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La ludothèque dans laquelle Babette travaillait se trouvait à 40 minutes de la maison. Dans un de ces « villages citadins » ou « citadinés » : Floxhelle était encore un coin de verdure il y a une vingtaine d’années, avec une poignée de fermettes et des maisons imposantes, imposées par les familles aisées, en quête d’un peu de campagne. Des maisons quatre façades, pelouse tondue, jardon aménagé, parfois un toboggan ou une balançoire, un break familial dans l’allée cimentée. Des maisons à pignons élevés, qui ne supposaient aucune pièce mansardée. Non, on voulait du volume, de l’espace. Le belge a une brique dans le ventre, selon l’expression consacrée. Au début des années 90, en se promenant dans les rues de Floxhelle, on pouvait le constater, et même ajouter : le belge a une brique dans le ventre, et aime exposer ses boyaux à son voisinage. Les personnes qui avaient fait construire ici aimaient les maisons spacieuses, agréables à vivres, prêtes à recevoir du monde, avec des garages transformables en pistes de danse et des caves aménagées en mini-bar.

Peu à peu, Floxhelle était devenu un village où il fait bon résider. Mais restaient tant de zones vertes, ces terres non constructibles. Les élus communaux avaient alors eu une idée. Depuis quelques temps, les fermiers se faisaient de plus en plus rares. Les enfants d’agriculteurs n’avaient pas toujours à cœur, comme c’était le cas avec les générations précédentes, de reprendre l’exploitation familiale. Les pères essayaient alors de revendre certaines parcelles. Mais qui pour acheter un bout de terre, si n’on ne pouvait y faire pousser une maison ?

La commune avait alors entrepris de racheter ces terrains, et d’y faire construire des logements sociaux. Sur le papier, le projet avait du chien : un espace d’échange et de cohésion, où nantis et moins nantis s’entraideraient, chacun payant un loyer calculé sur base des revenus. Dans les faits, comme il fallait s’y attendre, seules les familles en situation précaire s’y étaient installées. Au début, les responsables du projet avaient tenu bon, refusant les dossiers afin de ne pas dévier de l’objectif qu’ils s’étaient fixé : 60 % de revenus insuffisants et 40 % de revenus supérieurs, c’est ce qu’il fallait pour maintenir le cap. Mais les mois défilaient et 60 % des appartements demeuraient inoccupés. Les entrepreneurs ont fini par céder, ne signant que des baux de quelques mois, espérant attirer le riche locataire potentiel entre temps. Mais les mois s’étaient enchainés, les baux aussi, et les locataires aisés n’étaient jamais venus. Peu à peu, les locataires avaient été laissés à eux-mêmes. Sans loyers suffisants, impossible d’effectuer des travaux de réparation, d’entretenir les escaliers communs ou les extérieurs. Les logements s’étaient peu à peu dégradés.

L’augmentation de la démographie s’était fait ressentir partout. Une petite superette avait même ouvert ses portes en 1995. Une superette, ici, à Floxhelle. Chose impensable 5 ans auparavant, quand le nombre d’habitant ne dépassait pas la barre des quatre cents.

Au début des années 2000, une librairie s’était installée sur la route principale, en face du principal bâtiment de logements sociaux.

L’école élémentaire avait elle-aussi accusé le coup de l’explosion démographique. Contrainte à construire rapidement de nouvelles classes, elle était aujourd'hui un assemblage biscornu. Autour du bâtiment originel en moellons s’étaient accrochés de blocs en préfabriqués. Là où il n’y avait auparavant que 3 classes pour l’ensemble des élèves du primaire, les élèves effectuant donc 2 années avec le même instituteur, aujourd’hui s’épanouissaient 6 classes, une par année. L’école avait même ouvert une section maternelle en 2007.

A Floxhelle il y avait donc une superette, une librairie et une ludothèque.

Babette et Henri n’avaient pas inscrit Charlotte dans l’école du village, bien que celle-ci soit située à 50 mètres de la ludothèque. Il aurait pourtant été facile pour Babette de conduire et de récupérer Charlotte en allant au travail. Mais Henri avait insisté. Lui-même avait grandi dans une commune où tout le monde se connaissait, et les garçons avec lesquels il avait grandi étaient aujourd’hui encore ses meilleurs amis. Une bande de 5 garçons, qui ne seraient sans doute jamais devenus amis s’ils s'étaient rencontrés à l’âge adulte, tant ils étaient différents, mais unis à tout jamais par une enfance et crise d’adolescence en commun. Eric, Fabien, Jean-Michel et Roger avaient d’ailleurs été les témoins de Henri lors de son mariage – ils l’avaient tous été pour chacun des membres du groupe, excepté Fabien, qui ne s’était jamais marié.

