Un soleil rouge.
Des voitures déjectant un épais brouillard de pollution, s'entassant en file indienne.
Des scooters qui se faufilent jusqu'au feu, prêts à démarrer.
Des cris d'une école maternelle.
Un chien qui aboie et qui urine le long d'un panneau : « impasse ».
En face de l'école, un monument à la façade blanc sale, le mur travaillé de sculptures recouvertes d'une fine poussière grisâtre. Une inscription surplombante en lettres dorées affichait fièrement : « conservatoire de musique ».
C'est ici, que la semelle d'un escarpin du pied gauche et à la couleur grise frappa le sol, d'un clac saisissant et sévère, suivit de la semelle de la chaussure droite qui vint s'aligner parfaitement et parallèlement à la première . Il était 17H53.
Une main ferma la lourde porte en fer de ces lieux, et plongea aussitôt dans un petit sac à main en cuir de vachette afin d'y prendre un paquet de cigarettes. Elle en sorti ce long roulé de tabac qu'elle apporta, tremblotante, à de fines lèvres colorées d'un rouge passé. Elle l'alluma ensuite avec un briquet de marque et de la fumée vînt s'ajouter aux nuages environnants.
Ses yeux étaient embués de larmes qu'ils tentaient de retenir. Mais sans succès, car une goutte réussi malgré eux, à entamer sa course folle à partir du coin externe de l'oeil droit, accéléra le long de la joue et débuta son plongeon infernal avant de terminer sa chute en s'explosant sur le bitume.
La main essuya maladroitement la traînée que la larme avait laissé contre la peau et la bouche aspira avec plus d'ardeur l'air que lui procurait la cigarette.
Elle fit son travail jusqu'à ce que cette tige en feu fût complètement consumée. Puis, elle écrasa avec un peu trop de force le mégot, faisant voler les cendres en éclat.
La main retomba ensuite près des hanches, puis entama son long travail de balancier.
Cette main, elle appartenait à Violaine Dauphin.
Vu de dos, cette femme semblait guère grande et ses cheveux noirs étaient attachés en chignon bas.
Elle portait avec elle un instrument, certainement un violon au vu de la forme et de la taille.
Un dîner était prévu pour le soir. Elle du s'activer afin de terminer les préparatifs à temps. Tout devait être parfait.
L'appartement était au quatrième étage d'un immeuble qui en contenait sept. Il était de style hausssemanien mais refait à neuf, lumineux avec de grandes fenêtres ornementées. Il ressemblait à ces appartements que l'on pouvait retrouver dans les magasines de décoration. La cuisine où Violaine Dauphin se trouvait était spacieuse avec un plafonnier de cristal.
Une porte s'ouvrit, et son mari entra bruyamment, claquant la porte, parlant fort. Il semblait être au téléphone car une voix plus lointaine, résonna dans toute la pièce. Il enleva son manteau, raccrocha et balança le mobile sur le plan de travail. Ses sourcils étaient froncés.
- Ces agents me donnent du soucis !, gronda-t-il, Ce n'est plus possible de trouver des salariés compétents de nos jours ?
Il ne regardait pas Violaine, en fait il n'attendait aucune réponse.
- Que se passe-t-il encore ?, demanda doucement la jeune femme en découpant une carotte avec précision
Le mari lui répondit d'un long monologue en s'exprimant de temps à autres avec de grands gestes ou en tapant la table avec le bout de son index avec humeur afin d' appuyer ses propos. Violaine écoutait silencieusement.
- Ne pense plus à ça, lui disait-elle, Tu n'as pas oublié que Morgane vient nous rendre visite ce soir ?
- Ah, oui. Je serai dans mon bureau, tu m'appelleras quand ce sera prêt.
Violaine secoua la tête et déposa délicatement les légumes dans la poêle préalablement chauffée.
Le mari allait pour s'en aller puis se rappelant soudainement de quelque chose, fit volte face. Ah! Il s'est souvenu!, se dit-elle. Mais son espoir allait être déceptif.
- D'ailleurs, je suis dans l'obligation d'annuler notre dîner demain soir.
- Ah ?
- J'ai un gros projet qui se prépare comme je t'en avais parlé, qui va demander beaucoup de travail en amont. Il va falloir investir corps et âme pour le mener à bien.
- On avait pourtant prévu cette soirée depuis un...
- Je sais, et cela me navre beaucoup. Mais l'argent ne tombe pas du ciel!
- Evidement, rétorqua Violaine en hachant les oignons
Il resta là quelques instants, ne sachant quoi ajouter. Puis, saisissant son téléphone et se ressaisissant les esprits, se dirigea vers son bureau.
Ce fut le silence.
Persistaient le bruit des casseroles, l'eau bouillante, les carottes frémissantes, le bruit du couteau ciselant le bois.
On sonna à la porte.
