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tome 1, Chapitre 10 « Le Serment de Ptitsa » tome 1, Chapitre 10

Silencieux Vuk obéit, puis suivit Domovoï pendant qu'il montait les degrés d'un étroit escalier en colimaçon, qui s'enfonçait dans les hauteurs. Branlantes, les vieilles marches grinçaient à chacun de leur pas. Baignés dans une lueur écarlate, les murs semblaient peignés de sang, tandis que les portraits suspendus paraissaient ceux de démons grimaçants. Enfin, il poussa une lourde porte, derrière laquelle se découvrait une pièce minuscule ; au centre dressait un antique guéridon. Au-dessus se balançait une cage de fer, à l'intérieur de laquelle, un oiseau, de la taille d'un gros geai pourvu d'une queue démesurée, dormait.

— Ptitsa ! appela Domovoï. Ptitsa !

Mais celui-ci l’ignora, préférant rabattre une aile sur sa tête. Au même instant, des coups sourds retentirent dans les fondements de la bâtisse, tandis que des voix s’élevaient du dehors.

— Domovoï ! Ouvre ! ordonnaient-elles, alors que les coups redoublaient. Nous savons que l’étranger s’est introduit dans le temple et qu’il est venu libérer, Ptitsa, l’Oiseau de feu, fils de Sirin.

— Ouvre, ou nous allons mettre le feu !

Dans sa cage, Ptitsa demeurait immobile, indifférent.

— Pourquoi vous préoccuper de mon sort, humain ? Ce n’est pas moi qui fus assez sot pour passer un pacte avec ma mère, encore moins tenter de la fléchir en m’enlevant.

— Il est vrai, Ptitsa, l’Oiseau de feu, fils de Sirin. Cependant, si tu ne m’accordes point de ton regard, aide au moins ce jeune homme à vaincre Sirin et libérer Zapadnoy de leur peine.

— Encore une fois, je n’ai que faire de vos querelles. Vous et vos ancêtres avez préféré sacrifier vos premiers nés en échange de l’abondance. La vie pour vos semblables n’est-elle que l’assurance d’une bonne récolte dans un champ, une ligne dans un livre de compte ?

En bas, les voix s’étaient tues. Par une lucarne, Vuk les aperçut s’éloigner en direction de l’auberge.

— Ptitsa. Je connais le secret de ses villages. Au village de Yuzhnoy, j’ai rencontré ton frère Stratim qui m’a narré votre histoire, de même que la punition infligée à votre sœur Gamayun, parce qu’elle est tombée amoureuse d’un mortel.

— La peste soit de notre mère ! jeta-t-il d’un ton aigri.

— Ptitsa, j’ai entrepris mon voyage dans ces contrées, pour la revoir et la remercier de m’avoir sauvé ce soir-là. Au village de Zapadnoy, Stratim m’a fait don de sa force et j’ai vaincu votre mère, lui arrachant le Letniy. Comme Stratim me l’avait ordonné, j’ai fait forger cette serre que je porte à mon pied droit, ainsi que ce pendentif que j eporte autour du cou.

En contrebas, les voix rugissaient de nouveau :

— Donnez tout ce que vous avez ! hurlaient-elles, tandis que les murs tremblaient.

— M’aideras-tu, Ptitsa ? Oiseau de feu, fils de Sirin, frère de Gamayun ! Me prêteras-tu ta force, pour libérer ta sœur de ses fers ?

Un temps silencieux, son regard croisa celui du jeune homme.

— Qu’il en soit ainsi Vuk, fils de Dusan, fils de Zora. Ouvre cette cage et suis-moi.

Aussitôt Domovoï sortit un trousseau de son épaisse robe de bure ; un instant plus tard, Ptitsa se tenait sur le rebord de la lucarne.

— Dépêche-toi ! Je vois que ces hommes se préparent à donner leur ultime coup de boutoir ; ils ne tarderont plus.

