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tome 1, Chapitre 44 « La Dernière Saison » tome 1, Chapitre 44

Silencieux, il fixait les flammes qui s'élevaient du bûcher, dressé en l'honneur de Sirin et de sa fille, Gamayun. Un jour des hommes, des femmes, de leurs ancêtres avait pactisé avec un esprit de la nature et en avait tiré profit. À Yuzhnoy, résignés à leur sort, alors même qu'ils aspiraient à la délivrance, envoyait à une mort certaine les étrangers prisonniers : un combat contre leur bourreau en échange de leur liberté. À Zapadnoy, l'un des notables, pensant sauver sa tête avant celle des autres, avait capturé l'un de ses fils. Dans le village de Severnoy, les habitants avaient échangé leur liberté contre une certaine sérénité. Ici à Vostochnoy, ils avaient emprunté la route de la servitude, avant de l'embrasser, se dressant contre quiconque émettrait des doutes sur leur conduite. Cependant, il n'était pas là pour les juger, les châtier, ou encore leur apporter cette liberté trop effrayante à leurs yeux.

Attristé, il poussa un cri, lugubre, plainte sinistre qui résonna dans la nuit, mais personne au village ne l'entendit. Ses ailes déployées, il s'envola alors en direction du donjon, où il se posa. Dans le ciel, il apercevait déjà la silhouette de Gamayun qui tournoyait, tandis que ses fers cliquetaient dans les ténèbres. Terrible, massive, immense était l'ombre de Sirin, comme elle se métamorphosait dans la cour du château de Ad. Tout à coup, la créature ouvrit un œil, jaune, aussi grand que la roue d'un chariot ; ceinte à son front la tiare de Vesenniy.

— Toi ! gronda-t-elle soudain, comme elle le découvrit, perché sur les remparts.

Résolu, il soutint ce regard posé sur lui, cependant que dans sa poitrine, le cœur noir se durcit ; le cœur appelait sa maîtresse, il le savait, il le sentait. Dressé, son ramage gonflé, Sirin avait bondi, mais il était déjà parti. Volant en direction de la forêt, il désirait l'entraîner là où il espérait que Gamayun ne pourrait les suivre, entravée qu'elle était par ses fers. Dans la plaine, il apercevait l'ombre gigantesque de Sirin, prête à fondre sur sa proie, dont les cris résonnaient dans la nuit.

Ni peur, ni doute, ni peine, ni douleur ne l'habitait. Non qu'il ne les ait vaincus, il s'était seulement confondu avec elles, acceptant par là même ce qu'il était.

Soudain, il y eut un autre cri, une plainte, un chagrin. Dressée devant, la figure défaite de Gamayun. Cependant que leurs regards se croisèrent, il la vit, il les vit, des femmes, des mères, des spectres, et Gamayun, son amour inavoué.

— Merci, Vuk, souffla-t-elle, comme elle se laissa tomber comme une pierre, cependant que, brusquement, il se retournait.

En face de lui, mauvaise, rageuse, haineuse, Sirin poussa un cri de joie comme elle enfonçait son bec dans poitrail. Surpris dans son mouvement, Vuk avait senti la pointe d'airain traverser sa chair, ses os, transpercer les ténèbres qui l'habitaient. Serein, il avait alors plongé ses prunelles dans celles de la créature. Au fond de ses prunelles, une flamme s'était éteinte ; la peur la saisissait. Profitant de l'instant, de ses dernières forces, il attrapa de sa tiare, tandis qu'elle s'arrachait à son être, son cœur noir empalé sur son bec.

Les yeux grands ouverts, Vuk apercevait la lune, pleine, belle, qui illuminait le ciel. La pneuma le fuyait ; au fond de sa poitrine vide, le cœur qui le maintenait en vie n'était plus, cependant que résonnait dans les ténèbres un craquement sinistre. Soulagé, il ferma à demi ses paupières et se laissa dériver. Il chutait, sans doute se fracasserait-il contre un chêne, mais il n'en avait cure, il était heureux. Au-dessus de sa figure éteinte, quelqu'un volait, puis le saisit soudain entre ses bras. Un souffle glacé l'avait alors étreint, puis il n'y eut plus rien.

— Reste encore avec moi, Vuk.

— Je sais, rétorqua-t-il, presque moqueur.

