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tome 1, Chapitre 45 « Le Château de Lumière » tome 1, Chapitre 45

Ainsi se passèrent les jours, où chaque fois qu'elle s'éveillait elle trouvait un nouveau repas, tandis que dans l'atelier résonnaient toujours les coups. Cependant, comme pour pouvoir à son ennui, de toutes aussi invisibles mains que celles qui lui servaient son déjeuner, d'autres lui proposaient des ouvrages, qu'elle lisait avec entrain.

Combien de jours se succédèrent ?

Elle n'aurait su dire. Sans doute, le sortilège de Stratim les affectait eux aussi, à moins que ce ne fût leur propre magie. Toutefois, un matin l'homme, Svarog, s'en vint la chercher. Le visage en sueur, il l'avait invité à le suivre. Gamayun avait acquiescé, puis l'avait précédé ; en bas, Morana l'attendait. Disposés sur une large table en chêne, un masque et un cercueil d'airain luisait dans la pénombre.

— Merci Morana. Merci Svarog.

— Pourquoi nous remercier, Gamayun. Nous n'avons fait qu'œuvrer, car telle était notre destinée.

Mais Gamayun secoua la tête.

— Cela ne fait rien.

Puis se saisissant de la figure d'acier, elle le déposa au fond de la cage de métal qu'elle referma.

— Merci, répéta-t-elle alors que Svarog poussait la porte.

De l'autre côté, un vieillard à la mine enjouée la salua.

— Bonjour Gamayun, murmura-t-il d'une voix douce. Svarog et Morana vont te conduire à Iria, où ils ouvriront un passage vers Mir derev'yev.

— Stratim...

Mais son frère l'avait fait taire d'un geste.

— Ne parle pas en vain, petite sœur.

— Merci, Stratim, soupira-t-elle, avant de courir pour rattraper Morana et Svarog, partis en direction des remparts du château de Ad.

Dans le village, nulle part elle ne voyait de cadavres ou d'habitants en fuite. Non ! Il n'y avait personne, sinon les échos de combats brutaux, les ombres d'incendie furieux. Sûrement, Stratim les avait-il enfermés dans une boucle de temps, ainsi que le lui avait laissé entendre Svarog ; le sortilège ne se briserait dès lors qu'ils auraient compris de leurs erreurs. Attristée, elle poursuivit sa marche, cependant que, non loin du moulin, elle aperçût la silhouette obscure de l'église. Son pas ralenti, elle s'arrêta un instant. Le cercueil posé sur le sol, elle contempla un long moment le lugubre bâtiment qui, en son temps, avait été le témoin d'horreurs sans nom.

Quelle folie s'était alors emporté de ces hommes et de ces femmes qui, après les avoir massacrés, avaient dévoré leurs semblables ?

Qu'ils fussent divinités, immortels ou humains, ils étaient pareils, car tous pouvaient connaître la peur et tous devaient la redouter ; du clair-obscur de la terreur peut naître les monstres les plus effroyables.

Navrée, Gamayun avait secoué la tête, puis avait repris son chemin. Il ne lui appartenait pas de réparer leurs égarements ; ils devraient apprendre. Passé le pont-levis, elle découvrit une cour silencieuse, taiseuse, presque ombrageuse, alors même que leur mère n'était plus. Les yeux toujours vers le donjon, elle croyait voir Plamen, en compagnie de Ludmilla qui auraient servi les plats, tandis que Jagoda aurait présenté les vins ; dans les ténèbres, Pesochnik errerait, accompagné de Nemandja.

Et sa mère que ferait-elle ? Serait-elle en train de dodeliner de la tête dans la bibliothèque ? Ou bien serait-elle penchée sur sa boule de cristal, à contempler le monde au travers des prunelles de Marzanna ?

Étrangement, elle ne ressentait nulle peine, nul chagrin à son égard ; elle s'était égarée depuis bien longtemps déjà.

Et Vuk, où serait-il ? Dans la serre à soigner les rosiers ? Dans le jardin, assis au bord de l'étang, comme elle se souvenait, désormais, l'avoir surpris tant de fois ?

Dans sa poitrine, son cœur se serra, tandis qu'elle raffermissait son emprise sur le cercueil d'airain, avant de s'enfoncer à son tour dans le labyrinthe, jusqu'au chemin emprunté jadis par Nemandja, avant que leur mère ne lui coupât la langue. Dans la grotte, semblables à des statues de sel, agenouillés face à face, Svarog et Morana, leurs paumes en vis à vis, avaient ouvert le passage.

