Pourquoi vous inscrire ?
«
»
tome 1, Chapitre 40 « Les Maux de la nuit » tome 1, Chapitre 40

Était-ce celui de l’officiant qu’il avait découvert dans l’annexe ; une croix enfoncée dans la cage thoracique, ou bien celui d’un communiant ? Quelqu’un d’autre encore ?

Mais le crâne demeurait silencieux. Le rai de lumière avait disparu. À présent, il éclairait le maître autel sur lequel gisait un épais ouvrage, dont la couverture tombait en poussière. Les doigts serrés autour de la bourse pendue à son cou, Vuk reprit sa marche puis gagna les escaliers. En bas, le tertre se dressait toujours, inerte, plongé dans la pénombre.

Qui était donc tous ces gens dont les os formaient un gisant ? Des innocents, ainsi que lui avait avoué Gamayun ?

La main tendue vers un crâne, dont la calotte avait été fendue, il s’en empara ; ses orbites étaient noires comme de la poix.

Était-ce celui de Pesochnik, l’homme au sable ?

Non bien sûr ! Pesochnik hantait les couloirs du château de Ad.

Vuk le reposa au milieu de ses semblables. Silencieux, il le contempla encore un moment puis s’éloigna, enjambant les chaises déchiquetées, dont les débris jonchaient le sol. Soudain, il aperçut un objet brillant au milieu du chaos d’échardes et de métal. Agenouillé, il ramassa une minuscule croix en bois, pareille à celle qui émergeait du corps de l’officiant dans l’annexe.

Avaient-ils été massacrés, puis dévorés en vertu de leur croyance ? Par Sirin et sa fille ? Par les habitants de Vostochnoy ?

Songeur Vuk observait la sculpture fixée dessus, un homme, des clous enfoncés à hauteur de ses poignets et dans ses chevilles, sa tête était surmontée d’une couronne d’épines.

Sirin n’avait-elle pas puni ses enfants pour des raisons similaires ? Parce qu’il se détournait de sa parole.

Le morceau de bois posé sur pilier décapité, il s’en retourna vers la chapelle ; la tête aveugle du prêtre le contemplait de ses yeux vides.

— Pourquoi ? murmura-t-il, comme il s’emparait de la lourde croix, avant de l’arracher à la poitrine du mort.

De même était clouée une figure semblable à celle qu’il avait découverte sur la précédente, celle d’un homme au calvaire. Navré, il la reposa contre l’autel, puis s’en fut par là où il s’en était venu, tandis qu’il rabattait la trappe. Dans le noir, son chemin seulement éclairé par sa faible lanterne ; Vuk se remémorait son périple. Au village de Yuzhnoy, ses habitants, résignés, envoyaient à une mort certaine leurs prisonniers ; un combat en échange de leur liberté. À Zapadnoy, l’un avait capturé le fils de Sirin, dans le fol espoir qu’elle les épargnerait ; à Severnoy, ils avaient échangé leur liberté contre leur sérénité.

Que s’était passé à Vostochnoy ?

La mine sombre, il s’arrêta en face de la porte qui donnait accès aux souterrains. Dans la lumière dansante, il en apercevait les contours, comme un trait d’encre dessinée sur le mur. De l’autre côté, il y avait l’obscurité, presque rassurante ; au-delà, il y avait les ténèbres. La main posée sur le battant, il n’osait franchir le seuil. Mais elle était déjà ouverte. La figure ridée, ses membres recroquevillées sur sa poitrine rabougrie, Kalina se tenait dans l’embrasure. D’un geste, elle l’invita à sortir ; il hésita.

— Vuk…

Rauque, sa voix paraissait jaillir de son ventre, non de sa bouche. Ému, il l’enlaça, puis la suivit jusque dans la cuisine.

— Qu’as-tu vu, mon garçon ? avait-elle écrit sur son ardoise.

Mais plutôt que de lui répondre, il s’en était saisi et avait écrit à son tour.

— De vieilles choses mortes…

Sa main posée sur la sienne, elle l’avait serrée.

— Tu les as vus toi aussi, n’est-ce pas.

