Par une matinée printanière, alors que le soleil, qui devrait être levé depuis une bonne heure, joue les paresseux sous sa couette de nuages, il y a déjà de l’agitation sous le vieux toit d’ardoise de la maison de guingois des Vertefeuilles, au 13 rue des Pensées Chantantes. Un petit nez constellé de taches de rousseur s’écrase sur la vitre de la lucarne du dernier étage.
« Il pleut ! Trop bien !
- Gabriel, dépêche-toi ! Tu vas encore être en retard à l’école ! »
Pour ne pas perdre de temps, le garçonnet s’élance de son lit en mezzanine sans passer par l’échelle. Il attrape son cartable, le jette sur son dos, sort de sa chambre en trombe, bondit à califourchon sur la rambarde de l’escalier et se laisse glisser d’une traite jusqu’au rez-de-chaussée en criant tel un cow-boy lors d’un rodéo. Un saute-mouton sur la tête de rampe et il atterrit sur ses deux pieds, ses bras levés comme un gymnaste aux jeux olympiques.
« TINLIN !
- Un jour, tu vas te rater et te casser les noisettes… » grince la voix de sa sœur dans son dos, comme il enfile ses bottes en caoutchouc.
Il se contorsionne pour lui tirer la langue.
« Et toi, à force de laisser pousser tes cheveux noirs devant tes yeux, un jour tu verras plus rien et tu te prendras tous les murs dans ta face de méduse !
- Ferme ta bouche, Gremlins ! rétorque l’adolescente.
- Tronche de rideau de douche ! »
Maman sort de la cuisine, un alambic fumant à la main.
« Voulez-vous bien cesser de vous hurler des méchancetés dès le matin ? On se croirait chez les Carabosses ! Maëlle-Lys, laisse ton petit frère tranquille. Et toi, Gabi, peigne-toi avant de partir. »
Le gamin se lèche la main et la passe dans sa tignasse rousse.
« Beeeeaaaah…! T’es dégueu !
- Ben quoi, Albus fait comme ça et personne lui dit rien !
- Albus est un CHAT, Gremlins ! »
La potion de maman vire au rouge et un nuage de fumée noire s’en échappe. Ça, ça veut dire que maman-cocotte-minute ne va pas tarder à exploser et qu’il est temps de prendre la poudre d’escampette.
« Filez tous les deux et tout de suite ! Le Magicobus ne va pas vous attendre !
- Le bus, c’est pour les mouflets. Je vais au collège en balais. » Rétorque l’adolescente.
Elle sort du placard avec fierté la belle monture toute neuve gagnée à la rentrée. Son cadet se faufile à côté d’elle et décroche son ciré jaune et ses lunettes de pilotes.
« Et moi je vais à l’école en volant ! Les balais, c’est pour les têtes de rideaux ! »
Les deux tornades passent la porte en continuant de se disputer.
« Ton pouvoir est nul ! En plus il ne fonctionne que les jours de pluie !
- Ça vaut mieux que ton vieux balais plein de poussière et de poils de chat !
- Tu dis ça parce que t’es jaloux de pas en avoir !
- Alors là sûrement pas ! »
La jeune sorcière enfourche son destrier de ménage, frappe le sol détrempé du talon et décolle dans un tourbillon de trèfles et de pâquerettes. L’écolier resserre les bretelles de son sac à dos, passe l’élastique de ses lunettes par-dessus sa capuche et les ajuste sur son nez.
« Paré au décollage ! »
Il tend les bras sur les côtés, comme les ailes d’un avion, puis s’élance dans le jardin.
« Vrrrrrrrrrrooooooouuuuum… »
Les bottes jaunes courent à travers la pelouse. Un saut à pieds joints dans la grande flaque, et ses semelles décollent juste devant la bordure des pétunias. Le manteau de pluie frôle les corolles multicolores avant de dévier vers le ciel.
« NIIIIIIAAAAAOOOOOOUUUUUH ! vrombit le garçon à réaction en survolant le voisinage.
- DÉPÊCHE TOI ET ARRÊTE DE FAIRE DES BRUITS DE MOTEUR COMME UN DÉBILE ! TU ME METS TROP LA HONTE ! » lui envoie sa sœur avant de foncer rejoindre Mélusine, sa meilleure copine.
