Jeudi 30 janvier
Dring. Café. Horaire. Jupe ou pantalon ? Jeudi, jour de collation saine pour Charlotte. Dring. Facture. Retard. Réunion. Se laver les cheveux. Driiiiing.
Toutes ces pensées qui se mélangent dans la tête, à ce moment où le corps n’est pas encore réveillé, et que le cerveau hésite entre sommeil et éveil. Des pensées vagues et très nettes à la fois, qui affluent dans le cerveau, comme si elles avaient été retenues par une barrière invisible toute la nuit, et qu’elles prenaient enfin place dans l’espace vide de la tête de Babette, dansant dans tous les sens, jouissant d’une liberté de mouvement retrouvée.
Dring. Réveil éteint. 6h58. Cette manie qu’elle avait de régler le réveil 2 minutes avant une heure « ronde ». Comme si ces 2 minutes allaient changer le déroulement de sa matinée. Elle serait de toute façon en retard pour conduire Charlotte à l’école.
Elle posa un pied par terre. Le sol était froid. Le parquet grinça. Henri n’émit aucun son, son corps ne bougea pas. Son réveil sonnerait dans 2 minutes. Le mari de Babette était à l’image de son sommeil : droit, carré, et lisse. Il dormait par nécessité, juste parce que son corps en avait besoin. 7 heures, pile poil, un endormissement bref, un réveil sans atermoiement. Il était un peu comme ces aspirateurs autonomes qui, après avoir fait le tour de la maison, ricochant entre les murs et les pieds de tables, retournent à sa base pour se recharger. Henri ne dormait pas, il se rechargeait, sans bruit, sans mouvement. Cette image fit sourire Babette.
Après avoir appuyé sur le bouton marche de la cafetière – le café moulu et les tasses avaient déjà été préparées la veille, rituel du couché, pour gagner quelques secondes le matin –, elle prit une rapide douche et perdit un temps fou à trouver sa tenue du jour. Jupe ou pantalon ? Dilmene antediluvien. A coté de la pile de vêtements qu’elle avait successivements essayés, avant de retirer, il y avait la tenue d’Henri : une chemise, un pantalon, une ceinture. Sur cintre, évidemment. Même la ceinture. Et préparés la veille, re-évidemment. Babette repensa à l’aspirateur autonome. Son mari était si prévisible.
Quand elle revint dans la cuisine, Henri était levé. Il buvait son café – noir, sans sucre – tout en lisant le journal sur la tablette, révolution 2.0 qui nous dispensait d’un aller-retour jusqu’à la boite aux lettres, et d’une rencontre « enpyjamatée » et quinaude avec l’un ou l’autre voisin.
- Bonjour toi.
- Salut. Bien dormi ?
- Ça va. Des nouvelles intéressantes ?
- Un bateau de migrants a échoué en Italie. Beaucoup de morts, surtout des enfants.
Malgré les tensions bien présentes dans leur couple, ils continuaient à se donner un semblant de courtoisie. C’était déjà ça. Le fond n’était pas encore atteint.
Du bruit se fit entendre à l’étage. Avant même qu’Henri ait eu le temps de lever le nez de son écran, Babette annonça :
- Je m’en occupe.
Charlotte n’avait pas encore 6 ans, mais était d’une grandeur surprenante pour son âge – et qu’elle tenait indéniablement de son père. Il arrivait souvent à Babette de se demander à quel âge Charlotte allait la dépasser. 15 ans ? 12 ans ? Pas avant l’entrée en secondaire, espérait-elle.
La tenue du jour était préparée sur la petite chaise en face du lit. Babette astreignait à sa fille une organisation dont elle-même était dépourvue. Une fois habillée, Charlotte dégringola les escaliers.
- Maman, t’a pas sorti le lait.
Charlotte s’était installée à côté de son père, sur l’un des tabourets hauts qui pivotaient. Elle se tenait à la table en se faisant balancer d’un côté à l’autre. Elle continuait à regarder sa mère, attendant une réponse.
- Maman, du lait !
- Je vais te servir, chérie, répondit Henri.
Trop absorbée dans ses pensées, elle n’avait pas entendu la requête répétée de sa fille. Si Henri ne semblait pas toujours s’épanouir dans le couple qu’ils formaient, il fallait lui reconnaitre une chose : il était un père extraordinaire. Toujours attentionné, jamais nerveux. Et même si, en raison de son emploi prenant, le temps qu’il passait avec sa fille n’était pas démesuré, il fallait reconnaitre que ce temps était toujours de qualité. Les jours où il rentrait de bonne heure, il insistait pour aller rechercher Charlotte à l’école maternelle. Les dimanches, il était inconcevable pour lui de trainer à la maison : soit on sortait, soit on s’ingéniait à trouver des activités inédites, emplissant la maison de peintures, de couvertures à cabanes, de désordre, et d’éclats de rire.
- Voilà, bois ton lait mon petit chat.
Il ajouta, à l’adresse de Babette :
- Je file moi. Tu n’oublieras pas d’ajouter « lait » sur la liste des courses ? A ce soir.
- Bonne journée papa !
- ‘nne journée.
Le déjeuner avalé – café doublement sucré pour Babette, céréales au lait pour Charlotte –, Babette finit de préparer sa fille. Après un brossage de dents en règle, Charlotte alla s’installer devant la tablette, à la place que son père occupait quelques instants plus tôt. A 5 ans et demi, Charlotte faisait glisser son doigts avec aisance sur l’écran et connaissait la procédure à suivre pour lancer un dessin animé. Babette profita de ce temps pour préparer son sac. Employée dans une ludothèque, elle revenait souvent à la maison avec des jeux de société à tester. Le matin, c’était une autre paire de manches pour retrouver tous les éléments des jeux, et les ranger dans les bonnes boites.
Quand Babette claqua la porte de l’appartement derrière elle, elle jeta un rapide coup d’œil sur l’horloge du micro-onde. 8h25. Elle était en retard. Et ce, malgré les 2 minutes gagnées sur le sommeil ainsi que les quelques secondes prises sur la préparation du café. Encore raté.
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