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tome 1, Chapitre 15 « Une Couleur Tombée du Ciel » tome 1, Chapitre 15

Lui aussi, la figure tournée vers le ciel couleur hiver voyait descendre l’oiseau au plumage gris cendre. Majestueux, il se posa en tête de la procession. De la taille d’un homme, il poussa une longue plainte, tandis qu’il balayait la foule du regard. Nul doute qu’il avait deviné sa présence, car il l’avait senti s’attarder sur sa personne. Mais plutôt qu’une impression de bonté, c’était un sentiment inquiet, obscur qui s’était emparé de lui, lorsque leurs yeux s’étaient croisés. L’avait-il lui aussi ressenti, ou alors ces émotions n’appartenaient-elles qu’à lui ? Désireux de paraître aussi sincère que possible, il se rappela les images de Gamayun, plongée jusqu’à la taille dans l’onde glacée. Pendant ce temps, la procession avait pénétré le temple, toujours accompagné des coups sourds des tambours, lui fermait la marche. Lorsqu’il eut à son tour disparu, l’on referma les lourdes portes de bois et de métal. Comme Domovoï, il se serait volontiers mêlé à la foule des fidèles. Néanmoins, l’impression de malaise qu’il avait éprouvé lorsque son regard avait croisé celui de l’homme-oiseau ne s’était toujours pas dissipée. Il aurait désiré s’en ouvrir à son compagnon, si son instinct ne cessait de lui murmurer de ne rien en faire, comme l’inquiétude mal dissimulée de cette femme qui sculptait dans la glace.

Sirin avait offert la prospérité et l’abondance de leur récolte en échange d’une naissance. Que demander alors en échange d’une protection ?

Songeur, Vuk fixait le temple, s’interrogeant sur la nature du pacte qui liait les habitants de Severnoy à leur protecteur. À côté de lui, les enfants de tous âges exprimaient leur enthousiasme. Pourtant, il n’arrivait pas à se départir de l’impression qu’un secret au moins aussi terrible liait ces gens à cette créature. Refrénant l’envie de quitter les lieux et de s’éloigner de la place, il demeurait stoïque. Les lèvres scellées, il s’interdisait de prononcer la moindre parole. Soudain, les portes s’ouvrirent en grand et un cri immense jaillit des centaines de poitrines réunies. En tête de cortège, Alkonost marchait la figure haute, puis il déploya ses ailes avant de bondir en direction du firmament, où bientôt il ne fut plus qu’un point minuscule. Il remarqua alors le silence qui s’était emparé de l’assemblée, les tambours s’étaient tus, les chœurs aussi ; tous se recueillaient. Troublé, il préféra s’éloigner accompagné de Domovoï, dont les traits exprimaient l’inquiétude. Silencieux, ils cheminèrent dans un village presque entièrement vide de ses habitants. Par instant, il croyait surprendre des silhouettes inquiètes derrière certaines fenêtres, mais ce n’était qu’un jeu d’ombres et de lumières. Soudain, ce n’était plus un lieu plein de vitalité et d’enchantements qu’ils traversaient, mais un sentier décharné, longé par la Smorodina, qui les conduirait aux portes du trente-neuvième royaume. Mortels, porteurs de lumières, il avait la sensation de les voir s’enfoncer dans un territoire semé de mort et de désolation.

Serait-ce là le secret de ce village ? Des morts maintenus en vie par sa magie, afin de lui subvenir ?

Vuk poussa un long soupir, comme ils approchaient des remparts qui ceignaient la ville.

— Tu me sembles bien inquiet, mon garçon, murmura Domovoï.

— Ne le seriez point, vous-même ? lui rétorqua-t-il.

Silencieux, il n’ajouta rien, tandis qu’il se retournait. De nouveau retentissaient les clameurs, les tambours résonnaient, les voix s’élevaient.

— Peut-être devrions-nous nous joindre à la population. Sûrement organisent-ils un banquet.

Vuk haussa les épaules ; il semblait hésiter. Les yeux tournés vers le sommet de la montagne, il fixait la crête inquiète. De l’autre côté, il savait trouver un château, un château où vivaient Gamayun et sa mère. Baissant la tête, son regard croisa celui de Domovoï, puis acquiesça d’un hochement de circonstances. Comme, Domovoï l’avait supputé, de larges tables avaient été dressées devant l’auberge, tandis que d’immenses brasiers réchauffaient l’atmosphère glacée. Cependant, ni l’un ni l’autre ne se départaient de l’étrange malaise qui les avait saisis lors de la cérémonie.

Assis à côté d’un groupe d’adolescents, Vuk préférait garder le silence, délégant le soin à Domovoï d’animer la conversation, malgré l’insistance d’une jeune fille à regarder de plus près son pendentif. En son for intérieur, il se demandait qui, de sa personne, ou de son bijou, l’intéressait le plus. Toutefois, peu désireux de la renvoyer sans aucun égard, et briser par la même tous ses espoirs, il passa la chaîne autour de son cou, avant de le déposer au creux de ses paumes.

— La ressemblance est frappante, murmura-t-elle.

Vuk se souvint alors de la remarque de l’un des garçons à son propos.

— Pourquoi ?

Devenue écarlate, la jeune fille se recroquevilla sur elle-même.

— L’un de tes amis m’a dit qu’il ressemblait à Alkonost, mais que son regard était différent. En quoi le serait-il ?

Silencieuse, elle fixait la sculpture puis la lui rendit, ses mains s’attardant plus que de raison sur les siennes.

— La couleur, elle est différente ; elle n’est pas tombée du ciel, souffla-t-elle, avant de piquer du nez dans son assiette encore pleine.


Texte publié par Diogene, 18 juillet 2022 à 14h05
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