Après un dernier tirage de langue bien appuyé dans leur direction, le frangin fonce vers l’institution communale d’enseignement de magie primaire.
Slalom à gauche de la tour de l’horloge, à droite du clocher de l’église, et juste après la fontaine, piquet sur la cour de récré. Galipette aérienne et atterrissage avec un floch au centre d’une flache ! Les filles, éclaboussées, poussent des petits cris aigües.
« GABRIEEEEL ! T’es trop bête ! On est toutes mouillées, maintenant !
- Arrête de rire, c’est pas drôle ! » Ajoute Ambre, les poings sur les hanches.
Ambre, elle l’agace. D’abord parce qu’elle n’arrête pas de se prendre pour une grande, à toujours commander les autres, mais en plus parce qu’elle fait sa star de l’école, depuis qu’elle a son pouvoir. C’est vrai, quoi, y’en a toujours que pour elle ! Et Ambre elle est trop cool gnagnagni, et Ambre son don il est trop stylé gnagnagna… Tu parles ! Elle peut juste faire de arcs-en-ciel en bonbon ! Ça sert à rien qu’à faire des caries et en plus le sucre ça fond sous la pluie. Tu parles d’un arc-en-ciel ! C’est tout pourri ! … Et puis les autres, c’est qu’un tas d’hypocrites : avant, personne ne lui parlait et maintenant ils veulent tous être copains avec elle juste pour avoir du bonbec. Il aimait mieux comme c’était avant, quand elle jouait avec lui, sans cette bande de nullos pour lui tourner autour.
Pour cacher son désarroi, il commence à la singer, mais son imitation est interrompue par la cloche.
Les apprentis magiciens de la classe de Cm1-Cm2 se mettent en rang plus ou moins droit, plus ou moins sagement et rentrent dans la salle dans un semblant d’ordre et de discipline. La maîtresse monte sur l’estrade. Comme toujours, sa robe de sorcière est boutonnée de travers et une araignée pendouille au bout de son chapeau pointu.
« Du calme, les enfants. Aujourd’hui, nous allons apprendre à invoquer votre premier familier. J’espère que vous avez tous réalisé votre maquette… »
Un « ouiiiii » presque unanime lui répond.
« … Jérôme, tu as oublié ? Hé bien dépêche toi de t’y mettre, tu as jusqu’à la fin de la récréation pour terminer. Pour les autres, sortez vos craies et recopiez le cercle d’invocation dessiné au tableau sur votre pupitre. Attention à orthographier correctement les runes ! J’en connais qui en se trompant ont senti la ciboulette jusqu’à leur dix-huit ans ! »
L’anecdote fait rigoler les élèves, puis chacun se concentre dans la crainte d’empester les aromates et de devenir la risée de l’école.
« Tout le monde a terminé ? Bien. À présent, sortez votre travail et posez le devant vous sur votre table, bien au centre du cercle. Hé oui, Serenya, je vois bien que le tien est trop gros ! Je l’avais dit dans la consigne : le familier doit pouvoir tenir dans un cercle de cinquante centimètres de diamètre maximum ! Hé bien tu te mets avec Jérôme et tu refais ton modèle, en plus petit. »
Gabriel est content. Sa maquette à lui est un serpent en chaussettes. Il en a cousu sept les unes à la suite des autres, les a bourrées avec du duvet d’oies et de corbeaux, en plus des simples ramassées et séchées en début d’années. Lui non plus n’a pas fait attention aux dimensions données dans la consignes, mais ce n’est pas grave : il suffit de rouler les anneaux de sa peluche et le tour est joué.
« Elle pue, ta vieille chaussette ! lui chuchote Éric, son ignoble voisin de classe. Regarde, moi j’ai fait un lion qui déchire tout ! »
Un lion, ce truc en carton de chocapic mal découpé ? Quel looser ! Enfin un fauve c’est quand même une bonne idée… Peu importe, un serpent c’est plus pratique : ça se range dans un sac. Et puis ça fera peur aux filles, surtout à Maëlle-Lys et à ses pimbêches de copines.