Couché contre le tronc creux d'un vieux chêne, la poitrine trouée, il tenait encore serré contre son cœur absent, la tiare de Vesenniy et sa pierre de vie. Une rivière coulait non loin de là, une rivière dont il aurait reconnu le chant entre toutes. Paisible, il voulut tendre une main vers Gamayun, mais les forces lui manquaient. Autour d'elle, quatre silhouettes se dressaient.

— Tu sais ce qu'il te faut faire, murmura la première, une femme au visage d'ébène.

— Avec le Vesenniy, je lui rendrai vie, avec son cœur, je lui rendrai son âme.

— Avec la tiare, tu demanderas à ce que l'on te forge un masque, souffla la seconde, dont la figure de sel se perdait dans les ténèbres.

— Avec tes fers, tu ordonneras que l'on te fabrique un cercueil, poursuivit la troisième, son visage d'airain dans la lumière.

— Ensemble, ensuite, nous le veillerons, un an durant, acheva la quatrième, ses traits se confondant avec les siens.

Double, Gamayun s'était penchée sur Vuk, puis lui avait murmuré quelques mots. Un sourire s'était alors dessiné sur ses lèvres, tandis qu'elle y versait un breuvage à l'odeur nauséabonde. Un instant, son visage se crispa, puis s'apaisa. Dans un bocal, elle avait pris son cœur luminescent, dont la mesure était de plus en plus faible, puis l'avait introduit dans le trou noir de sa poitrine. Ensuite, elle y avait déposé le Vesenniy, la pierre de printemps.

— Mères, je vous confie sa garde, le temps de mon voyage, avait-elle murmuré à l'adresse des quatre spectres.

Silencieuses, elles avaient acquiescé, tandis que Gamayun ramassait la tiare et ses fers. Quelques instants plus tard, elle volait en direction de Vostochnoy. Bientôt, elle aperçut la forme noire du château de Ad, cependant que d'immenses panaches de fumée semblaient monter du village ; au-dessus s'accumulaient de lourds nuages porteurs d'orages. Ainsi en avait-il été, la folie de nouveau s'était emparée de ces hommes et de ces femmes perdus.

Attristée, elle s'était posée au pied du vieux cerisier que Vuk avait abattu lors de son arrivée. Autour d'elle, quelques feux agonisaient, cependant qu'elle remarqua l'absence de cadavres, de même que la plupart des bâtiments étaient intacts ; seuls l'auberge et l'un des dortoirs portaient des traces de combustion. Surprise, elle s'avançait dans le village désert, en direction de la forge, d'où s'échappaient des panaches de fumées blanches. Devant la porte, un couple attendait les bras croisés sur le torse. D'un geste, la femme l'invita à rentrer, tandis que l'homme s'écartait pour la laisser passer.

— Qui êtes-vous ? s'étonna-t-elle. Je ne vous ai jamais vu dans le village.

Mais l'homme avait secoué la tête, tandis qu'il refermait la porte derrière elle. À l'intérieur, rien n'avait changé, sinon que le cœur de la forge était déjà incandescent.

— Nous savons, affirma la femme. Je suis Morana et voici mon époux Svarog, nous allons forger le masque ainsi que le cercueil. Ton frère aîné Stratim nous avons demandé de l'aide, tandis qu'il jetait un sort sur le village, le temps que nous accomplissions notre œuvre et que tu puisses partir sans crainte.

— Soyez-en remercié, murmura-t-elle, cependant qu'elle déposait sur les rebords de pierre, la tiare et ses fers.

— Cependant, nous te recommandons de ne point sortir, souffla l'homme. Une folie ancienne s'est éveillée...

Dans sa poitrine, Gamayun sentit son cœur se serrer, comme des larmes roulaient sur ses joues rougies par les flammes naissantes.

— Un jour, ces hommes et ces femmes apprendront de leurs erreurs et ils regarderont leurs errements avec tristesse. À ce moment seulement, ils sauront que la liberté n'est pas cette chose mystérieuse qu'il redoute, mais que l'ombre au-dessus d'eux n'était autre que le reflet de leur propre servitude. Maintenant, il nous faut œuvrer, jeune fille. Monte donc te reposer, nous viendrons te chercher, lorsque nous aurons fini notre travail.

Émue, Gamayun avait soutenu un long instant le regard de cet homme étrange, puis elle avait gravi les marches de l'escalier. En haut, une couche moelleuse l'attendait, posé sur une table un plateau était dressé pour elle, avec des mets simples, mais délicieux. Entendit-elle les coups répétés des masses frappant le métal fondu, qu'elle ne s'endormit pas moins son repas achevé.


Texte publié par Diogene, 4 février 2023 à 19h41
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