des choses » se convainc-t-il, connaissant avec exactitude le chemin le plus rapide à suivre, se laissant cinq minutes top chrono pour arriver à la première destination.
Aujourd'hui, le café était incroyablement bondé - rare pour un début de semaine.
Devant prendre son mal en patience, il opta pour se promener sur son téléphone, sachant déjà ce qu'il allait commander. Même s'il n'avait rien à faire dessus, il préférait poireauter de la sorte, que de fureter son regard à droite, à gauche - l'observation du monde qui l'entourait, était pourtant une de ces activités de prédilections.
Non pas que les dernières actualités ne l'intéressaient pas, il préféra protéger son mental de toute négativité et lut des articles consacrés à la pop culture.
Alors qu'il fermait une page pour en ouvrir une autre, les dernières nouvelles concernant des crimes en série qui ne cessaient de pulluler sur le home.
Hésitant un instant à appuyer sur le lien, par peur d’être tombée sur un titre putaclic, une voix enjouée le fit sortir de sa bulle : à son tour de passer commande. Pour ne pas changer, il prit la boisson chaude la plus sucrée.
Une fois la commande prête, il attrapa le gobelet pour s'enfuir le plus rapidement possible de la foule, mais il percuta, pas loin de la sortie, une dame - trentenaire à première vue - quasiment trempée de la tête aux pieds. Elle avait réussi à protéger ses cheveux de la pluie grâce à un fabuleux manteau de cire.
Chacun s'excusa, limite à contrecœur, partageant une humeur aussi maussade que le temps à l’extérieur.
Sorti de la boutique, Jessy prit une nouvelle bouffée d'air frais, enchanté de retrouver un brin d'intimité et s'être extirpé de cette gigantesque boîte à sardine.
Maintenant, il lui restait encore une épreuve : atteindre la bibliothèque sous cette cataracte, un Mocha blanc en main.
« Quel connard » s'injuria-t-il - réalisant que la seule chose qu'il l'avait obsédé jusqu'ici était d'éviter le monde. Boire sa boisson sous la pluie était une des pires options et pour couronner sa bévue, il devait la siroter dans le froid. Un jour, il pensera à s’acheter des gants. Ne tergiversant pas plus longtemps, il retourna sous le porche qui donnait accès à l'entrée du stormcoffee et appuya son dos contre le mur en face.
Pendant la dégustation, il avait tout le loisir de se malmener l'esprit sur des choses totalement insignifiantes se questionnant sur sa laborieuse existence, aspirant à une vie d'ermite, si ce n'est quelquefois, il songeait à une fin du monde pour ne plus ruminer.
L'article sur lequel, plutôt, il voulait donner quelques minutes de son temps, obnubilait son esprit.
Décidé à s'informer lui-même de la situation, Jessy parcourut divers journaux sur le Net pour comprendre ce qu'il en résumait sur ces affaires de meurtres encore non élucidés. La majorité des articles commençaient à se mettre d'accord sur le fait, que le ou les criminels travaillaient en bande, mais les policiers ne connaissaient pas encore la raison de ces crimes.
Dans les commentaires, rien de transcendant, toujours les mêmes rengaines.
Un terme attira toute son attention : Tilliazépines.
Une boule se forma dans sa gorge, saccadant sa respiration. Compressant son gobelet, un petit filet de son café gourmand dégoulina le long de bouche jusqu’au menton. Avec sa manche, il s’essuya rapidement les lèvres et secoua le gobelet, avant de siffler les dernières gouttes.
Jessy exhala, écrasant le gobelet au creux de ses mains et chercha du regard une poubelle.
Rangeant le portable dans une poche, la culpabilité pompa toute son énergie. Il se blâmait d’avoir donné les cachets à Eliah, comme si de rien n’était. L’envie ne lui avait pas manqué. Il avait été très bref concernant les effets secondaires, mais la demoiselle s’avérait être une tête de mule – comme son satané frère. Connaissant les caractères et certaines des habitudes de ces deux idiots, ils ne s’informaient peu sur les faits divers. Cependant, Eziel s’était montré très hermétique au sujet de sa sœur et Eliah…
Ils devaient les avertir. La dernière question qui subsistait était : lequel des deux prévenir en premier ? La principale intéressée ou son meilleur ami ; qui malgré tout, serait plus apte à l’écouter ; le convaincre serait une autre paire de manches. Enfin, il devait le rejoindre à la bibliothèque, ce depuis une bonne quinzaine de minutes.
Décidé à évoquer le sujet avec Eziel, Jessy dû à nouveau se motiver pour affronter le déluge.
Sur le chemin, il esquiva du mieux qu'il pouvait les passants, se faufilant telle une anguille lorsque ces derniers s'étalèrent en masse dans la rue.
Terminant de traverser la grande place, il trottina jusqu’au grand théâtre, puis jusqu’au passage piéton. De l’autre côté de la route se trouvaient la vieille Nef et une silhouette familière. Tergiversant sur l’attitude à avoir, il opta pour jouer le mec qui n’avait rien vu, or lorsqu’il passa à côté d’elle, remarquant son visage interdit, les yeux rivés sur le sol, il harponna son bras :
– Eliah ?
Cette dernière, tantôt stupéfaite, le regarda d’un air morne presque amorphe. Elle semblait avoir veillé toute la nuit.