« Bien, tout le monde est prêt ? Concentrez-vous et répétez la formule que nous avons apprise la semaine dernière. Tous ensemble… 3…4… »
Maîtresse lève sa baguette comme un chef d’orchestre pendant que le chœur des élèves récite l’incantation. La table de Gabi se met à briller de plus en plus fort puis dans une explosion d’étincelles dorées apparaît… Un vrai serpent ! … Mais bien plus petit que la ribambelle de chaussettes. Il doit faire 30 cm et il est rayé blanc et bleu, avec de petits yeux rouges qui rappellent les boutons de la peluche. Il est trop joli ! Satisfait de son œuvre, le jeune sorcier jette un coup d’œil discret à la table d’à côté et pouffe de rire. Le terrible lion ressemble à un chaton tout chétif, avec de trop grandes dents et une touffe de poils gris hirsutes en guise de queue. Il tente de rugir mais tousse et disparaît dans un nuée de poussière grisâtre.
« Éric Granit : Zéro. J’avais bien dit « pas un gros prédateur ». C’est trop compliqué à invoquer pour des débutants. Sacha, ta belette est réussie mais je t’enlève deux points pour la couleur. Je vous avais demandé des animaux ré.a.lis.tes ! Prenez exemple sur Théo : son pigeon répond à toutes les contraintes.
- Mais Maîtresse, c’est pas un pigeon, c’est une chouette pygmée… »
Les enfants s’esclaffent et se moquent du pauvre volatile maladroitement complimenté. Le cancre, lui, fait la tête et jette à son tour un regard torve au bureau attenant.
« Et toi, t’as fait quoi de ta vieille chaussette ? Un vers de terre ? T’aurais mieux fait de faire une grenouille, vu que t’arrêtes pas de jouer dans les flaques !
- Ou un vilain crapaud moche et plein de pustules ! » Surenchérit Pauline, en caressant le petit chiot blanc tout moutonneux qui lui lèche le visage.
Elle lui en veut sûrement encore de l’avoir aspergée tout à l’heure…
Le reptile nouveau-né lève la queue et un tintement cristallin retentit. Les autres élèves se retournent.
« C’est quoi ça ??
- Ben un serpent à clochette ! Je vais l’appeler Sweeny ! »
Pour illustrer les propos de son jeune maître, le petit animal à sang froid agite fièrement la fine cloche dorée accrochée au bout de sa queue. Les enfants éclatent de rire.
« On dit pas un serpent à clochette, on dit un serpent à sonnette ! Ça, ça existe pas !
- Oui, ben ça va, des sonnettes, j’en avais pas… et pis c’est la même chose. » Ronchonne t-il.
D’un geste leste, Éric attrape la petite couleuvre et la secoue dans tous les sens pour la faire tinter. Son propriétaire se précipite pour la reprendre mais son adversaire, plus grand que lui d’une bonne tête, le pousse en arrière en le tenant d’une main par le visage.
« Rends-le moi ! »
La maîtresse se retourne. Aussitôt, le garnement jette le serpent au visage de son maître et prend un air innocent.
« Gabriel Vertefeuille, cesse de faire le pitre et retourne t’asseoir ! Et puis qu’est-ce que c’est encore que cette bestiole ? La consigne précisait "un animal existant à l’état naturel", pas une autre invention de ton esprit fantasque ! Vous me fatiguez tous ! Combien de fois vous ai-je dit que les consignes sont d’une importance CAPITALE ? Les consignes, les consignes et les consignes toujours avant tout, en magie ! Il n’y en a que deux dans toute la classe qui les aient toutes respectées ! Et toi en plus, tu te permets de faire le mariole ! En punition, tu resteras à la récréation pour copier le tableau de classification des runes ! »
La journée se termine enfin. Gabriel quitte l’école en trainant des pieds. Il ne pleut plus, il est obligé de rentrer en marchant. Aujourd’hui aussi, c’était nul. Tout le monde s’est moqué de lui, à cause de son serpent à clochette ; Ambre lui a interdit de lécher son arc-en-ciel et Éric a profité de ce qu’il était puni pendant la récré pour lui piquer ses bottes et les remplir d’eau sous la gouttière. Maintenant, ça fait flic-floc quand il marche et ses chaussettes sont trempées.
