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Tu te souviens du balcon, à la ferme, quand on regardait vers le nord ouest ? Tu me montrais les volcans, tu me parlais de ce pays où il nous faudrait aller. On avait combiné un tas d’itinéraires. On devait y aller à pied, comme des pèlerins. On aurait pris nos sac à dos, le canif que tu avais gagné à la foire de Saint-Céré, les bâtons qu’on avait taillé dans les noisetiers de Calmejeanne. Tu te souviens de la carte Michelin ? On avait renforcé ses bords avec du scotch et on passait notre temps à en suivre les routes. Tu disais que c’était un pays où vivaient les fées. Là-bas, il y avait des endroits si retirés que personne n’aurait pu nous y trouver. Pour moi, cet horizon est toujours mystérieux même si c’est le premier voyage que j’ai fait lorsque j’ai eu mon permis. Je suis allé aux endroits de notre carte : Salers, Compains, le Puy Violent. Ça m’a fait un sacré choc de voir leurs noms sur la route même si je savais que ce ne serait pas le pays dont tu parlais. Il a suffit que je marche dans Salers pour que ton village se dissolve et se reforme derrière moi. Pourtant, au coin de chaque rue, il y avait une fenêtre qui, pendant quelques secondes, devenait la fenêtre d’un alchimiste. Tout y participait : l’odeur de feu de bois et de pierre humide, un air de flûte vite interrompu, la couleur du mur de gros moellons de la vieille maison. Je savais qu’en repartant, ton Salers serait encore là, intact et que ce n'était pas si grave qu’il se dérobe un peu. Dans la montagne, ça a été plus facile. Il m'a suffit de respirer un bon coup pour entendre rigoler les fées. La seule chose qui m’attristait, c’est que tu n’étais pas là. Tu étudiais à Paris alors et il aurait été difficile de descendre te promener avec moi. Dommage, tu as manqué deux ou trois choses. Dans les bois, il y avait des signes. Tout s’alliait : le cri d’un milan, un champ si vert qu’il ne semblait jamais pouvoir disparaître, le chuchotement d’un fourré où dormaient les nymphes. Le pays se livrait dans ces interstices. Il m'a suffit de m’attarder un peu, de regarder les choses sans chercher à les percer et c'est venu doucement. C’est à ce moment là que tu m'as manqué le plus.


Texte publié par Antoine Samano, 24 janvier 2022 à 12h06
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