« - Que la nuit est belle! S’extasia-t-il. Une grande dame toute de noir vêtue, dont la superbe chevelure est aussi resplendissante que le diamant pur. Elle est vraiment parfaite… mais quelque chose fait souffrir son petit cœur… Son visage est inexpressif et parsemé de vilaines balafres et cela la perturbe beaucoup. C’est pourquoi elle n’en montre souvent qu’une partie, voilant jalousement le reste… Mais notre dame s’est montrée forte en ce soir glacial de décembre car elle dévoile l’intégralité de son pâle visage meurtri que le sang a cruellement entaché. Devenu désormais aussi pourpre que du sang frais, ce visage bafoué nous incite à tinter ce misérable monde du rouge de la haine, de la rancœur, et de la douleur… murmura-t-il alors qu’un large sourire sadique déformait ses traits androgynes. » Il fixait le cloché de l’Eglise surplombant la rue déserte , souriant et confiant. Les douze coups de minuit retentirent, brisant alors le silence qui enveloppait la petite rue au cadre pittoresque du quartier de l’East End.
Il adorait la nuit maîtresse du mal, qui dans sa noirceur dérobait aux yeux du monde les erreurs de la nature, les rebus, les parias, les monstres de la pire espèce. La nuit c’était le monde de l’aventure, de la décadence, de l’excès, et de bien d’autres choses encore. Selon lui on n’était condamné à être une proie si l’on restait esclave du tyrannique Soleil, mais si l’on acceptait les ténèbres, qu’on les laissait pénétrer au plus profond de son être, alors on devenait un chasseur accompli, capable de traquer sa proie dans la lumière comme dans les ténèbres… Oui c’était comme cela qu’il voyait les choses: la capacité à s’adapter était l’arme la plus redoutable d’un bon chasseur. Et c’était ce qu’il était devenu. Une ombre silencieuse, mortelle, et efficace: un véritable dieu de la Mort.
Soudain, la petite porte située à droite de la porte principale de l’église s’ouvrit dans un sinistre grincement pour laisser paraître une femme de petite envergure, un mètre soixante-cinq environ, semblable dans son attitude à un petit chat apeuré. Un éclat de joie malsain se mit à reluire dans les yeux verts de l’homme qui étira d’avantage son perpétuel sourire sinistre. Il étira ses doigts, provoquant un bruit mat d’os qui craquent. Il décolla son dos du mur sur lequel il était appuyé et marcha derrière la femme. Elle avait aisément cinq mètres d’avance mais elle était maladroite et raide dans sa démarche de petite bourgeoise étriquée. Par conséquent il n’aurait aucun mal à la rattraper sans même courir. En effet contrairement à cette chose pathétique, sa démarche était féline et souple. Ni trop rapide et raide comme celle des militaires, ni trop lente et maladroite comme celle des bureaucrates… Juste élégante et efficace. Les talons aiguilles de ses bottines marquaient chacun de ses pas d’un claquement net et propre résonnant en cette obscure nuit des plus favorables au meurtre. Ce doux claquement sonnait le glas de cette femme dont l’existence était des plus stériles. La distance qui les séparait n’avait de cesse se raccourcir. « Plus que quatre mètres! Songea-t-il. » La nigaude qu’il traquait était décidément bien niaise. Elle avait bien dû entendre le bruit de ses talons… Oui c’était certain mais comme elle lui tournait le dos elle devait s’être fiée au bruit et en avoir déduit qu’il était une femme. « L’imprudence est une erreur fatale, mais c’est pourtant celle qui est la plus fréquemment commise … Enfin peu importe, trois mètres ma chérie… » Se dit-il avec désinvolture. Il trouvait cela presque trop facile. Des années de douleur et de souffrance allaient prendre fin ce soir. Des années de souffrance cautionnées par cette catin. Et cela ne l’avait pas empêchée de dormir manifestement. C’était un scandale, mais quand on est issu d’une famille des classes moyennes, comment lutter contre le golem qu’était cet établissement privé de grande renommée? La réponse était simple, c’était impossible. Il fallait subir et souffrir en silence comme une bonne