Il a envie de pleurer. Il a rabattu sa capuche pour cacher son visage, même s’il ne pleut pas. Ils l’embêtent tous : Ce crétin d’Éric, la maîtresse, Maëlle-Lys, Ambre et même le soleil !
Sweeny se glisse hors de son col pour léchouiller son visage avec sa langue toute fine et fourchue. Il l’avait découpée dans de la feutrine, cette langue. C’est peut-être pour ça qu’elle est toute douce.
« Fiche moi la paix. Les serpents à clochette, ça existe même pas… Ronchonne son jeune maître.
Le familier rabroué se replie piteusement sous son ciré marin.
Un bruit de course dans son dos le tire de ses sombres pensées.
« GAAAAABIIIII ! »
Il essuie son visage en vitesse avant d’être rattrapé par Théo et Sacha, ses deux meilleurs potes.
« On va à la base méga-top-secrète. Tu viens avec nous ? »
Il répond en grommelant, peu motivé.
« Allez, arrête de faire la tête ! Nous, au moins, on les a réussi, nos familiers !
-… Pas comme Éric ! T’as vu sa tête quand son truc en carton a disparu ? POUF ! On aurait dit un vieux pet pourri ! »
Tous les trois éclatent de rire. Ses copains sont trop cool : ils arrivent toujours à chasser sa tristesse.
« T’en fais pas, c’est pas grave qu’ils se moquent. C’est juste parce qu’ils sont tous débiles et jaloux ! »
Gabriel acquiesce. Sacha sait de quoi il parle : Le pauvre, tout le monde le raille depuis la révélation de son premier pouvoir, au début de l’hiver, celui d’éternuer des paillettes. Et aujourd’hui, il a certes invoqué une belette… mais elle est toute rose. À cause de ça, c’est sur lui que la bande des affreux se défoule le plus, dès que les maîtresses ont le dos tourné. Malheureusement, ses deux amis ne font pas le poids pour l’aider à se défendre… Et comme Gabi n’était pas là à la récré de ce matin, ils lui ont mis la misère…
« Mais je me suis vengé : je leur ai éternué dessus et ils ont été couverts de paillettes roses ! Après ça, heureusement qu’Ambre s’est interposée parce que sinon, ils m’auraient massacré, c’est sûr !
- Et tu as vu, tout le monde a pas arrêté de dire qu’ Archimède est un pigeon, alors que c’est même pas vrai ! C’est une chouette pygmée ! Répète Théo en caressant la petite boule de plumes perchée sur son épaule. »
Lui aussi a droit à son lot de coups de poings et coups de pieds. Sous prétexte qu’il a de bonnes notes et s’intéresse à plein de choses, les trois terreurs le traitent d’« intello » et le martyrisent. Ses lunettes ont déjà été cassées six fois depuis la rentrée. Heureusement qu’il a appris un sort pour les réparer.
« C’est parce qu’ils n’y connaissent rien. Elle est super mignonne, ta chouette. Et aussi, Gab’, moi je le trouve super, ton serpent à clochette ! Ajoute Sacha en rougissant un peu.
Sweeny tinte timidement depuis la capuche de son propriétaire en réponse.
« Moi, je sais pourquoi elle est rose ta belette : elle te ressemble ». Lui lance celui-ci pour le taquiner.
Le teint de son copain vire à l’écarlate.
« Allez ! Le dernier à la base a perdu ! » Crie Gabriel, remonté à bloc.
Les trois garçons se remettent à courir ensemble. Ils arrivent hors d’haleine au chêne qui cache leur cabane perchée. Comme d’habitude, c’est le propriétaire de Sweeny, le plus agile de la bande, qui escalade en premier le tronc du cèdre d’à côté puis saute sur la grosse branche de leur arbre pour lancer à ses camarades l’échelle de cordes. Ils la gardent repliées en leur absence ; ainsi leur repère reste à l’abri de leurs ennemis.
« Un jour… On saura… Tous voler comme toi… » souffle le garçon à la chouette en gravissant péniblement les derniers échelons.
Après que ses comparses l’ont hissé sur le plancher disjoint en bois de palettes, chacun rejoint sa place préférée pour dévorer son goûté : le hamac en vieux filet de pêche pour Gabi, les cagettes de fruits reconverties en coffre au trésor pour Sacha et le bureau un peu bancal presque pas cassé pour Théo.