Kalina acquiesça d’un hochement de têtes.

— Pardonne-moi, Vuk. Ce sont des choses qui s’éprouvent ; les mots sont impuissants à les décrire. Il te faut le vivre pour comprendre.

En son cœur, la colère l’avait cédée à la tristesse ; il revoyait la figure vide de ce prêtre, le symbole de sa foi enfoncée dans le poitrail.

— Sais-tu ce qu’il s’est passé ?

— Hélas… les bouches sont closes à ce sujet et je n’étais pas encore né quand ce massacre eut lieu. Je regrette de ne pouvoir t’en apprendre plus.

— Merci, Kalina.

Dehors, le soleil commençait à décliner. Son chaperon jeté sur sa tête, Vuk embrassa Kalina, puis la quitta, un large panier entre les bras. Passé le pont-levis, il aperçut Gamayun vêtue de ses habits, cependant que derrière elle s’élevait l’ombre sinistre de l’ossuaire. Chassant la lugubre vision, il prit la direction des cuisines. Plamen épluchait de grosses pommes de terre, quand Ludmila lavait des poireaux.

N’osaient-ils pas lui adresser la parole, ou bien en avait-il l’interdiction ?

Son panier déchargé, Vuk avait ôté son chaperon, cependant que Plamen étouffait un juron ; Ludmilla en avait fait tomber sa botte de surprise.

— Vuk ! Mais d’où viens-tu pareillement vêtu ?

Assis, il leur avait alors confié le récit de sa journée.

— Ainsi l’as-tu vu.

Crayeux, le visage de Plamen s’était fermé ; Vuk avait acquiescé.

— Nous ignorons, nous aussi ce qu’il s’est passé dans ce temple. Peut-être Sirin en est-elle à l’origine. Ou non.

Ludmila contemplait son mari d’un air sombre, comme si de vieilles blessures venaient de se rouvrir.

— Vous aviez de la famille parmi eux.

— Plamen, soupira Ludmila. L’un de ses arrières grand-père. L’ignorance est le pire des maux, Vuk. Ne l’oublie pas. Sans savoir, il n’y a pas de pardon possible.

— Merci, murmura-t-il avant de les quitter.

Sorti par l’arrière de la cuisine, il longeait à présent le mur d’enceinte. Bientôt, il arriva à hauteur de la porte qui s’ouvrait sur les jardins. Le soleil de plus en plus bas à l’horizon, il courut à travers le dédale végétal jusqu’au tronc de cet arbre creux que Gamayun et ses frères avaient autrefois baptisé Iria. Assise dans un fauteuil de racine, Gamayun l’attendait, ses ailes dorées repliées sur sa poitrine. Vuk aurait désiré l’enlacer, la serrer entre ses bras, se perdre dans cette odeur de mousse et de sous-bois qui se dégageait de sa chevelure. Hélas, elle n’était que brume et poussière, une vision de sa chair.

— Vuk, soupira-t-elle lorsqu’elle le découvrit, la mine fermée, le teint gris.

— Tu les as vus, n’est-ce pas ? s’enquit-elle.

Debout, elle s’était emparée de ses mains et, bien qu’elle fût seulement fantasme et illusion, il sentait une douce chaleur émanée de sa chair éthérée.

N’était-ce qu’une hallucination due à son esprit fébrile ?

Pourtant, malgré son apparence, il pouvait éprouver le contact de sa peau contre la sienne, le parfum musqué de chevelure vaporeuse. Ses lèvres soudain pressées contre les siennes, elles avaient un goût de sel.

Était-ce là une manière pour elle de le rassurer ?

Perdu, Vuk sentait ses jambes se dérober sous lui, tandis qu’elle lui passait un bras sous les épaules.


Texte publié par Diogene, 1er janvier 2023 à 23h15
© tous droits réservés.
«
»
tome 1, Chapitre 40 « Les Maux de la nuit » tome 1, Chapitre 40
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
2780 histoires publiées
1267 membres inscrits
Notre membre le plus récent est JeanAlbert
LeConteur.fr 2013-2024 © Tous droits réservés