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saison 1, Chapitre 1 « Je m'appelle Selim et je suis... » saison 1, Chapitre 1

23 h, comme je l’avais prévue, le McDo se vide doucement. Cela va bientôt être à moi de jouer.

Ce genre d’opération ne se prépare pas à la légère et demande une organisation précise. Cela fait plusieurs semaines que j’observe et analyse les habitudes des clients, comme des employés. Dans le but de monter un dossier en béton, de ne pas me faire surprendre, je n’ai rien laissé au hasard. Voilà comment travaille un pro.

Je tire des gants en nylon des poches de mon sweat pour les enfiler doucement. Je n’ai pas l’intention d’abandonner la moindre trace. Un bandeau noir retient mes cheveux dans la capuche pour qu’on ne puisse entrevoir ma coupe, des lunettes de soleil bon marché pour couvrir la partie supérieure du visage, et le fameux masque que tout le monde répugne à mettre qui va bien me servir pour le bas.

Seul point reconnaissable, ce logo dans mon dos. Un magnifique smiley jaune fluo qui sourit avec plaisir. C’est ma signature, ce qui va me faire connaître et lancer la légende de Smile.

Il commence à faire froid, la nuit donne naissance à des ombres étranges un peu partout dans les environs. L’instant propice pour disparaître en silence lorsque tout sera achevé. Une sortie, j’attends encore un client et j'y vais.

Smile, l’anagramme de mon prénom, Selim. Bizarrement, le surnom qu’on m’a donné depuis le collège. Un symbole de ma gentillesse et grande générosité. On m’a toujours adoré, entouré par toute une bande, c’est certain, je suis fait pour ça. Je suis né pour être un meneur, un modèle et ce soir, tout le monde va le découvrir.

Un Uber eats tire la porte de verre et s’approche de son scooter. Est-ce que je peux le considérer comme un client ? C’est que c’est pas vraiment la même chose, c’est un livreur quoi…

Bon, j’avoue… J’ai un peu les pétoches. C’est pas rien quand même. Si je tremble, c’est parce que je me les gèle, on est d’accord ? Va pas falloir commencer à se faire des films. Je ne suis pas du genre à renoncer pour si peu, c’est une routine, quelques minutes de tension, d’adrénaline. J’adore ça.

Il démarre sa bécane et s’élance à toute vitesse.

Cela ne répond pas à ma question, c’est un… Et merde, un couple quitte le fast-food, cette fois plus d’excuses.

Je plonge la main dans la poche kangourou pour vérifier que le flingue se trouve toujours à sa place et que le cran de sûreté est bien retiré. Chaque seconde deviendra importante dans ce genre de situation, et je ne dois pas perdre un instant dans l’action.

J’inspire un grand coup et crache mes poumons dans une toux qui ne peut se montrer plus sonore. Je prends un chewing-gum de nicotine, cela fait trois jours. Je ne suis plus sûr que c’était une bonne idée de me lancer dans cette résolution en ce moment. Cela me met un peu sur les nerfs, la preuve, je commence à transpirer à grosses gouttes.

Les mains au chaud, j’avance vers la lumière, passe sous un des candélabres, m’imaginant comme dans les films avec une prise de vue arrière, au ralenti avec une musique engageante qui commence doucement, genre Love Yourself d’Eminem. Ouais, c’est trop ça. Un sourire se dessine sous mon masque, la tête se balance aux sonorités qu’y s’immiscent dans mon esprit.

Je plaque mon dos contre la porte, une dernière expiration pour chasser cette boule qui me prend l’estomac comme les poumons. Et je pousse sans ménagement, un mouvement de rotation et je glisse face au comptoir, près à sortir mon arme… Putain de merde, c’est quoi cette bombe ?!

— Bonsoir, je peux vous aider ?

Le sosie de Margot Robbie qui me demande si elle peut m’aider… C’est un peu gros là. Je ne vais pas pouvoir, c’est impossible. Efface déjà les images qui te passent dans la tête. Ouah, je perds le contrôle… Qu’est-ce que je fais maintenant ?

— Vous allez bien ?

— Je… J’ai pas encore fait mon choix…

Sérieux… Tu n’as rien trouvé de mieux. Qu’est-ce que tu fous, c’est pas un rencard, tu es venue pour un braquage.

— Pas de problème, je retourne en cuisine et je reviens dès que vous vous êtes décidés.

Raaaah, trop mignonne… C’est la merde.

C’est là que j’aperçois que c’est un mec qui s’occupe des commandes en drive. J’ai plus qu’à attendre qu’il soit libre, il finit avec la dernière voiture. Voilà, c’est ça, tout va bien aller.

— Je peux peut-être vous aider à choisir ?

Non, mais sérieusement… Elle est déjà revenue… J’y crois pas, je souhaiterais tenter ma chance avec une femme pareille, je prendrais râteau sur vent de tempête… Et là, elle ne me lâche pas.

Je ne tiens plus sur place, mon visage devient si moite que mon masque colle à mes lèvres. Je vais finir par étouffer si je le garde.

— Vous voulez un verre d’eau ?

Elle me tend le gobelet avec élégance et cela libère la vue sur son décolleté. Je vais exploser, je… Sans réfléchir, je m’approche pour lui prendre des mains et la remercier, et dans le mouvement… le flingue glisse…

Je n’ai pas besoin de regarder pour connaître la cause du bruit qu’à provoquer sa chute. Les yeux de la serveuse s’arrondissent en fixant le sol. Je jette le verre et plonge pour rattraper mon arme et me relève en la braquant sur elle… L’eau me retombant sur la capuche…

Elle ne peut plus se retenir et retire son masque, affichant un immense sourire et un ricanement qui me rappelle tellement de souvenirs peu agréables. En réalité, mon surnom vient du fait que je suis un grand maladroit, un peu simplet et que je provoquais l’euphorie de tout le monde, d’où le Smile…

— Fini de rire, c’est un braquage !

— Vous n’avez pas trouvé mieux qu’un McDo ?

Je rêve, elle n’a pas la moindre peur…

— File le fric avant que je te maquille entre les deux yeux !

— Oh mon dieu ! Oui, monsieur le bandit… Je vais tout de suite vous donner les dix euros de la caisse, surtout ne me tuez pas avec votre pistolet à bille…

Et elle repart dans un rire, tellement charmant… Ohoho, on se reconcentre. Elle est en train de se foutre de ma gueule là. Ça se voit tant que ça que ce n’est pas un vrai flingue ? Fais chier.

— Joue pas avec moi !

— J’aime ça pourtant…

Aaaaaahhhh… C’est une caméra cachée ? C’est ça ? C’est ma putain d’idée, merde… Je voulais lancer ma chaîne YouTube ce soir avec un grand coup. Je filme tout avec l’objectif installé dans mes lunettes. Un braquage pour première, c’est du lourd.

— Je crois que d’autres souhaitent jouer avec toi.

D’un geste du menton, elle m’indique de regarder dans mon dos. Pas besoin, derrière, la machine à milk-shake brille assez pour que j’aperçoive les uniformes.

— T’es quand même un phénomène, braquer un McDo dans lequel des flics font une pause. Je t’adore, tu m’as fait ma soirée.

Un clin d’œil, une paille à la bouche, avec ce sourire qui va hanter mes rêves pendant longtemps. Je crois que j’ai une touche.

— Monsieur, je vous demanderais de poser votre arme et de placer vos mains sur la tête.

Fais chier, vas-y avoir du sport.

Je m’appelle Selim et je suis un tocard.


Texte publié par Calamus, 4 février 2022 à 12h09
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