Une fois reposés et rassasiés, ce dernier décrète un conseil de l’état major d’urgence. Tous les trois se réunissent donc en cercle sur leur tapis élimé.
« L’heure est grave ». commence le cerveau de la petite troupe.
Sur sa tête, son oiseau fronce ses sourcils emplumés pour appuyer la solennité de ses paroles.
« Y’en a marre de se faire ratatiner par ce butor d’Éric et ses idiots de potes ! Y’en a marre qu’ils fassent punir Gabi ! Y’en a marre qu’ils harcèlent Sacha juste parce qu’il aime le rose et les paillettes ! Y’en a marre qu’ils cassent mes lunettes ! Et y’en a marre que tout le monde se moque de nos pouvoirs alors que les leurs sont encore bien plus nuls ! »
Le serpent à clochette et son maître marque leur approbation en tintant et applaudissant à tout rompre mais celui de la belette rose intervient timidement :
« … Oui… Enfin… Lui, il peut transformer ses poings en pierre, c’est quand même pas si nul que ça…
- Si, c’est tout pourri ! Grommelle Gabriel. C’est rien qu’un pouvoir de grosse brute sans cervelle !
- De toute façon, lui et sa bande, ils terrorisent toute l’école pour cacher qu’ils sont rien que des tocards, et c’est tout. Mathieu, il peut juste voir à travers les murs, ce sale vicelard !
- Et Frank, il sait créer des courants d’air, mais il s’en sert que pour claquer la porte de la classe et soulever les robes des filles…
- Tu vois bien, c’est juste des gros nazes. » conclut Théo.
Sacha acquiesce avec gravité.
« T’as raison. Et après ça, ils osent insulter ton pouvoir de connaître un livre rien qu’en touchant sa couverture alors que c’est génial !
- Ils peuvent me traiter d’intello, j’m’en fiche. En quoi c’est une insulte, d’être intelligent, en plus ?
- C’est parce que ces crétins, l’intelligence, ils ne connaissent pas ! Raille Gabi. Ils savent à peine ce que c’est qu’un livre. Y’a de fortes chances pour qu’ils sachent même pas comment on s’en sert ! »
Ils rigolent ensemble jusqu’à ce que le cerveau du groupe recouvre son sérieux coutumier.
« Bon, je reprends. Donc il nous faut un plan contre ces abrutis.
- Moi je sais ! Lance le gamin volant.
- Houlà… Commente aussitôt le troisième comparse à mi-voix, un peu trop accoutumé aux projets catastrophiques de son ami.
- Attends, cette fois, c’est une idée sérieuse ! Pour leur montrer à tous de quoi on est capables, on va devenir les magiciens les plus puissants de l’univers ! »
Théo s’esclaffe.
« Rien que ça !? Tu serais pas un peu mégalo ?
- … Bon disons les plus puissants de la terre, alors… »
Ses deux amis rient de plus belle.
« Du pays ? … De la région ? tente t-il de modérer.
- Disons de la classe, ce serait déjà un bon début.
- Tu manques d’ambition ! De l’école ! Au moins !
- … D’accord pour l’école. accepte enfin la jeune tête pensante. Sans compter les maîtresses, bien sûr. De toute façon, ça revient au même, puisqu’on est dans la classe des plus grands. Même si nous, on est que des CM1, ça doit être jouable…. Et puis de toute manière, qu’on y arrive ou non, ça nous fera pas de mal de travailler plus sérieusement.
- … De travailler… ??? Répète Gabriel en plissant le nez.
- Ben oui ! Tu comptais y arriver comment autrement ?
- Je pensais invoquer d’autres familiers, mais sans les consignes idiotes de la maîtresse… On recopie les cercles mais en géant et on fait apparaître des dinosaures ! … Par exemple. »
Le petit serpent, apeuré, se glisse sous un pli du tapis, aussitôt rejoint par la belette.
« Ou une licorne ? Demande Sacha, les yeux brillants d’excitation.
- ET une licorne ! »
Leur leader s’éclaircit la gorge.
« Super super super super super…
- …Super idée ? Complète le gamin à la tignasse ébouriffée.
