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tome 1, Chapitre 12 « La Promesse de Ognjen » tome 1, Chapitre 12

Cependant, jamais le métal ne rencontra la chair ; un poing l’avait cueilli à la mâchoire. Le corps bâti par le travail de forge, une barbe démesurée envahissait le visage de celui à qui appartenait cette main salvatrice.

— Vous devriez avoir honte ! s’époumona-t-il. Toutes ces années, vous n’avez su que gémir, vous lamentez, que vos premiers nés fussent offerts en sacrifice à Sirin. À aucun moment, vous n’avez osé rompre ce pacte qui nous lie tous à elle et maintenant qu’il n’est plus, vous vous retournez. Vous avez menacé notre eubage ! Vous m’avez accusé d’avoir libéré Ptitsa, l’Oiseau de feu ! Vous avez tenté d’assassiner un étranger parce qu’il posait des questions à son sujet. Honte à vous ! Vos ancêtres ont travaillé la terre, comme les miens ont bâti cette maréchalerie. Du métal, je fabrique vos outils, je répare les socs de vos charrues.

Désormais, je ne forgerai plus, jusqu’à ce que vous eussiez médité sur vos erreurs.

Désarçonnée, l’assemblée demeurait immobile. Face à eux, Ognjen les toisait du regard, les bras croisés sur la poitrine.

— Vous n’êtes que des lâches, lâcha-t-il. Attaquer quelqu’un dans son sommeil, vous en prendre un vieil homme, venir me lyncher en foule au lieu de me provoquer. Et toi, Władysław ? Toi qui as ordonné que fût capturé Ptitsa, l’Oiseau de feu. Qu’aurais-tu obtenu s’il n’en avait été autrement ? Notre village aurait été anéanti. Maître Domovoï n’a-t-il point tenté de t’en dissuader ? Maintenant ! disparaissez tous, avant qu’il ne me vienne l’envie de jouer de mon marteau sur vos têtes à tous.

À reculons, l’assemblée se dispersa peu à peu, puis s’éclipsa.

— Maître Domovoï, jeune homme ! Merci encore. Je me sais de taille à me défendre, mais contre une foule aveugle, j’ignore ce qu’il serait advenu de moi. À présent, permettez que je sois votre hôte pour la nuit, je ne saurai comment vous remercier, vous qui avez sauvé mon fils Micha.

— Il est peut-être une manière dont vous pourrez vous acquitter de votre dette, maître Ognjen. Néanmoins, nous aurons tout le temps de nous en entretenir demain. En attendant, pourriez-vous m’aider à le conduire jusqu’à une couche ? Je dois encore panser ses blessures et resserrer ses attelles, lui répondit Domovoï, comme Vuk chancelait sous le poids de ses derniers efforts.

D’un hochement de tête, le forgeron acquiesça. Glissant ses bras sous épaules et sous ses genoux, il l’emporta avec lui au travers de la maréchalerie. Passé les degrés d’un escalier, ils débouchèrent dans une large pièce, au centre de laquelle crépitait un feu généreux. Dans un berceau, non loin de l’âtre, un bébé, sur lequel veillait une femme au regard triste, dormait.

— Luba ! ce jeune homme est à bout de force. Pourrais-tu lui apporter une couverture, que nous l’étendions prêt du foyer ?

Une caresse sur le front de son enfant, puis elle se leva tandis qu’elle faisait signe à deux petites filles qui jouaient un peu plus loin. Penchée, elle leur murmura quelques mots à l’oreille, puis elles se sauvèrent pour revenir un instant plus tard, traînant derrière elles une large peau d’ours. Aidées par leur père, elles glissèrent Vuk, dont la métamorphose était inachevée, dessus, avant de le rouler à l’intérieur.

— Père. Qui est cet homme dont le corps ressemble à celui d’un oiseau.

— Il s’appelle Vuk, leur répondit Domovoï. Désirez-vous que je vous raconte son histoire ?

— Oh oui ! s’exclamèrent les fillettes.

Ognjen le remercia, puis rejoignit sa femme qui préparait le repas. Le dîner consommé, ils partagèrent ensemble une pipe, puis se couchèrent. Le lendemain matin, Domovoï demanda aux jumelles, Snežana et Kalina, de surveiller Vuk et de l’empêcher de se lever tant qu’il ne serait pas revenu. Enchantées, les deux petites filles sautèrent de joie, puis se blottirent contre la peau de l’ours.

— Maître Domovoï, l’entretint Ognjen, tandis qu’il descendait à la forge. Vous m’avez dit que je pourrai m’acquitter de la dette immense que j’ai envers ce jeune homme. Quel est-il ?

Pour toute réponse, Domovoï découvrit la pièce de tissu qui enveloppait la tiare de Sirin.

— Par tous les dieux ! L’Osenniy !

— En effet, Ognjen. Avant de mourir, Ptitsa nous a ordonné que fût forgée dedans une serre semblable à celle que Vuk possède à son pied droit. Cela vous effraie-t-il ?

Fasciné, Ognjen tendit sa main vers la couronne, sans oser la toucher.

— N… non… balbutia-t-il.

— Oh ! se reprit-il. Donnez-moi quelques jours, une semaine tout au plus, et il en sera fait.

La couronne entre ses doigts, il la fixa un long moment avec révérence, avant de la plonger dans le cœur déjà rougeoyant de sa forge, d’où s’échappait une épaisse fumée. Pendant ce temps, il avait choisi avec soin ses instruments, car frapper le métal de l’Osenniy exigeait les outils les plus fins et les plus sûrs. Ainsi qu’il l’eût affirmé, une semaine durant il œuvra, battit, trempa, recommença, ne s’arrêtant que pour manger et embrasser ses enfants.

Cependant, un matin qu’il maniait le marteau, actionnait le soufflet sur le cœur de la forge, une silhouette inquiète s’avança en sa direction.

— Que me veux-tu, Zlata ? lança-t-il, alors que son bras s’apprêtait à frapper le métal.

Muette, elle brandissait une faux devant elle, mais Ognjen l’ignorait.

— Il est inutile de venir me déranger. J’ai dit que je ne forgerai plus et c’est ce que je fais. En ce moment même, j’œuvre. Retourne donc vois ton mari et dis-lui que j’accepterai le jour où il m’aura présenté ses excuses.

Effrayée, la femme se sauva bien vite et ne revint pas. Quelques jours plus tard, alors qu’il achevait son travail, il aperçut Gniewko qui s’en arrivait furieux.

— Hé bien ! Que me veux-tu encore, Gniewko ? J’ai dit que je ne forgerai plus.

— Il y a que tu mens, Ognjen. Que fais-tu ? sinon forger cette chose que tu tiens dans ta pince.

Serein, celui-ci posa la serre sur son établi et sortit de sa forge. Il devinait sous les plis de son habit, la large poignée d’un couteau de chasse.

— Serais-tu venu me voir parce que ta lame est émoussée ?

Furieux, Gniewko se contenait autant qu’il lui était encore possible.

— J’ai dit que je ne forgerai plus. Je n’ai pas dit que je n’œuvrerai plus. De plus, si tu me tues. Puisque, telle semble être ton attention, qui réparera ta faux cassée, ton rasoir émanché, ou qui fabriquera un nouveau chandelier pour les veillées. Penses-y avant de me frapper.

Rouge, presque écumant de rage, les poings serrés, Gniewko soutint un long moment son regard affable, avant de céder et de tourner les talons, sa femme à ses côtés qui le pressait de questions.


Texte publié par Diogene, 3 juillet 2022 à 15h19
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