Les commissures de Violaine Dauphin s'élargirent lorsqu'elle vit entrer la longue silhouette filiforme de Morgane Mizcovitch. Cette dernière la salua d'une voix vive et courba son dos de manière presque comique afin de lui baiser les joues. Ses cheveux aériens occupaient presque tout l'espace qu'ils pouvaient autour d'eux. Morgane demanda si son mari était là, Violaine répondit qu'il était parti dans son bureau et qu'il les rejoindrait certainement plus tard. Mais, cela était une manière polie de dire qu'il ne serait pas de la soirée, elles le savaient toutes les deux. Violaine remarqua alors qu'elle tenait dans sa main un énorme bouquet de fleurs aux couleurs flamboyantes. Morgane suivit son regard, et le brandit au même instant sous son nez. Je crois qu'on a quelque chose à fêter!, avait-elle dit. Mais au vu du regard de Violaine Dauphin, Morgane Mizcovitch compris. Violaine lâcha son couteau, ses membres se remirent à trembler et son visage se mouilla pour la deuxième fois de la journée. Morgane lâcha aussitôt le bouquet de fleurs qui s'écrasa au sol avec un bruit souple et se précipita vers Violaine Dauphin, bras écartés. Mais Violaine Dauphin leva une main comme pour dire de ne pas faire un pas de plus.
- C'est sûrement les oignons qui me font faire des réactions allergiques, avait-elle dit de manière un peu trop vive
- Me dit pas qu'ils t'ont refusé, je n'y croirais pas !
- Je suis arrivée deuxième sur la liste. Ils m'ont reproché mon matériel. Tu avais raison, j'aurais du investir dans un meilleur violon.. mais en ce moment l'argent...
- Ho, non me dit pas que c'est à cause de ça!
- Non pas seulement. Ils m'ont aussi dit que mon interprétation était parfaite...
- Mais?...
- Que ma musique n'avait aucune âme.
- C'est ça, tu ne te laisses pas assez aller. Tu es trop dans le contrôle, c'est ça qu'ils ont voulu dire je suis sûre. Il faut que tu apprennes à moins intellectualiser et à vivre ce que que tu joues. On ne veut écouter la perfection, on veut sentir ta sensibilité. Tu dois te livrer. Parce que le talent tu l'as! Tu as été primée plusieurs fois tout de même...
Violaine se mordilla la lèvre et sorti trois assiettes qu'elle disposa côte à côte.
- Tu sais quoi, je te propose de commencer dès demain ! C'était une mauvaise idée ces fleurs, laisse moi t'offrir ce violon dont tu mérites. J'aurais du le faire depuis longtemps.
- Morgane..., dit Violaine Dauphin en se tortillant
- Je ne te laisse pas le choix ! Ce sera mon cadeau pour ta prochaine audition !
Morgane Mizcovitch pris alors les assiettes en main que Violaine avait préalablement remplies et les disposa sur la table.
- Je vais chercher le travailleur, lui dit Violaine en se dirigeant vers un pièce cachée de la salle à la manger.
Elle arriva devant une porte où sortait un certain tumulte. Elle frappa. Personne ne lui répondit. Elle frappa de nouveau. Un « OUI » retentit à en faire trembler les murs. Violaine Dauphin ouvrit précautionneusement la porte. Elle entra dans une pièce grise claire, avec un long bureau remplit de grands écrans d'ordinateur et de dossiers triés et rangés.
- Un instant, fit l'intéressé à son téléphone en le mettant sur « muet », qu'il y a-t-il Violaine ? Fais vite, j'ai un investisseur qui attend
- Le repas est prêt, tu m'avais dit de te prévenir donc...
Il balaya l'air d'un geste brusque de la main, comme pour se débarrasser de quelque chose.
- Malheureusement j'ai encore beaucoup de travail, ne m'attendez pas.
- Mais j'avais préparé ton repas préféré...
- J'apprécie l'attention, et je suis sûr que vous allez vous régaler. Du reste je n'ai pas faim. Maintenant si ça ne t 'ennuie pas... (Il repris l'appel et ajouta dans un murmure) Bonsoir à Morgane de ma part !
Violaine resta là quelques instant, avant de repartit d'où elle était venue.
- Laisse moi deviner, il ne viendra pas dîner avec nous c'est ça ?, lança Morgane lorsqu'elle la vit revenir non accompagné
- Oui, le pauvre est très occupé ces temps-ci, lui avait répondu Violaine d'une voix éteinte
- C'est vrai que je ne l'ai jamais vu aussi impliqué dans son travail...
Violaine ne répondit rien et commença à piquer un légume en jetant quelques regard furtifs vers la chaise qui était restée vide.
Le reste de la soirée passa. Morgane parla beaucoup, elle rit beaucoup aussi. Elle fit quelques autres remarques sur la « mine » de Violaine qu'elle trouvait de plus en plus inquiétante. Si ça continue comme ça tu vas finir par faire peur aux morts ! Elle semblait trouver sa remarque amusante car elle reparti derechef dans un nouvel éclat de rire.
On se dit qu'on se reverrait le lendemain pour acheter son nouveau violon.
Morgane partie, Violaine fit la vaisselle et rangea les restes dans l'énorme frigidaire rectangulaire. Puis, elle alla se coucher. Son mari la rejoignit plus tard dans la soirée, à 2h36, la dernière lumière de l'appartement s'éteignit.
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