- Super super MAUVAISE idée ! finit son camarade. Si la maîtresse nous a donné ces limites, c’est pour une bonne raison ! Un animal trop gros, trop agressif ou trop imaginaire, c’est plus difficile à maîtriser. Alors imaginez une licorne ou un dinosaure !
- … mais c’est même pas imaginaire, un dinosaure… bougonne le rouquin, déçu.
- Ça reste BEAUCOUP trop gros et trop belliqueux. En revanche… »
Le petit génie laisse sa phrase en suspens, regardant ses deux copains du coins de l’œil. Ils se penchent vers lui, suspendus à ses lèvres.
« En revanche quoi ?? Insiste Gabi, impatient.
- En revanche, on peut toujours faire progresser nos familiers actuels pour en faire LES PLUS BADASSES DU MONDE ! »
Pour toute réponse, il a droit à une ovation générale.
« … Ceci dit, même ça, ça implique d’étudier. Et sérieusement, même. »
Son copain hausse une épaule.
« … Tant que ça n’implique pas de recopier ce fichu tableau des runes…
- Le recopier, non, le connaitre, oui. »
Sacha pouffe.
« Ah ben ça, pas de problème ! Avec toutes les punitions qu’il a eues depuis le début de l’année, Gab’ le connaît par cœur, pas vrai ? »
Celui-ci acquiesce, dépité.
« … Et est-ce qu’on pourra développer nos pouvoirs, aussi ? Poursuit-il. Parce que j’aime bien les paillettes, c’est vrai ; mais mon pouvoir, c’est quand même la loose…
- N’importe quoi, contre Théo. Les paillettes ça peut devenir redoutable ! T’as jamais entendu parler de Cornélie-Maille, la sorcière effrayante qui changeait les siennes en limaille de fer aussi tranchante que des lames de cutter ?
- TROP STYLÉÉÉ ! Tu ferais des confettis d’Éric !
- … C’est un peu trop violent, ça, non… ? »
L’après-midi se termine sur l’élaboration d’un programme d’entraînement méga secret et surtout infaillible pour devenir les meilleurs du monde pour l’un ; simplement les meilleurs de l’école, pour Sacha et Théo.
Et dès le lendemain matin, les garçons se retrouvent pour le mettre à exécution, chacun apportant sa pierre à l’édifice : Le savoir académique de Théo, le nez toujours plongé dans les livres, l’énergie inépuisable de Gabriel et la persévérance de Sacha, indispensable pour soutenir l’effort de longs mois durant.
Le printemps passe comme une giboulée, et déjà le soleil d’été réchauffe la campagne et évapore les flaques d’eau. Un mercredi après-midi, alors que la petite bande de copains doit se réunir pour poursuivre ses mystérieuses activités, Sacha déboule au quartier général couvert de poussière, le genou et les mains en sang, tout essoufflé.
« Ça y est ! Ils ont recommencé ! Ils m’ont attaqué ! Ils m’ont fait tomber de mon vélo ! Après, Frank a utilisé son pouvoir pour gonfler mes pneus jusqu’à ce qu’ils éclatent et Éric a écrabouillé ma sonnette Hello Kitty entre ses deux poings ! »
Gabi saute aussitôt sur ses pieds.
« VENGEANCE ! »
Théo, qui s’est précipité avec la trousse de secours, nettoie les écorchures de son ami avec un spray désinfectant et du coton.
« Tu… tu crois vraiment qu’on est prêts ? S’inquiète le blessé en essuyant la glu pailletée qui coule de son nez.
- Un peu qu’on est prêts ! On est surentraînés comme des supers-héros !
- On a tous fait des progrès miraculeux, toi y compris. confirme l’infirmier du groupe. On va leur mettre la misère, ils vont rien comprendre !
- À L’AAATTAQUE ! »
La clochette de Sweeny se met à sonner à toute volée pour appuyer les paroles de son maître.
« Pas si vite ! tempère aussitôt le cerveau du trio. Pour gagner sans se faire punir, il nous faut une stratégie parfaitement rodée !
- Une quoi ?
- Un plan pour être sûr de les atomiser ! Faites-moi confiance : j’ai lu « l’Art de la Guerre ». J’ai pas tout compris, mais ça m’a donné des idées… »
L’apprenti Sun Tsu étale au centre du tapis une carte dessinée aux crayons de couleur autour de laquelle se regroupent ses complices et leurs familiers.