Veillant au grain, Jessy l’emmena, sans demander son avis, sur le trottoir. Il inspecta rapidement la vieille bibliothèque dont il s’était éloigné, notamment pour voir ce qu’il se passait à l’intérieur, mais la luminosité du jour ne permettait pas de scruter à travers les vitres.
– Qu’est-ce que tu m’veux ?
Son intérêt se focalise ensuite sur Eliah. Bouche bée, il fut incapable de s’exprimer immédiatement et lâcha un simple bonjour.
Bras croisés, Eliah toisa Jessy puis lâcha un long soupir et se débina sans demander son dû, possiblement désappointé par la situation. Sans compter que le jeune homme lui emboîtait le pas.
L’appelant à plusieurs reprises, conscient de l’environnement qui l’entourait, il préféra clarifier la situation :
– Je suis censé voir ton frère. D’après son message, il s’est passé quelque chose de grave entre vous deux, dit-il à voix haute.
La demoiselle s’immobilisa, imité par le jeune homme. La gorge qui le grattait, il toussa légèrement, et enchérit de sorte à gagner toute son attention :
– Ça concerne tes cauchemars, baissa-t-il d’un ton.
Bingo. Pivotant parfaitement à cent quatre-vingts degrés.
– J’aurais dû le deviner ! fulmina-t-elle.
Eliah se rua vers Jessy, prête à se mettre sur la pointe des pieds, de façon à être à bonne hauteur pour lui cracher tout son venin, mais elle se ravisa, le dévisageant sévèrement.
– C’est toi. C’est toi qui tout répéter. Toi seul étais au courant que je suivais de nouveau un traitement. Et le secret médical tu connais ?!
Reconnaissant son tort, Jessy hocha légèrement la tête.
J’avais de bonnes raisons, s’insurgea-t-il silencieusement- évitant soigneusement de la regarder.
Grâce au ciel, personne ne semblait espionner leur conversation. Insignifiante aux yeux de la population, pressée par le temps, parfois individualiste ou trop accaparée par leur propre problème. Il s’interrogeait encore de la pertinence de l’avoir sollicité, ne s’étant pas préparé pour un quelconque entretien.
– Il faut que j’y aille, ton frère m’attend à la bibliothèque.
Comme d’habitude, il atermoyait pour éviter toute confrontation. Persuadé de pouvoir s’éclipser, il nota qu’Eliah luttait ostentatoirement contre le sommeil, à deux doigts de vaciller, l’astreignant à faire preuve de vigilance.
– Tu es sûr que ça va ? s’empressa-t-il de demander.
Le visage renfrogné, Eliah acquiesça de la tête. Elle vouait une véritable haine à son égard… Pas besoin de sortir Saint-Cyr pour le savoir.
Irrésolu à partir, Jessy ressassait tous les choix fait jusqu’à présent, bon comme mauvais, ne parvenant jamais à extérioriser toutes ses pensées.
Personne n’était au courant de la véritable raison, pensant à un désaccord puéril des deux parties. À une exception près. Il pouvait compter sur Aoi pour sa discrétion et sa neutralité, or jusqu’à là il n’avait appliqué aucun de conseil et laissé la situation s’envenimer, couard qu’il était.
Un râle s’échappa, sous le regard désorienté d’Eliah ; il ne pouvait s’empêcher d’imaginer des scénarios saugrenus. Son anxiété le submergeait, revenant sans cesse sur cette ordonnance et ces faits divers…
– De toute façon, ça ne change rien au problème, lança-t-il.
Balayant les alentours, il vérifia une nouvelle fois que personne ne les surveillait. L’idée qu’un des tueurs en série espionne Eliah le troublait davantage.
– Peut-on se parler ? Dans un endroit où l’on pourrait être en sécurité ? grommela-t-il.
– En sécurité ?
Arquant un sourcil interrogatif, Eliah n’en demeura pas moins réticente à l’idée de passer du temps en tête à tête avec lui.
Scrutant une énième fois les environs, Jessy se justifia :
– Traduction : il fait froid. Et j’aimerais pouvoir m’acquitter de certaines choses.
Voyant une opportunité s’ouvrir à elle, Eliah répondit :
– J’ai encore du temps devant moi, avant de prendre le boulot. On peut aller au Café des Beaux-Arts - vu l’heure, l’étage est ouvert et il n’y aura pas personne en plein milieu de la semaine.
Jessy approuva, quelque peu rasséné.
En effet, ils avaient le loisir de choisir leur place. Jessy se dirigea automatiquement au fond de la petite salle, côté fenêtre, suivit de près par Eliah, mais s’arrêta en chemin.
Le salon de café, situé dans les mêmes enceintes que le musée, offrait un cadre somptueux, mais finement sobre. L’établissement jouissait d’un grand espace pour mettre en avant des expositions. Proximité de nos deux protagonistes. Ce dernier trimestre mettait en avant un photographe japonais spécialisé dans la photographie animalière et photomontage.
Un cliché attira toute l’attention de la jeune femme : Il semblerait que l’artiste s’est amusé à donner un certain dynamisme, utilisant des couleurs froides légèrement saturées : un serpent aux écailles violacé et le ventre d’un bleu glacé, posé sur une branche, contrastant avec son environnement. Dessous, l’auteur avait laissé une description, enfin une courte citation. Eliah restait dubitative face à ces mots sans queue ni tête.
Encore un poète perdu dans les limbes pensa telle - un œil amateur, sensible à la littérature étrangère, reconnaitrait sans aucun problème un Haiku ...
Inocule son venin.
Un savoir mortel.
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