— Notre tâche s'arrête là, Enfant de Sirin, Sœur de Stratim, Ptisa et Alkonost, avaient-ils récité de concert.

Leurs voix, soudainement lointaines, semblaient venir de temps oubliés.

— Merci, souffla-t-elle tandis qu'elle traversait le seuil en direction de Mir derev'yev.

De l'autre côté, étendu sur l'herbe humide, la figure baignée par un rayon de soleil, Vuk paraissait dormir, veillé par quatre spectres. Silencieuses les quatre silhouettes s'étaient écartées, tandis que Gamayun s'avançait. Le cercueil déposé sur le sol, elle l'ouvrit et en sortit le masque d'airain.

— De la tiare de ma mère, j'ai ordonné que l'on forgeât ce masque, murmura-t-elle, comme elle le disposait sur le visage de son amour.

— De mes fers, des mains humaines ont façonné cette enveloppe de fer.

Alors les quatre mères l'entourèrent, puis chacune glissa ses mains sous le corps endormi. Elles le soulevèrent, puis le déposèrent à l'intérieur avant de le refermer.

— Un an durant, je veillerai sur lui.

À ces mots, les quatre mères s'emparèrent de la bière, puis la dissimulèrent au cœur de cet arbre creux qui lui avait autrefois servi de refuge.

— Aussi longtemps que tu veilleras, je demeurerai, avait alors conclu la quatrième.

— Merci, mères

Silencieuses, les trois mères acquiescèrent, tandis qu'elles franchissaient le seuil qui les séparait du monde noir ; seule resterait Mater Nocturnis, si semblable à elle avec sa figure ébène et sa chevelure ivoirine.

L'été se passa, achevé, il se para des couleurs rousses de l'automne naissant, puis se fana tout à fait. Ensuite s'en vint Ptitsa, qui lui remit une flamme, qui ne périrait jamais, puis il s'en alla, car il en était ainsi de sa nature. Au premier flocon, annonciateur de la morte-saison, Alkonost lui apporta des vivres, cependant qu'il lui narrait des histoires, afin de la détourner de son attente. Lorsqu'il n'était pas là, Mater Nocturnis, lui racontait des contes nés du monde noir. Quand enfin l'hiver s'éclipsa, elle ouvrit le cercueil.

À l'intérieur, Vuk avait recouvré les couleurs de la vie ; le masque ainsi que ses serres et son bec avait disparu. Sur son torse, le trou noir de son cœur absent s'était estompé, cependant que de ses prunelles avaient pris les teintes d'une couleur tombée du ciel.

— Bonjour, Gamayun, sourit-il, comme il la découvrait. Ne t'avais-je point promis que je resterais avec toi.

Trop émue pour parler, Gamayun le serra dans ses bras et l'embrassa, cependant qu'il lui rendait son baiser. Sorti de son cercueil d'airain, il s'agenouilla alors sur les bords de la rivière, puis plongea la main dans son reflet.

— Te souviens-tu ? murmura-t-il. C'était une nuit d'hiver. Depuis des mois, je te guettais. La première fois que je te surprenais, je marchais à peine, mais toi, déjà, tu volais. Je voulus te suivre. Hélas, je n'avais point d'ailes comme toi, alors il me fallait, des nuits passées, deviner là où tu te rendais. Un jour, je compris, car ma mère me parlait souvent d'un endroit que les anciens considéraient comme magique...

— Le Mir derev'yev, le coupa, Gamayun.

— Oui, le Mir derev'yev. Alors je résolus de m'y rendre, car je savais que je t'y retrouverais. Des semaines durant, je ne dormais pas les nuits, explorant chaque recoin de la forêt à sa recherche, jusqu'à ce qu'enfin je le découvre, que je te découvre...

Empourpré, il baissa soudain les yeux, se remémorant ces instants, lorsqu'elle fendait nue les flots glacés de la rivière. Quand il les releva, elle était là, face à lui, de l'eau jusqu'à la taille, la poitrine dénudée, ses cheveux rejetés dans son dos. Les mains tendues, elle l'invita à le rejoindre.

Enlacés, il déploya alors ses ailes nouvelles et ils s'envolèrent en direction du château de Ad, devenu château de Svet.


Texte publié par Diogene, 4 février 2023 à 19h41
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