« Nous passerons à l’offensive demain, avant l’école ! »
Le lendemain, Gabriel est réveillé dès les premiers rayons du soleil. Le nez collé à la vitre, il laisse Sweeny se glisser dans la manche de son pyjama étoilé et ressortir par son col pour se pelotonner dans sa tignasse rousse. Il saute alors de son lit, se change à la va-vite, attrape son cartable, saute sur la rambarde, glisse jusqu’en bas, se réceptionne comme un gymnaste, enfile ses tennis déjà lacées et attrape ses lunettes de pilote dans le placard de l’entrée.
« Hé Gremlins, il ne pleut pas, aujourd’hui. Tu vas devoir encore aller à l’école à.pied ! » le nargue Maëlle-Lys, depuis la cuisine.
L’ignorant avec superbe, il ajuste ses verres sur ses orbites puis se précipite à l’extérieur. Là, il se positionne sur la pelouse devant la fenêtre, face à la table du petit-déjeuner. En fixant bien sa sœur droit dans les yeux, d’un petit bond, il décolle en douceur. Il se stabilise à hauteur du toit pour adresser un pied de nez à son aînée médusée, puis fait volte-face et vole comme un avion à réaction. Cette fois, il prend à droite de la tour de l’horloge et s’arrête pour toquer au carreau de la chambre de Sacha.
« T’es prêt ? »
- Oui ! Prêt comme jamais à leur botter les fesses !
- Alors on y va ! Théo doit nous attendre à la grille. »
L’instant d’après, les deux amis se retrouvent à la porte et prennent par voie terrestre le chemin de l’école.
Leur complice s’y trouve déjà, un livre à la main.
« C’est bon, j’ai surveillé, on est les premiers. On va leur faire rendre gorge devant toute l’école !
- Ouais ! L’heure de la revanche a sonné ! »
Les garçons font leur check de guerre secret, décidés à en découdre.
Dix minutes plus tard, Archimède arrive à tiré d’aile en hululant de toute la force de ses petits poumons.
« Ennemi en approche ! Tous à vos postes !»
Le premier saute du mur de l’enceinte et se campe solidement sur ses jambes au milieu de l’allée sablonneuse, le second enfonce sa casquette sur ses sourcils et le troisième crache son malabar à la fraise dans les buissons.
Le soleil est déjà haut dans le ciel. Il rend le chemin presque éblouissant. Enfin, trois paires de baskets soulèvent la poussière dans l’air dilaté par la chaleur. Un virevoltant roule entre les deux groupes adverses.
« Alors, la bande des minables, vous avez trop peur pour rentrer dans la cour de récré ? C’est pas grave, on peut vous faire manger vos dents dehors si vous préférez ! » Lance Éric, un sourire mauvais sur les lèvres.
Gabi s’avance courageusement, pointant sur ses adversaires un index accusateur.
- C’est vous qui allez cracher vos chicots si vous remboursez pas les chambres à air et la sonnette du vélo de notre pote ! »
Les trois affreux lui rient au nez.
« Tu crois quand même pas qu’on va acheter des trucs pour son sale vélo de fille ! En plus, si elle veut un truc, elle a qu’à le demander comme une grande !
- Sacha est une filleuh ! Sacha est une filleuh ! » se mettent à brailler ses deux acolytes.
Mais le sus-nommé, loin de se dégonfler, vient se poster à côté de son ami.
« Un peu oui, que je te le demande moi-même ! J’ai pas peur de toi et de tes grosses brutes de copains !
- Ah ouais ? C’est ce qu’on va voir ! »
Le garnement fait craquer ses phalanges avant de les métamorphoser en pierre et avance sur notre trio, sûr de sa force, ses complices sur les talons.
« Tu vas faire pipi dans ta culotte de fillette ! Et après, ce sera ton tour, le rouquin ! Et celui du binoclard qui se cache derrière vous avec son pigeon ! »
Le dernier garçon provoqué s’avance à son tour, le doigt posé au milieu de sa monture.
« Pour la dernière fois, c’est une chouette, sombre crétin !
- J’vais te casser tes lunettes et te les faire bouffer pour cette insulte, l’intello ! Grogne le fier à bras en remontant ses manches.