brebis sous la gouverne du Seigneur… Que de foutaises et de douces illusions qui allaient prendre fin ce soir… « Deux mètres mon cœur… jubila-t-il intérieurement. » Oui c’était comme cela dans l’enceinte de « la maison » comme disait le père supérieur. « Il y a une sorte de sobriété uniforme qui convient à la maison, ce n’est donc pas la peine de vouloir s’en démarquer. Gardez en dehors de cet établissement vos soucis personnels. C’est avec cette distinction entre le privé et le personnel, que l’on devient un homme du monde. » Ces mots résonnaient régulièrement dans l’esprit de l’homme le plongeant dans une rage insondable. Son sourire radieux quoique perturbant laissa place à un rictus désapprobateur et méprisant alors que son regard joyeux devint aussi froid que la nuit qui le drapait. Il laissa échapper un petit sifflement agacé: « Tss. ». « Un mètre… L‘heure est venue… murmura-t-il impatient. La femme se rapprochait de sa voiture, une smart manifestement. Aussi étroite que cette garce qu’il traquait. Il sortit avec dextérité et élégance un mouchoir en tissu de la poche de son pantalon noir très près du corps, puis il sortit de son autre poche, un flacon de chloroforme. Il en enduisit le doux tissu du mouchoir et rangea le flacon. La femme était à l’arrêt, devant sa voiture, en train de chercher dans son sac à main chanel ses clés de voiture. Elle ne se doutait de rien.
Brutalement, l’homme se jeta sur sa victime lui recouvrant le nez et la bouche avec le mouchoir, tout en la cambrant afin qu’elle ne puisse pas se défendre correctement. Elle voulait crier mais aucun son ne sortait de sa bouche. Elle se débattait mais l’homme riait à gorge déployée. Puis rapidement, sa vision se troubla, ses muscles faiblissaient, le rire de l’homme s’évanouissait dans le néant… Et ce jusqu’à ce que les ténèbres l’aient englouti.
À son réveil, elle sentit un intense mal de tête l’envahir, et un fort éclairage perturber sa vision. Lorsque ses yeux s’accoutumèrent à la luminosité, elle aperçut un miroir devant elle, et vit qu’elle était nue et ligotée à une chaise. Elle paniqua, son rythme cardiaque s’accéléra, elle suait à grosses gouttes. Elle tourna la tête à sa gauche et ce qu’elle vit devant elle ne la rassura pas: elle aperçut un petit chariot à roulette sur lequel était posé tout un attirail de tortionnaire: sécateur, gants de jardiniers, fils barbelés, clous, marteau, scalpel, pinceau, et matériel de prélèvement sanguin. Elle ne comprenait pas. Tout cela n’avait pas de sens, pourquoi était-elle là? Elle scruta les alentours, elle était dans un immense bâtiment en mauvais état, probablement un entrepôt désaffecté. Elle entendait le bruit de lourdes pales qui tournaient lentement. Cette fois elle en était sûre. Elle était bien dans un entrepôt. Elle devait être située sous une lampe, peut-être accrochée au plafond car elle, ainsi que le miroir et le chariot étaient situées dans un cercle de lumière au-delà duquel tout était sombre et vague. Malgré ses nouvelles informations elle ne comprenait toujours rien. Que diable faisait-elle là?
« - Bien dormie Sophia?
- Qui, qui est là?! Sanglota-t-elle. ». Soudain elle entendit venir de l’ombre ce bruit de talons qu’elle avait entendue avant de perdre connaissance. Puis un homme apparut dans la lumière. Elle fût estomaquée par son apparence physique des plus étranges. En effet il portait des bottines à talons aiguilles noires, un pantalon noir près du corps, un gilet de costume gris à doublure noire sous lequel se trouvait une chemise blanche dont les trois premiers boutons étaient défaits. Mais malgré cela son cou était sorti d’une sorte de ruban rouge noué à la manière d’un nœud de lacet avec une symétrie parfaite. Sa façon de porter sa longue redingote rouge sang à bordure noire était elle aussi extravagante. En effet elle descendait jusqu’à la moitié de son bras, comme une catin porterait un manteau aguichant. L’homme s’arrêta à un mètre de Sophia et lui sourit:
« - Savez-vous qui je suis Sophia? Demanda-t-il doucement.
