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tome 1, Chapitre 9 « Les Ombres de Zapdanoy » tome 1, Chapitre 9

Le soleil était encore haut lorsqu'il se présenta à l'entrée du bourg, où patrouillait un garde esseulé, auquel il demanda où se situait l'auberge. Chemin faisant, il tentait de découvrir quelle maison pourrait abriter Ptitsa, l'Oiseau de feu. Parfois, il croisait un villageois et l'interrogeait sur la présence récente d'étranges feux-follets, en vain. Taciturnes, ceux-ci lui répondaient toujours par la négative, cependant qu'il sentait peser sur lui des regards lourds de soupçons. À l'auberge, plutôt que de demander une chambre, il s'enquit de la possibilité de dormir dans les écuries, ce que l'homme derrière son comptoir accepta de suite. Vuk le remercia puis suivit sa femme qui le conduisit dans la grange, situé à l'arrière du bâtiment. Sitôt rentré, il improvisa un épouvantail avec ses vêtements et sa besace qu'il bourra de paille. Puis, il le plaça au cœur d'une meule de foin, avant de s'enfuir, nu dans la nuit, sa bourse autour du cou, sa serre entre les mains. Dissimulé derrière un épais fourré, il la glissa à son pied, puis appela l'esprit de Stratim qui, désormais, sommeillait en lui. Aussitôt, une vive douleur lui saisit l'échine. Courbé, endurant la souffrance, il sentait la métamorphose s'accomplir. Quand elle eut pris fin, il déploya ses ailes, puis se percha sur la cime d'un vieux chêne, dont la ramure surplombait Zapadnoy. Visible dans la nuit, à présent tombée, il apercevait les flammes dorées qui enveloppaient l'une des habitations, tandis qu'une troupe munie de torches se dirigeait vers les écuries. Il ne doutait pas que la supercherie serait découverte sitôt le jour levé, aussi s'envola-t-il en direction de la chaumière.

En fait de maisonnée, il reconnut un temple dédié à quelques divinités. Perché sur l'un des rebords de pierre, il vit une silhouette attablé. Habillé d'une robe taillée dans un épais tissu, il paraissait inquiet, ne goûtant guère son repas, pourtant appétissant. Appréhendant une fenêtre mal fermée, Vuk en poussa le battant, puis se faufila à l'intérieur, avant de se cacher dans un recoin d'obscur.

— Bon sang ! Je pensais avoir fermé cette fenêtre, soupira l'homme, comme il s'approchait de l'huis la main tendue.

— Quelle folie de leur part, marmonnait-il. Croire que Sirin nous épargnera, parce que nous détenons l'un de ses fils. Elle détruira tout le village, plutôt.

Cependant, il ne poursuivit pas qu'une violente série de coups ébranlait la porte.

— Maître Domovoï ! appela une voix de dehors.

— Allez-vous cesser de me tourmenter ? rétorqua-t-il.

— Je suis navré, maître Domovoï, mais je dois m'assurer de sa présence.

À contrecœur, l'homme s'avança vers le lourd panneau de chêne, puis tira le massif penne de métal et livra le passage à une femme emmitouflée dans ses lainages.

— Entrez ! maugréa-t-il. Et me direz-vous pourquoi vous venez encore me persécuter ? La culpabilité qui me ronge ne vous suffit pas, qu'il vous faut encore vous introduire chez moi.

— Je m'excuse encore une fois maître Domovoï. Mais un étranger est arrivé ce soir au village et il a posé des questions au sujet de feux follets qui brûleraient la nuit venue.

— Je vois, pesta-t-il. Officie et déguerpis.

— Merci maître, s'empressa-t-elle de répondre, alors qu'elle courait au fond de la salle.

Quelques instants plus tard, elle ressortait.

— Es-tu satisfaite ? jeta-t-il

— Oui, maître. Je ne vous dérangerais plus.

Sur ces mots, l'homme poussa un profond soupir, puis repoussa le pêne. Il demeura face à la porte quelques secondes, avant de s'en retourner à son repas qu'il ne réussissait pas à achever.

— Maître Domovoï ! l'appela alors une voix.

— Encore ! s'emporta-t-il. Cela ne vous suffit pas d'être venu encore ce soir.

Se dirigeant à grands pas vers le panneau, il s'arrêta net dans son élan, lorsqu'il réalisa que la voix provenait de l'intérieur du sanctuaire.

— Qui m'appelle ? reprit-il d'une voix blanche.

Mais personne ne lui répondit. Soudain, un corbeau, au ramage plus noir que la suie, s'envola, puis se posa sur sa table. Stupéfait, il s'approcha de l'oiseau qui ne parut pas s'effaroucher de sa présence.

— Est-ce toi qui m'as appelé ?

Pour toute réponse, l'oiseau sauta à terre et lorsqu'il releva la tête, l'animal avait disparu, à la place se tenait devant lui un jeune homme nu.

— Toutes mes excuses, maître Domovoï, répliqua-t-il avant que celui-ci ne pousse un cri qu'il retint de justesse.

— Par tous les esprits ! Qui es-tu et que ma veux-tu ?

— Je m'appelle Vuk et je suis à la recherche de Ptitsa, l'Oiseau de feu, fils de Sirin que j'ai vaincue le dernier jour de l'été.

— Vaincue, dis-tu ? lui objecta Domovoï d'un ton acide. Aucun mortel ne pourrait accomplir un tel exploit.

— Pourtant il en a été ainsi. Examinez donc cette serre que je porte à mon pied droit, elle a été forgée dans le Letniy, de même que ce corbeau ceint autour du cou.

Sceptique, Domovoï s'approcha, cependant que sa surprise allait grandissant.

— Me croyez-vous à présent, maître Domovoï ?

— Ou... oui... oui... balbutia-t-il, se retenant de justesse sur le coin de la table. Alors c'est toi qui es arrivé au village, posant toutes ses questions au sujet des feux follets.

Vuk acquiesça d'un hochement de tête.

— Je connais le secret de ce village. Vos ancêtres ont jadis passé un pacte avec Sirin, d'abondantes récoltes en échange d'un nouveau-né.

— Le premier de l'année, en effet.

Domovoï secoua la tête.

— Cependant, cette année il fut décidé de lui résister, mais plutôt que de renoncer à l'abondance, ils ont préféré capturer son fils Ptitsa et la menacer. J'ai tenté de les raisonner, de leur expliquer que cela nous conduirait à notre perte à tous, en vain. En outre, il fut décrété que je serai son gardien, car ils savent que je n'ai plus leur âge.

— Libérez-le, alors ! Qu'avec son aide, je puisse vaincre Sirin et qu'elle vous laisse enfin en paix. Je reviendrai une fois ma tâche accomplie, car je ne doute pas qu'ils vous prennent à partie.

— Tu es quelqu'un de juste Vuk. Suis-moi. Tu n'auras qu'une journée devant toi. Demain soir sera le dernier soupir de l'automne, Sirin s'en descendra de son château et s'en viendra voler le petit Micha.

Par précaution, il poussa un autre verrou, puis ferma un à un les volets, tandis qu'il soufflait les bougies, n'en gardant qu'une avec lui. Soucieux, il attrapa une étole qu'il rangeait sous l'autel, puis la tendit à Vuk.

— Elle ne sera pas tout à fait à ta taille, mais ainsi tu ne prêteras plus à sourire aux esprits.

— Merci, murmura le jeune, comme il s'habillait.

— Maintenant, si tu veux bien me suivre, l'invita-t-il, un chandelier à la main.


Texte publié par Diogene, 8 mai 2022 à 12h13
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