- Gab’, à toi de jouer. souffle le stratège de la bande. »
Le petit serpent bleu et blanc sort part la jambe de pantalon de son jeune sorcier. Il file droit vers la bande adverse et s’arrête à mi-chemin, sifflant et agitant furieusement sa clochette dorée.
« Ton vers de terre est censé me faire peur ? Vas-y, Simba, règle-lui son compte ! »
Un chaton tigré saute des épaules d’Éric et approche du reptile en feulant de colère.
Notre héros tend la main vers son animal et lui crie :
« Sweeny, attaque Titan ! »
Le reptile se redresse, s’étire, s’allonge, s’enfle, et devient aussi gros qu’un anaconda. Le poil du matou se hérisse et il court à toutes pattes se réfugier dans le cartable de son maître, qui est au moins aussi paniqué que lui.
« … Changement de programme, les gars, on s’arrache d’ici !
- Pas si vite ! lance Théo en ouvrant son album illustré.
- Tu veux faire quoi, tête d’œuf ? Nous lire une histoire ? Lui crache Frank avec mépris.
- Précisément. Une histoire sur les brachiosaures. Montre-leur, Archimède. »
Le rapace prend l’ouvrage entre ses serres et vient voler de manière à couper la retraite à la bande de gredins en culottes courtes.
« Les selles de brachiosaure pouvaient peser jusqu’à mille trois cent soixante kilogrammes. » récite sentencieusement le jeune mage.
À ces mots, un énorme monticule de caca se matérialise en dessous du livre - que l’oiseau rapporte ensuite à son maître. Celui-ci lance à leurs ennemis un ultimatum :
« C’est votre dernière chance ! Remboursez les dégâts que vous avez fait sur le vélo ou vous le regretterez !
- Tu rêves ! On se soumettra jamais à des loosers comme vous ! Allez, les mecs, jetons-leur des cailloux ! s’écrie Mathieux en ramassant une pierre.
Théo lève son manuel devant lui comme un bouclier.
- Sacha, à toi MAINTENANT !
- Éternue une seule paillette sur moi et je te pète le nez ! » Hurle Éric en lançant une caillasse dans sa direction.
Mais avant que le projectile n’ait pu l’atteindre, son adversaire décrit un grand cercle autour de lui avec une jolie baguette rose terminée par une étoile nacrée. Aussitôt, un tourbillon d’étincelles multicolores apparaît, entoure le petit magicien et dévie la pierre.
« Attention ! Il va te mettre plein de trucs de filles dessus ! » s’alarme Frank.
Tout costaud qu’il soit, Éric recule. Sacha réapparaît, vêtu d’un justaucorps arc-en-ciel et d’une jupette pastel.
Les racketteurs en herbes s’écroulent de rire.
« Il est vraiment devenu une fille ! Il est vraiment devenu une fille !
- Oui, et vous allez le regretter ! Lance t-elle, sûre d’elle, en pointant son sceptre sur eux. Ça, c’est pour tous ceux que vous avez tapés ! ÉTOILE D’ATHÉNA ! PUNIS LES MÉCHANTS ! »
Un énorme faisceau de lumière jaillit du bâton magique, passe au dessus du serpent géant et frappe les garnements de plein fouet. Ils font un vol plané en arrière et tombent tête la première dans l’énorme bouse préhistorique.
Un hourra général s’élève de la cour de récré.
« Et pour finir, le coup de grâce ! »
La belette rose fonce à toutes pattes vers les garnements comme ils s’extraient péniblement de la montagne d’excréments, lève sur eux sa petite queue et d’un petit pet les asperge de paillettes roses et dorées.
Victoire ! Les petites brutes s’en retournent chez elles puantes, pleurnichantes et scintillantes.
« Ceux là n’embêteront plus personne ! Et si jamais ils le refont, appelez-nous, on leur réglera leur compte ! » Lance Gabriel à l’assemblée des élèves.
Les enfants se précipitent par le portail en criant leur joie et portent leurs champions en triomphe. Ambre leur donne même à chacun un petit arc en ciel rien que pour eux !
Nul doute qu’ils sont devenus les sorciers les plus puissants de l’école… Et qui sait, peut-être du village, du pays… et même du monde !
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