Quand il avait fallu choisir une école pour Charlotte, cette amitié avait eu un poids dans la balance des arguments : Henri voulait le meilleur pour sa fille, et lui, ce qu’il avait de meilleur dans la vie, en dehors de sa famille, c’était sa bande de potes. Il voulait que Charlotte aille à l’école avec les enfants du voisinage, ceux avec qui elle partagerait ses mercredis après-midi, ses congés et ses activités extrascolaires.

Mais conséquence de ce choix, Charlotte devait attendre chaque jour à la garderie. Le garderie-lecture que Babette elle-même organisait à la ludothèque durait jusqu’à 17 heures. Quarante minutes plus tard, au minimum, elle pouvait se présenter à l’école pour récupérer sa fille. Quand à Henri, ses horaires étaient fluctuants. Impossible donc de se porter garant. S’il lui arrivait de quitter le boulot suffisamment tôt pour aller rechercher Charlotte, c’était alors une belle surprise pour Charlotte, qui découvrait son père à la grille, et pour Babette, qui ne devait pas se dépêcher de rentrer. Mais ça restait occasionnel. La plupart du temps, Babette avait à peine le temps de reprendre sa fille à la garderie avant de rentrer chez elle où la préparation du repas l’attendait. Il lui était impossible d’inclure un détour par le supermarché sur son trajet retour.

Babette avait donc trouvé un arrangement avec Christine, sa collègue qui était aussi responsable des horaires. Babette bénéficiait de 30 minutes de plus que les autres en pause midi du mardi au vendredi. En contrepartie, elle restait deux heures le lundi après-midi, alors que la ludothèque était fermée, pour faire l’inventaire et ranger le local. Ces 30 minutes supplémentaires lui permettaient de faire ses courses, courir à gauche à droite – à la librairie, au nettoyage à sec, chez « Tisanes du Monde » - sur le temps de midi.

Aujourd’hui, elle avait profité de ce temps pour se rendre à la pharmacie de la commune voisine. Elle devait y retirer ses comprimés d’apport en fer. Il y avait deux personnes devant elle dans la file. Elle laissa son esprit vagabonder. Quand son regard se posa sur les boites de préservatif, elle pensa à Henri.

Ça faisait plusieurs mois qu’elle avait remarqué son manège. Au début, elle ne voulait pas l’admettre. Devant les premiers indices – retours ponctuellement tardifs du travail, téléphone portable emporté jusque dans la salle de bain –, une part de son esprit lui disait qu’elle était paranoïaque, qu’elle cherchait des preuves là où il n’y en avait pas. Puis, quand c’est devenu de plus en plus évident – un soir, elle avait même remarqué des traces de griffes dans la nuque de son mari –, elle n’avait pu se résoudre à l’affronter. D’autant plus que ces découvertes coïncidaient avec l’apparition des premières tensions dans leur couple. Leur relation se dégradait à mesure que les traces d’adultère surgissaient.

- Madame Dauby, du FerroDyn je suppose, une boite de 90 comme d’habitude ?

Ce matin encore, elle avait remarqué son geste précipité pour glisser son téléphone dans sa poche. Maintenant, comment en parler ? Comment aborder le sujet alors que ça faisait 3 mois qu’elle fermait les yeux ? Et une fois de plus, elle avait fermé les yeux…

- Madame Dauby ?

Trop absorbée dans ses pensées, elle n’avait pas entendu la requête répétée du pharmacien.

- Oui, excusez-moi, j’avais l’esprit ailleurs.

- Ah, ça ne doit pas être de tout repos de travailler avec tous ces enfants. Moi-même, plus jeune, j’ai été chef scout…

- Voici l’ordonnance, pardon, je l’ai un peu chiffonnée dans mon sac.

Elle avait dit cela pour éviter une énième histoire de M. Herman. C’était toujours le risque quand personne ne vous suivait dans la file, le pharmacien était un bavard inconditionnel. Au contraire de Babette, il avait beaucoup de temps pour penser dans son officine. Et quand il rencontrait un client régulier, il en profitait pour tailler une bavette.

M. Herman ne parut pas remarquer la manière abrupte dont Babette l’avait coupé. Au demeurant, il n’en laissa rien transparaitre et, sans se départir de son large sourire, il se retourna pour attraper sur l’étagère les comprimés en question.

- Je vais aussi prendre un test de grossesse, vous en avez ?


Texte publié par ClaireDouchka, 6 mars 2022 à 13h43
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