Qui entre dans l'appartement de Claire et de Laurent, est entouré de livres. Les murs du salon présentent des centaines de dos colorés au visiteur. Avec le canapé, et le solide bahut breton où est rangé la vaisselle, seuls deux tableaux ont conquis un espace au milieu de ces colonnes de papier. Près des fenêtres qui donnent sur la rue, une reproduction de Corot montre une femme lavant son linge dans un cours d'eau au décor automnal. Près du téléphone, et de la lampe steam-punk qui éclaire une partie de la pièce, une grande toile contemporaine étend ses voiles mordorées sur une baie qui semble n'avoir existé que dans l'esprit de l'artiste.

Laurent est, le plus souvent, assis sur le canapé, entouré par cet écrin, avec ses cheveux plaqués en arrière et le visage d'un homme qui ne paraît pas ses soixante huit ans. Je m'assoie à ses côtés pour entamer le cycle de Sisyphe de notre conversation. Il arrive que Laurent s'endorme. Je regarde alors son visage, le nez busqué, les sourcils de plus en plus broussailleux. Autour de nous, les livres nous entourent comme une présence réprobatrice et muette. Ils sont un décor auquel personne ne fait attention. Ils furent les livres de Laurent lus et relus, parfois annotés. Compagnons de loisir ou d'infortune, outils de travail aujourd'hui rendus insignifiant par sa maladie. Le regard constamment distrait de celui-ci glisse sur eux et les voilà rendus à n'être que des choses : poids, dimensions, couleurs. Des objets morts que la présence de Claire ressuscite à peine.

La dernière fois que j'ai parlé de ces livres à Louise, celle-ci m'a regardé comme si je venais d'énoncer une évidence.

- J'ai la même sensation quand j'entre dans une librairie.