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Je tourne en rond autour de la table. Les idées fusent dans ma bouillie cérébrale. L’énergie positive m’électrise. Je ne peux pas rester statique, je dois agir, je vais tout déchireeeerrrr !

— C’est fini ? Le parquet commence à se creuser sous ton passage.

— Tu te rends compte de ce que l’on va pouvoir réaliser ? Je vais devenir célèbre !

— Euh… Calme-toi… Tu n’as pas conscience de la situation.

Crit semble inquiet et cherche à me poser pour reprendre le dessus. Mais, en vrai, je vais déchireeeerrrr !

— Tu dois considérer les risques !

Je pourrais me transformer en héros. C’est ça, je pourrais utiliser mon pouvoir pour aider les gens et en même temps me construire un nom. Je dois me structurer et avancer étape par étape, progressivement et doucement.

— Dis-moi Crit, ça te va si aujourd’hui on règle le problème de criminalité ?

Le crayon s’arrête dans ses gesticulations, ses doigts se rapprochent lentement de sa bouche, dans une conduite d’interrogation.

— Sérieusement… Tu veux solutionner tout le péché de cette ville en une journée ?!

— Ah non ! Tu m’as mal compris…

Plié en avant, il expire profondément, une main sur ce qui pourrait être son estomac.

— Non, je souhaite éliminer celle de tout le pays, évidemment.

Cette fois, Crit glisse sur la sauce de mes nouilles instantanées et disparaît dans la boîte. Pour en ressortir, dans un état second.

— Gnéééé…

— Bon, on se prépare. Je m’habille pendant que tu m’expliques comment je te transfère dans un autre objet.

— Attends ! Attends ! Eh ! Non, mais c’est pas si simple…

J’enfile un sweat et un jean, sans manquer de m’étaler au sol. Ce qui me permet de retrouver ma brosse à dents sous le lit. Oh, j’y trouve également le reste de ma pizza hebdomadaire… de la semaine dernière. Pas de temps à perdre, la part en bouche, je lasse mes baskets.

Crit est lancé dans tout un descriptif, il a même déniché un calepin qu’il a placé contre un cadre photo et griffonne des dizaines de croquis dessus, en tournant les pages à toute vitesse. Je l’accompagne d’un acquiescement de la tête et de plusieurs « C’est pas faux ! », signe que je ne l’écoute pas, mais que je reste poli.

La joie m’envahit totalement et je me laisse porter par la symphonie entraînante de Fake a smile d’Alain Walker, Salem Ilese et R3hab. Mon corps se dandine de droite à gauche, tout en se secouant avec le rythme. Je souris en associant la musique et les mouvements du crayon. Ce dernier ne met pas très longtemps à comprendre que je me fous littéralement de sa gueule et qu’il s’agite pour rien.

— Tu n’as rien suivi…

— Bonjour, moi, c’est Selim et je suis un poisson rouge…

— Concentre-toi une minute.

— Résume ! Dis-moi ce que je dois faire.

Pendant un court instant, il est totalement déconfit et cherche ses mots. Mais il semble de plus en plus en corrélation avec mon ambition. Je découvre plusieurs mimiques de plaisir à peine dissimulées.

— Pour m’incarner dans ce crayon, tu as libéré tes émotions. Tu les as laissés t’emporter pour les concentrer sur un point…

— Faut que je dessine ?

Sa main percute violemment sa gomme, ce qui le déséquilibre et le fait chuter en arrière. Difficile de tenir debout pour lui. Après tout, il n’a pas de jambe.

— Oki, j’ai compris. Bon, faut juste que je me canalise sur l’objet que je veux contrôler…

— Tu ne me contrôles pas, je suis indépendant. Si tu préfères, tu me donnes consistance.

Blablabla… Je fixe ma brosse à dents et la fusille du regard. Bientôt, il fera moins le malin. Je vais l’obliger à me nettoyer les restes de la pizza coincés entre mes chicots.

Je fronce les sourcils, mon front se tend et déjà la migraine apparaît. Je tente de faire sortir mes yeux de leurs orbites, mes paupières tremblent sous la frénésie de ma puissance et une douce chaleur vient s’installer dans mes joues. Très vite, je sentirais l’énergie, je verrais le halo lumineux se transférer vers ma cible et je deviendrais le maître…

Crit se décale lentement dans mon champ de vision. Penchant sa frimousse pour m’observer. Il affiche l’expression d’une personne curieuse de comprendre ce qui se passe. Difficile de se concentrer avec un moustique qui tourne autour de vous…

— Tu vas bientôt exploser, c’est effrayant…

— Pffffft !

Je me dégonfle comme un ballon de baudruche. Ce qui provoque une profonde hilarité à Crit qui se roule par terre sans retenue.

— Comment veux-tu que j’y arrive si tu m’interromps ?

— Tu dois déjà me récupérer avant de m’incarner dans autre chose. Si tu m’avais écouté…

— Comment je fais !

— En utilisant l’empathie. Tu dois me ressentir, comprendre mes émotions, mon existence, te mettre à ma place…

— À la place d’un crayon…

Crit bondit sur moi. Je sens qu’il se déchaîne sur mon nez et s’en sert de punching-ball. Le contact me chatouille le conduit et assez rapidement provoque un violent éternuement qui le projette contre son carnet. Il s’emmêle dans les papiers et peste contre moi dans un langage assez familier.

— Bon, je vais essayer. Ne bouge surtout pas.

Je lance mon regard revolver et le fixe de toute mon attention. Je dois le sentir, le comprendre… Qu’est-ce qu’il fout encore ?

Il a dessiné un cœur sur un papier et le plaque contre le mur… à l’envers. Il se met à danser devant tout en balançant des claques sur… son croquis de fesses…

— Sérieusement ?

Il se tourne vers moi avec un immense sourire satanique. Il peut paraître tellement austère, mais il cache autre chose derrière toute cette parlotte.

— N’oublie pas que je représente le diable. Tu dois t’imprégner de mes origines et de la source de ma force.

— Euh… la fessée… c’est forcément mal… ?

Il éclate d’un rire profond et sincère, avant de me fixer d’un air de défi.

— Baisse ton froc, j’arrive !

— Oh oui ! Oh oui !

Malgré la surprise, la crainte et l’incompréhension, c’est une rencontre. Un évènement pour moi qui s’est toujours confronté à la solitude et au rejet. Nous devrons affronter des moments de doute, des difficultés, comme aujourd’hui, mais nous apprendrons ensemble. Nous avancerons dans un geste commun, et je crois que cet instant inaugure une profonde et invraisemblable amitié.