- Non monsieur… répondit-elle apeurée.
- Allons, vous n’allez pas me dire que vous ne vous souvenez pas de moi? Après tout ce temps que nous avons passé ensemble? De mes 13 ans jusqu’à mes 18 ans j’ai étudié dans ce bel établissement privé du nom de Santa-Maria. Alors là je dois avouer que vous me décevez…
Faîtes un effort bon sang… rétorqua-t-il alors qu’une étincelle de joie malsaine brillant dans ses beaux yeux verts.
- Mais puisque je vous dis que je ne vous connais pas… Si un membre aussi étrange que vous avait intégré la maison je m’en serais aperçue.
- Ha ha ha ha ha ha! Vous n’avez pas changé pauvre sotte. Je suis sûr que la mémoire vous reviendra. C’est important car c’est un élément qui pourrait me persuader de vous relâcher. Prenez le temps d’y réfléchir pendant que je vous apprête.
- Je… Je…ne… » Elle n’eût pas le temps de finir sa phrase car l’homme approcha ses lèvres fines au bord de l’oreille de Sophia:
« -Chhhh… Ne bougez plus, et ne dîtes rien jusqu’à ce que je vous dise le contraire, sans quoi votre calvaire sera plus douloureux. »
L’homme fit le tour de la chaise à laquelle était ligotée Sophia d’un bond agile et gracile. Il sortit de la poche de sa redingote un mètre ruban et pris le tour de tête de Sophia. Il se réjouit de voir que sa victime était terrifiée et pleurait à chaudes larmes. Il se mit à chantonner « London bridge is falling down, falling down, London bridge is falling down, my fair lady… ». Il était tellement en extase qu’il en avait envie de rire. Dans un premier temps il se retint, mais il se rappela ensuite qu’il était Dieu en ce lieu. Celui qui décidait de vie ou de mort… Quelle sensation exquise de se dire que l’on est le maître absolu de cet univers décadent et excitant à la fois. Sur ces douces pensées il laissa échapper un rire enfantin de sa voix douce quoique grave, puis se dirigea vers le chariot avant de s’emparer du sécateur et du rouleau de fils barbelés.
« - Regardez madame , je vous fabrique une jolie couronne sur mesure, faite d’un acier pur, d‘une grande beauté. Mais il faut souffrir pour être belle... Les épines vont si bien aux catholiques! S’exclama-t-il en riant. »
Sophia tremblait de peur et avait cessé de pleurer tant elle appréhendait la douleur qu’allait être la sienne. Elle était perdue, et son corps tout entier était secoué de violents spasmes musculaires alors que son visage que le temps avait cinquante ans durant, labouré en tous sens, se crispait à la manière de celui des défunts. Son bourreau était derrière elle, il lui fallut donc fixer le miroir pour le voir. Elle ne pouvait percevoir que son buste et ses bras, portant la dite couronne. Tout ses muscles se contractèrent, elle allait subir sa sentence, ce châtiment horrible, pour un crime dont elle ignorait tout.
L’homme posa la couronne sur la tête de Sophia puis exerça une forte pression. Les lames ornant le fil barbelé pénétrèrent sans effort la peau de sa victime, alors que celle-ci hurlait à mort. Il vit le sang pisser des plaies de celle-ci formant de jolis petits ruisseaux comme il l’avait fantasmé, et les cris de sa proie étaient de douces symphonies infernales qu’il savourait. Tous ses sens étaient en extase. Il rejeta ses longs cheveux noirs parsemés de mèches rouge sang en arrière, et se cambra tout en fermant les yeux, pour que ses autres sens profitent au maximum de cette extase. Son corps était secoué de frissons parcourant sa colonne vertébrale de bas en haut tant la sensation de plaisir était intense. Ses traits fins et séduisants se déformèrent pour former à nouveau un large sourire sadique. Puis lorsqu’il sentit que le métal des lames se heurtaient à l’os de son crâne, il relâcha d’un coup net sa pression et ouvrit à nouveau les yeux pour dévoiler la folie incarnée qui l’habitait.