— Maître Domovoï, saisissez-vous de mes épaules. Vous ne méritez point ce sort, auquel vous semblez vous résigner.

Le vieil eubage parut hésiter. Nerveux, il jetait des regards anxieux sur les portraits gravés dans le bois. Puis, comme à regret, il passa ses bras noueux autour du cou de Vuk qui achevait sa métamorphose. En contrebas, il apercevait les villageois qui vociféraient, brandissant leurs torches en tout sens devant leur impuissance. S’élevant toujours plus haut, ils s’éloignèrent rapidement, avant de gagner le cœur de la forêt profonde. Face à un flanc de falaise, Ptitsa piqua soudain et disparut, avalé par la bouche obscure d’une grotte affleurante. Surpris, Vuk faillit se fracasser contre la paroi rocheuse, quand une plume, aux reflets de vif-argent, passa sous ses yeux.

— Gamayun, songea-t-il, tandis qu’il s’engouffrait à son tour dans l’ouverture.

Dans les profondeurs, il apercevait l’aura de feu qui émanait de Ptitsa. Toujours blotti contre ses épaules, Domovoï relâcha alors son emprise, puis se laissa glisser sur le sol froid.

— Comment vous sentez-vous, maître Domovoï ? s’enquit-il.

— Je crois que cela ira, jeune Vuk. Même si ce n’est pas une aventure que je souhaiterai tenter de nouveau.

L’eubage appuyé sur son épaule, ils cheminèrent jusqu’au fond de la grotte, où les attendait Ptitsa. Perché sur la pointe d’une stalagmite, il fixa un long moment Vuk, dont quelques plumes se collaient encore de ses bras.

— Vuk, ma sœur t’a fait don d’une pierre d’automne, n’est-ce pas ?

D’un hochement de tête, la singulière chimère, qu’il était, acquiesça.

— Confie-la moi je te prie, je m’en vais te faire présent de ma force.

Avec précaution, Vuk ôta la bourse qu’il portait de son cou et l’ouvrit, pour en dévoiler le contenu.

— Gamayun, soupira l’Oiseau de feu, lorsqu’il découvrit les trois plumes qui gisaient à l’intérieur.

Puis, sous les yeux médusés de Domovoï, qui ne put se retenir de pousser un cri, il se fendit la poitrine, avant d’en arracher le cœur, qu’il déposa au creux de la main de Vuk. Il s’empara ensuite d’une pierre couleur rouille qu’il plaça au sein de son poitrail.

— Vuk, mange mon cœur ! il t’apportera la force nécessaire pour vaincre ma mère. N’oublie pas, c’est dans sa tiare que réside son pouvoir. Quand tu lui auras ôté, tu devras la rapporter.

À ces mots, Vuk s’exécuta. À peine l’eut-il avalé que des langues de feu se répandirent dans son être, cependant que dans ses veines coulait, à présent, une lave incandescente. Inquiet, Domovoï voulut tendre une main vers lui, mais Ptitsa l’en dissuada.

— N’en faites rien, maître Domovoï, car vous risqueriez de vous blesser. Nous ne pouvons que le veiller et attendre que la magie cesse d’opérer.

Le vieil eubage releva l’expression, mais n’ajouta rien, chassant comme il le pouvait le sommeil qui venait. Hélas, vaincu, il s’assoupit, sous le regard miséricordieux de Ptitsa, qui fit jaillir de la terre un lit de mousse pour le soulager de sa peine. Lorsqu’il se réveilla, la nuit étirait toujours ses rets. Pourtant, il lui semblait avoir dormi tout un jour durant. Posée sur une pierre sèche, une plume luisait doucement, baignant la pièce dans un halo de chaleur bienvenu. Hagard, il appela Vuk, puis Ptitsa. En vain, cependant que des cris fusaient depuis l’extérieur. Appuyé sur un bâton qu’il avait découvert couché à côté de lui, il se dirigea vers l’entrée de la grotte.


Texte publié par Diogene, 28 juin 2022 à 23h03
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