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tome 1, Chapitre 14 tome 1, Chapitre 14

Que voulait-il oublier ? La veille d'un week-end de l'été 2007, Claire nous avait téléphoné pour aller à la plage. Il faudra se lever tôt, avait-elle annoncé.

Le lendemain, nous nous étions garés vers huit heures non loin de la mer pour emprunter un sentier environné de genets qui menait à une petite crique. Un croissant de roches brunes enserrait une minuscule plage qui semblait avoir émergé pour accueillir nos quatre serviettes. Claire n'avait pas exagéré : l'eau était translucide et la solitude absolue.

Laissant vêtements et serviettes sur le sable, nous avons sauté dans l'onde et nagé un bon moment jusqu'à un récif à moitié immergé. Bercés par le rythme des vagues nous avions garder le silence, le regard fixé sur un horizon encore vierge d'embarcations. À cette heure matinale, le soleil frappait les eaux en les faisant scintiller. On aurait dit qu'un dieu ivre et joyeux avait saupoudré d'or la tête des flots.

Nous avions regagné la petite plage pour nous allonger sans qu'aucun de nous ne prononce un mot. Je crois m'être endormi, bercé par le bruit des vagues qui s'échouaient à quelques centimètres de nos pieds. Quand je m'éveillais, Claire et Louise discutaient, debout, leurs regards tournés vers le petit port que l'on apercevait de l'autre côté de la baie. Ce soir, nous dînerions là-bas. À mes côtés, Laurent s'était dressé sur un coude. Il avait désigné un point devant lui, sans que je sache s'il s'agissait de la mer ou du port. Sa voix n'était pas triste. Il livrait un constat fait il y a longtemps et qui ne blessait plus que celui qui l'écoutait.

- Chaque fois qu'on vient sur cette plage, dit-il, je pense à l'Odyssée. Aux grecs qui ont abordé ici pour fonder un comptoir. J'y mêle l'increvable été tropézien avec tout son barnum de conneries. Il m'arrive même de voir Bardo au milieu des baigneuses ! Et puis, je plonge mon corps douillet de démocrate dans l'eau. Je m'éloigne du bord. Je sais que je pourrai bientôt le retrouver, m'y sécher avec une serviette qui sent bon, enfiler des vêtements secs et regagner notre appartement. Eh bien, tout ça se flétrit. Pourquoi ? Parce qu'au milieu des vagues, je vois le visage d'Ulysse se confondre avec celui d'un éthiopien marbré par l'écume et la trouille. Et putain, je n'ai pas honte de ces larmes là !


Texte publié par Antoine Samano, 24 janvier 2022 à 12h11
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