Sophia était en larme et le suppliait d’arrêter son supplice. L’homme se pencha alors et susurra à son oreille: « - Patience Sophia, je réaliserai bientôt votre vœu le plus cher, vous serez une martyr de la cause chrétienne… N’est-ce pas une mort des plus splendides? Maintenant laissez vous faire et savourez la délectable souffrance qu’est la votre…
- Tu es, tu es…Gre… articula -t- elle péniblement
- Oui c’est cela Sophia, j’ai bien compris que vous connaissez mon nom, inutile d‘en dire plus… murmura-t-il d’une voix mielleuse.
- Mais au nom de Dieu vous aviez promis que…
- Dieu n’est pas là aujourd’hui madame Il n‘y a que moi... Je suis celui qui plongera ce monde dans l’abîme insondable de la peur… Je suis le roi bafoué, l’ange déchu, la veuve de sang. »
Une fois sa macabre exécution achevée, il retira ses gants de jardinier et rangea dans une grande valise son matériel. Il fit volte-face et pris soin de régler les derniers détails de sa mise en scène macabre. Il jeta un dernier regard méprisant au corps inanimé de Sophia et déclama:
« - Ainsi s’achève le misérable spectacle de votre vie madame. Tu es poussière et tu redeviendras poussière… Amen! S’esclaffa -t-il en se dirigeant vers la sortie du vieil entrepôt désaffecté. »
Le léger courant d’air généré par les lourdes pales de la ventilation transportait jusqu’à lui le relent dégagé par l’odeur du sang frais. Il ne marqua pas d’arrêt pour savourer cette délicieuse odeur mais il prit tout de même la peine de retrousser les étroites narines de son petit nez aquilin. C’était comme après un orgasme, pendant quelques instants, des réminiscences de l’apogée de plaisir atteinte se font sentir comme l’écho enchanteur d’un chant de sirène.
Il se sentait bien, il était fier de son œuvre vengeresse et libératrice à la fois.
Il s’arrêta un instant devant la grande porte coulissante du vieux bâtiment afin de prendre un maximum d’élan pour l’ouvrir. C’en était fait, il était à l’air libre. À nouveau il retournait dans les bras de la nuit, sa seule et unique mère… Il regarda à nouveau la lune, et recommença à lui parler:
« - ça y est mère, j’ai purgé ce laideron avec le rouge sublime de son sang… Regarde moi… Regarde ton œuvre, mère… dit-il le sourire aux lèvres tout en faisant une révérence. Il continua à marcher seul dans les ténèbres le long de la petite rue sale dans laquelle il se trouvait. Des sacs plastiques, des cagettes, et moult autres déchets jonchaient le sol. Imperturbable et solitaire, il parcourait la rue déserte, fier et hautain. D’un geste gracieux, il passa sa main dans ses cheveux pour aérer l’espace d’un instant son cou au teint pâle. Souriant comme un enfant, le regard aussi froid que l’acier d’une lame, il sortit son portable et regarda ses SMS, mais il se rendit compte qu’il n’y en avait aucun.
« Oh non bébé… Tu dors en toute quiétude alors que je viens de commettre une horreur… Ne t‘inquiète pas, je vais ajouter du dynamisme à cette morne routine qu‘est ta vie… Tu vas souffrir mais je sais que tu aimes ça… Dit-il en se passant voluptueusement la langue sur les lèvres. » Il laissa à nouveau échapper un rire malsain alors que le vent qui venait de se lever caressait ses cheveux soyeux, et soulevait sa noble redingote. Ce vent éthéré semblait émaner de lui telle une aura murmurant à l’oreille des mortels dans un langage inconnu, la promesse de douleurs sans pareilles…
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